L'infirmière n° 042 du 01/03/2024

 

PORTRAIT DU MOIS

Laure Martin  

Cet infirmier en réanimation et pompier au Luxembourg est depuis toujours passionné par le secourisme. Un attachement qui l’a conduit à développer, parallèlement à son activité, une solution connectée pour venir en aide aux victimes d’arrêt cardiaque.

Comment expliquez-vous votre passion pour le secourisme ?

Frédéric Leybold : Je ne me l’explique pas vraiment. Tout petit déjà, c’est moi qui soignais ma famille à la maison quand il y avait des petites blessures. Avant d’intégrer l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), j’étais secouriste à la Protection civile et, lorsque j’ai passé les oraux pour le concours d’entrée, je savais que j’étais à ma place ! Pendant mes études, les modules sur l’urgence et la réanimation ont été mes préférés, d’ailleurs mon stage aux urgences du Centre hospitalier (CH) de Thionville reste mon meilleur souvenir. À l’obtention de mon diplôme, les urgences du CH Kirchberg, à Luxembourg-ville, où j’avais effectué mon dernier stage, ont souhaité m’embaucher. J’ai commencé ma carrière, en 2009, au Luxembourg, d’abord aux urgences, en remplacement d’un congé maternité, puis en neurochirurgie et chirurgie de la main, des services qui me correspondaient moins. J’ai ensuite rejoint la réanimation, où j’exerce depuis 11 ans. En parallèle, j’ai été infirmier pompier volontaire à Thionville, de 2010 à 2019. Lorsque les pompiers du Luxembourg ont ouvert un poste d’infirmier pour la plateforme d’appel du 112 (numéro d’appel luxembourgeois, NDLR), afin de conseiller les ambulanciers, les opérateurs, les appelants, sur les urgences et l’engagement du Samu, j’ai postulé et j’ai été retenu. J’y exerce depuis 2021. Il n’existe pas de poste similaire en France. Pourtant, c’est vraiment valorisant pour un infirmier de remplir ce rôle de conseil. Aujourd’hui, j’ai trouvé mon équilibre. Je suis à 50 % infirmier en réanimation et à 50 % infirmier pompier. Mon planning est un peu sportif, mais lorsqu’on fait le choix de travailler sur deux postes, il faut accepter de faire preuve d’adaptabilité.

Avec le recul, êtes-vous satisfait de votre carrière au Luxembourg ?

F.L. : Pleinement satisfait. Je travaille avec des confrères luxembourgeois, allemands, belges, qui m’apportent une ouverture sur d’autres pays et d’autres cultures infirmières. Sur le terrain, ce n’est pas toujours évident de concilier nos approches, mais c’est enrichissant. Au Luxembourg, dans certains domaines, les infirmiers vont être plus autonomes qu’en France, notamment pour les réglages des respirateurs. C’est aussi lié au fait que le service fonctionne avec trois infirmiers anesthésistes, ce qui conduit à des passations de compétences encadrées. Enfin, je dois reconnaître que le salaire est plus intéressant qu’en France, puisqu’il est quasiment doublé. J’ai acquis un confort de vie qu’il me serait impossible d’atteindre en France. On m’a parfois reproché de ne pas revenir en France. Mais grâce à cette organisation, j’ai pu développer une autre activité associative, sans but lucratif, pour faire avancer la prise en charge des personnes victimes d’arrêt cardiaque.

Que proposez-vous ?

F.L. : J’ai découvert le principe des « premiers répondants » au Luxembourg. Des secouristes volontaires sont alertés via une application, en cas d’urgence. En 2015, j’ai eu l’idée de l’introduire en France lorsque l’une de mes voisines a été victime d’un arrêt cardiaque. Je l’ai su uniquement lorsque les secours sont arrivés, alors qu’en tant professionnel de santé en réanimation, j’aurais pu intervenir efficacement. Il existe des applications pour trouver les pizzérias les plus proches, pourquoi pas une application pour trouver des personnes formées aux premiers secours. C’est ainsi que j’ai créé, en 2016, l’Association française des premiers répondants (AFPR), puis lancé l’application dédiée (AFPR), en 2018. Aujourd’hui, nous sommes en cours de fusion avec l’application Les bons samaritains. Les résultats sont intéressants, notamment en Moselle et dans la Marne.

Qu’en est-il de Géocœur* ?

F.L. : Parallèlement aux premiers répondants, une autre problématique me préoccupait : 400 000 défibrillateurs sont installés en France et leur maintenance coûte environ 40 millions d’euros par an. Pourtant, ils ne sont quasiment jamais utilisés. D’après les dernières statistiques(1), en cas d’arrêt cardiaque, la victime a moins de 10 % de chance qu’un défibrillateur soit apporté pour sa prise en charge. En effet, 80 % des arrêts cardiaques surviennent à domicile, rendant compliqué la recherche d’un défibrillateur dans un établissement recevant du public où ils sont installés. J’ai donc réfléchi à une méthode pour mobiliser les personnes situées à proximité des défibrillateurs. Avec Géocœur, un message d’alerte déclenché par les pompiers est diffusé pendant 5 minutes via un panneau connecté accroché en haut d’un défibrillateur cardiaque. Le message annonce : « Arrêt cardiaque à proximité, on a besoin du défibrillateur, flashez le QR code pour connaître l’adresse où l’apporter. » La personne n’a plus qu’à agir.

Comment avez-vous déployé ce dispositif ?

F.L. : à l’origine, je voulais le faire par le biais de l’AFPR. Mais l’industrialisation et la commercialisation d’un objet connecté est difficile pour une association, ne serait-ce que pour l’obtention d’aides. J’ai créé, en 2022, la société Hekatech - Heka, dieu égyptien de la magie et de la médecine - avec trois associés aux compétences complémentaires (informaticien, romancier, industriel) aux miennes. Je n’ai pas eu le temps de me former à l’entreprenariat. J’apprends à manager nos quatre salariés tout en commettant des erreurs. Hekatech a toutefois été intégrée par un incubateur de start-up. Je suis accompagné, une fois par mois, pour la comptabilité et les ressources humaines. Je mène de front cette activité et mon métier d’infirmier. C’est l’avantage d’être en horaire décalé, je peux cumuler plusieurs fonctions.

Où en est le déploiement de Géocœur ?

F.L. : Nous avançons bien. Quelque 180 géocœurs sont installés ou en cours d’installation en Moselle, au siège du Conseil régional à Strasbourg, dans la Marne, dans le Sud de la France, dans des entreprises comme Orange et, surtout, au ministère de la Santé. Cependant, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques que toutes les entreprises, notre activité doit être rentable. Nous devons donc vendre plus et augmenter la cadence de production. Le point de frustration : au sein des collectivités et des grandes entreprises, les décisions sont souvent longues à prendre. J’ai obtenu une plus grande visibilité en remportant le prix du président de la République au concours Lépine 2022. J’ai toujours été attiré par ce concours et j’ai voulu y participer pensant que peu importerait notre classement, on allait entendre parler de nous. Le fait de gagner n’apporte ni argent ni soutien, mais c’est une mise en lumière permettant de réduire la hauteur des marches pour passer plus facilement aux suivantes. Notre objectif n’est pas d’implanter des géocœurs partout mais de façon intelligente, selon les horaires d’ouverture des établissements disposant d’un défibrillateur.

* « Géocœur : une invention pour la prise en charge des arrêts cardiaques » sur Espacenfirmier.com

Référence

  • 1. Source : circodef.org

BIO EXPRESS

2009 Diplômé de l’Ifsi de Thionville, il débute aux urgences du CH Kirchberg (Luxembourg).

2010-2019 Sapeur-pompier volontaire au SDIS de Thionville.

2012 Infirmier au service de réanimation des urgences du CH Kirchberg (Luxembourg).

2016 Création de l’AFPR.

2021 Infirmier pompier à la plateforme d’appel 112 de Luxembourg.

2022 Création de la société Hekatech.