ACCÈS À LA RECHERCHE : LES INFIRMIÈRES LIBÉRALES ENCORE À LA MARGE
EXERCICE LIBÉRAL
RECHERCHE
L’accès des paramédicaux à la recherche en sciences infirmières ou en soins primaires reste cloisonné et territoire-dépendant. Les infirmières libéralesen font les frais. Pour autant, des pistes apparaissent.
L’accès à la recherche pour les infirmières s’est structuré autour de plusieurs éléments-clefs : la création en 2010 du programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), l’appel à projets de recherche en soins primaires interrégional (ReSP-Ir), ou encore la possibilité d’entreprendre un doctorat en sciences infirmières depuis la création du Conseil national des universités pour les sciences infirmières (CNU 92) en 2019. Quelle est la place des infirmières libérales (idel) dans ce domaine ? Pour le moment, elles sont sous-représentées : « Les appels à projets restent malgré tout à la marge, nous sommes confrontés à de l’immobilisme alors que l’innovation naît du terrain et de l’exercice professionnel », soulève Emmanuel Hardy, président de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa). « La profession s’est émancipée tardivement, car nous n’avions pas cette culture d’aller vers la recherche, longtemps réservée aux seuls médecins, pointe Emmanuelle Barlerin, coprésidente d’AVECsanté* et infirmière libérale. Nous nous sommes mis, et on nous a mis, des barrières culturelles et professionnelles, qui se sont levées avec le PHRIP et l’exercice coordonné. Ce dernier a fait prendre conscience aux paramédicaux de l’importance de leurs compétences, complémentaires à celles des médecins. »
Si l’investissement dans la recherche peut passer par la voie strictement universitaire dans le cadre du cursus licence-master-doctorat, il est également possible de répondre à des appels à projets pour obtenir des financements. « Se consacrer à la recherche prend du temps, implique la mobilisation de ressources humaines, par exemple de statisticiens ou d’attachés de recherche clinique, il faut donc des financements », explique Bastien Mézerette, coordinateur du Groupement interrégional pour la recherche clinique et l’innovation (GIRCI) Île-de-France. « L’axe financier ne doit pas être un frein pour les professionnels qui s’engagent, ajoute Thomas Rulleau, coordonnateur paramédical de la recherche en soins au CHU de Nantes. La perte financière liée à une réduction de l’activité libérale doit être compensée, au risque d’un arrêt de l’investissement du professionnel. »
Certains appels à projets sont portés par les tutelles, c’est le cas du PHRIP ou encore du programme de recherche sur la performance du système de soins (PREPS). « Ces appels à projets, qui émanent de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), sont toutefois davantage en lien avec des objets de recherche issus du monde hospitalier, précise Nadia Péoc’h, directrice des soins et chargée de la recherche en soins au CHU de Toulouse. Sur les problématiques liées aux libéraux, les appels à projets sont moindres. » Toutefois, les idel peuvent quand même candidater sur le PHRIP, avec des projets en soins primaires, car l’éligibilité le permet.
À l’échelle régionale, les GIRCI représentent une porte d’entrée pour les idel. Ces structures, bras armés de la DGOS dans les territoires, assurent la gestion d’appels à projets pour une application régionale de la recherche. « Nous disposons de fonds alloués par territoire, pour soutenir des actions de recherche dans le champ de la santé, indique Bastien Mézerette. Nous finançons des appels à projets, le soutien à la formation et à l’information, ainsi que la mutualisation des moyens de compétences. » La DGOS a notamment imaginé des dispositifs d’amorçage pour permettre aux professionnels de santé d’avoir accès à la recherche avec des financements compris entre 25 000 et 100 000 euros, bien inférieurs à ceux du PHRIP par exemple [les financements accordés dans le cadre du PHRIP sont plus importants atteignant parfois 600 000 à 700 000 euros]. À l’échelle du GIRCI Île-de-France, deux programmes sont portés pour les paramédicaux : l’appel à projets de recherche en soins (APRESO) et l’appel à projets ReSP-Ir, présent au sein de tous les GIRCI du territoire.
D’autres appels à projets sont portés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou encore des fondations (Fondation de France, Fondation APICIL en partenariat avec la Société française d’étude et de traitement de la douleur, Fondation Roche). « De manière générale, tous les paramédicaux peuvent postuler dès lors qu’ils détiennent une bonne idée, une question socialement vive, pertinente, qui fait débat », ajoute Nadia Péoc’h.
Cependant, pour se lancer, les idel doivent savoir s’entourer en faisant appel à une structure support, gestionnaire de fonds, détenant une personnalité juridique autonome. « Si une idel souhaite répondre à un appel à projets, elle ne va pas pouvoir le faire toute seule, souligne Caroline Serniclay, coordinatrice paramédicale de la recherche en soins au CHU de Reims et pilote de la Commission nationale des coordonnateurs paramédicaux de la recherche. En raison de la réglementation, elle doit être accompagnée par une structure support, notamment un CHU, promoteur. » Ce soutien, les paramédicaux peuvent le trouver du côté des Directions de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI), qui vont s’assurer du respect des contraintes réglementaires et éthiques. « Certains CHU développent des cellules de recherche en soins primaires, mais cela dépend des établissements », prévient Caroline Serniclay. Normalement, chaque direction des soins des 26 CHU doit assurer, dans l’axe du projet médico-soignant, la promotion de la recherche, et certaines le font en soins primaires. C’est le cas au CHU de Toulouse, avec la cellule d’appui à la recherche en soins – plateforme CARES. « Aujourd’hui, le CHU promeut la recherche hors les murs, donc hors université, afin de l’ouvrir aux professionnels de santé libéraux, dont les idel, et aux Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), notamment pour travailler en partenariat sur des projets dans le champ de la prévention, des soins primaires, et de l’optimisation des parcours de soins », indique Nadia Péoc’h. Pour ce faire, la DCRI entend accompagner les idel à répondre à des appels à projets.
Du côté de Nantes, « le CHU et l’université, via le département de médecine générale, ont décidé depuis 2017 de structurer la recherche en soins primaires, indique Damien Fairier, coordonnateur de la recherche en soins primaires au CHU de Nantes. En 2020, un pôle fédératif des soins primaires a été créé, l’objectif étant d’amplifier la dynamique partenariale sous un titre académique commun et de renforcer les échanges pour développer la recherche en soins primaires. » Dans ce cadre, ils ont mis en place un réseau territorial afin de proposer des projets de recherche aux professionnels des soins primaires. « Nous travaillons avec dix MSP et si, initialement, les projets étaient le plus souvent proposés aux médecins, kinésithérapeutes ou pharmaciens, ils sont de plus en plus pluriprofessionnels et tournés vers l’exercice coordonné », explique-t-il. Et d’ajouter : « Notre objectif est de proposer aux MSP des projets réalisables dans un contexte de soins primaires, afin que les professionnels puissent s’impliquer dans l’investigation [inclure et suivre des patients dans un protocole]. Mais il n’est pas exclu que dans le cadre de notre réseau, une idel nous partage une idée de recherche et que nous décidions de l’accompagner »
Qui dit recherche, dit méthode. Si les infirmières diplômées depuis 2009 ont certes pu avoir un aperçu avec leur travail de fin d’étude, il est loin d’être suffisant. En parallèle, « avec l’arrivée des infirmières en pratique avancée (IPA), nous avons désormais des soignants qui, dans le cadre de leurs études universitaires, ont bénéficié d’un apprentissage au sein de l’unité d’enseignement sur la recherche, et savent donc en mener », rappelle Nadia Péoc’h. Pour autant, « en ville, nous sommes encore insuffisamment structurés pour porter des projets, et nous manquons de moyens financiers pour être encouragés dans cette voie », regrette Emmanuel Hardy.
En attendant, l’accompagnement des DCRI permet ainsi aux idel de bénéficier d’un encadrement méthodologique, indispensable pour les professionnels éloignés du monde hospitalo-universitaire. « Monter une recherche, ce n’est pas anodin, informe Damien Fairier. Cela requiert un investissement important et nécessite d’être formé, par exemple pour mener des recherches bibliographiques, pour se familiariser avec la sémantique associée à ce secteur ou pour appréhender les différentes méthodes de recherche. » Être entouré d’une équipe de recherche est nécessaire, tandis que les DCRI permettent également de faire le lien pour respecter les aspects réglementaires, soumettre le projet à un comité d’éthique, etc.
« Lorsque nous rencontrons des idel, nous allons travailler avec elles sur leur projet de recherche, la revue bibliographique, nous allons être dans un accompagnement, au cas par cas », rapporte Nadia Péoc’h. Elles doivent être accompagnées méthodologiquement par les coordinateurs de recherche pour la rédaction du protocole de recherche, puis être mises en lien avec l’unité de soutien méthodologique et de traitement des données pour la partie statistique. Mais l’acculturation à la recherche reste toutefois nécessaire. La formation aux bonnes pratiques cliniques en investigation est exigée par les promoteurs. Des diplômes universitaires (DU) sur la recherche en soins ou la recherche en sciences infirmières sont également très utiles.
D’ailleurs, avant même de devenir porteur d’un projet de recherche, il peut être tout aussi intéressant de débuter par de l’investigation. « On a tendance à considérer l’investigation comme n’étant pas de la recherche, souligne Thomas Rulleau. Il s’agit pourtant d’un moyen de s’acculturer à la recherche clinique de terrain avant de porter un projet. Les paramédicaux peuvent ainsi identifier une question de départ dans leur quotidien et s’interroger sur la façon de la résoudre. » Et Nadia Péoc’h de conclure : « Le plus important est de détenir la bonne idée de départ. Certes, il s’agit d’un investissement en temps, cela demande un travail d’écriture, de lecture critique des articles scientifiques. C’est un parcours du combattant surtout lorsqu’on est idel, dans son cabinet, au cœur d’un territoire de santé. Pourtant, les objets de recherche sont là. » Face à la multitude de portes à pousser, l’objectif reste de trouver la bonne personne-ressource sans se décourager.
* Association nationale qui assure la promotion de l’exercice coordonné et des MSP.
En libéral, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pourraient jouer ce rôle de structure support pour la recherche parce qu’elles disposent de financements et rassemblent les acteurs du territoire. Mais elles en sont encore à leur balbutiement. Les MSP aussi détiennent une personnalité juridique autonome et peuvent techniquement être promotrices de projets de recherche. Mais elles manquent de moyens et d’expertise pour effectuer des soumissions réglementaires. « Les MSP n’ont pas de moyens pour porter des actions de recherche, car les financements attribués dans le cadre de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) ne sont pas assez élevés », fait savoir Emmanuelle Barlerin. Et du côté des MSP universitaires (MSPU), les projets de recherche restent très médico-centrés. La Fédération régionale Auvergne-Rhône-Alpes (Femas AURA&Co) d’AVECsanté porte un projet de recherche MS progress sur les soins primaires. L’objectif : démontrer la valeur ajoutée de l’exercice coordonné dans la prise en charge des patients par rapport à l’exercice isolé. « Nous cherchons à objectiver ce qui nous paraît être une évidence, indique Emmanuelle Barlerin. La recherche infirmière pourrait en découler, il faut montrer le chemin. » Le projet est financé par la Direction de la coordination de la gestion du risque (DGCGR) de l’Assurance maladie et l’ARS.
Il existe trois types de recherche :
La recherche fondamentale consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques entrepris principalement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière à court terme.
La recherche clinique correspond aux études scientifiques réalisées sur la personne humaine, en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales.
La recherche translationnelle consiste à faire de la recherche afin de produire des applications concrètes à partir de connaissances fondamentales, et inversement, c’est-à-dire d’interroger les modèles théoriques à partir de l’expérience/la recherche clinique.