INFORMATION, PRÉVENTION, ACCOMPAGNEMENT
DOSSIER
CANCER : LE RÔLE CENTRAL DES IDEL
Les infirmières libérales jouent un rôle majeur dans la prise en charge globaledes patients en cancérologie, en permettant leur maintien à domicile. Pour autant, leur travail est loin d’être reconnu à sa juste valeur.
Au contact quotidien de leurs patients, les infirmières libérales (idel) se saisissent généralement de cette opportunité pour partager des informations déterminantes dans le champ de la prévention et de la promotion en santé. « À partir des âges clefs associés aux dépistages, j’explique à mes patients qu’ils vont recevoir un courrier de l’Assurance maladie pour les encourager à prendre un rendez-vous pour un dépistage », rapporte Johanna Pané, idel en Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) à Roquemaure (Occitanie), étudiante en pratique avancée et membre de l’Association française des infirmier (e) s de cancérologie (AFIC). C’est le cas pour le cancer du col de l’utérus, le cancer du sein, ou encore le cancer colorectal. « Nous nous devons de leur expliquer l’importance de se faire dépister, car souvent, à réception de ce courrier, ils ne comprennent pas nécessairement en quoi ils sont concernés », ajoute-t-elle. Elle n’hésite pas non plus à évoquer de nouveau le sujet quelques semaines plus tard, afin de s’assurer qu’ils ont bien entrepris les démarches nécessaires. Idel en milieu rural à Mondragon (Vaucluse), Émilie Raoux-Raud accorde une grande importance à cette mission de prévention. « Je prends en charge des personnes âgées parfois illettrées, des étrangers, des personnes défavorisées n’ayant pas toujours une culture du soin, témoigne-t-elle. Je n’hésite donc pas à insister sur l’importance de la prévention. » Une action qui s’est amplifiée pendant la crise sanitaire en raison des retards accumulés dans les dépistages.
Cette mission fait partie des « actes invisibles » réalisés par les idel. « Nous l’assurons régulièrement sans pour autant avoir de temps dédié et rémunéré », pointe Johanna Pané. L’absence de traçabilité est un vrai problème, car cette mission peut alors difficilement être valorisée. « Certes, nous ne choisissons pas notre métier pour l’argent, mais d’un autre côté, tout travail mérite salaire, pourquoi ces missions ne sont-elles pas financées ? », estime Lise Vinsse, idel dans une maison médicale à Heyrieux (Isère). Dans le cadre de l’exercice coordonné, notamment au sein des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les soignants peuvent toutefois travailler sur des actions de prévention financées.
Outre des actions en prévention, les idel sont généralement rapidement sollicitées par les patients à la suite d’un diagnostic de cancer, pour la mise en place de soins variés, aux différentes étapes de la prise en charge. « Lorsque le patient nous sollicite, nous sommes libres d’accepter ou non la prise en charge, rappelle Johanna Pané. Certains infirmiers ne sont pas toujours à l’aise avec certains soins, notamment en cancérologie, mieux vaut alors les refuser. »
Lorsque le patient atteint d’un cancer doit subir une chirurgie, de retour à domicile, l’idel intervient pour la réalisation des soins postopératoires. La réalisation de ces pansements complexes relève de l’expertise infirmière, qui doit être alerte face à d’éventuelles complications pouvant survenir à la suite de l’opération telles qu’une désunion de la plaie ou un risque infectieux. Elle devra alors contacter le chirurgien si nécessaire. Si le patient reçoit une chimiothérapie par perfusion, l’idel peut intervenir pour les soins liés à la cicatrisation de la chambre implantable. « Nous pouvons par exemple effectuer des pansements à la suite de la pose d’un port-à-cathéter (PAC), indique Rémi Fabre, idel à Marseille.
Les traitements dispensés contre le cancer ne sont pas sans effets secondaires. De fait, lorsque le patient rencontre des difficultés pour s’alimenter, les médecins peuvent prescrire une alimentation entérale ou parentérale. « Ils la prescrivent également en cas de cancers de la sphère ORL, notamment parce que la radiothérapie peut brûler la gorge et empêcher le patient de s’alimenter », précise Johanna Pané. Les idel vont alors effectuer les soins liés à la pose de la sonde et gérer l’alimentation artificielle. « Nous pouvons aussi assurer des passages quotidiens pour effectuer des pré- et post-hydratations en lien avec la chimiothérapie, cytotoxique, afin d’éviter une saturation des reins », ajoute Rémi Fabre.
Au cours de leurs différentes interventions au domicile des patients, les idel assurent également leur surveillance. En cas de chimiothérapie, 48 heures avant un nouveau cycle de cure, les patients peuvent contacter les idel pour la réalisation d’une prise de sang. « La prise de sang permet de vérifier le niveau des globules blancs, des globules rouges, des plaquettes, ou encore la fonction rénale, explique Johanna Pané. Si le nombre de globules blancs est trop bas, nous pouvons leur injecter des facteurs de croissance hématopoïétiques granulocytaires humains. » Elles peuvent aussi les questionner afin de savoir comment ils se sentent, s’ils s’alimentent correctement, s’ils dorment bien, s’ils ressentent des effets secondaires. « Nous n’avons pas de prescription pour ce rôle pourtant clef, regrette Johanna Pané. Nous pouvons donc l’assurer, sans pour autant être rémunérés pour le faire, à condition de disposer d’une prescription pour intervenir à domicile pour un autre soin. »
Si le patient rencontre des difficultés, les moyens d’action à disposition des idel varient en fonction du degré d’urgence. En cas d’urgence absolue, bien entendu, le protocole exige d’appeler le 15. Pour une urgence de grade 2, si le patient a de la fièvre, une rougeur, ou si la chimiothérapie semble trop forte, les idel appellent le service hospitalier dédié et retranscrivent les informations dans le dossier de soins. Enfin, en cas d’urgence de grade 3, la rédaction des informations sur le cahier des transmissions est suffisante. Dans certains territoires et en fonction des établissements, les patients sortent d’une hospitalisation avec un classeur contenant toutes les informations sur le protocole, la conduite à tenir, et les personnes-ressources à contacter à l’hôpital en cas de besoin. « Mais bien souvent, nous n’avons pas de numéro direct dans les services, regrette Johanna Pané. Aussi, lorsqu’un problème survient à domicile, nous rencontrons des difficultés pour joindre les équipes hospitalières. L’attente est généralement longue, alors que nous ne disposons pas de ce temps dans le cadre de notre tournée. » Une situation d’autant plus angoissante les week-ends, les vacances et les jours fériés. Un travail est à mener face à cette coordination ville-hôpital difficile à mettre en place et aux prises en charge encore cloisonnées.
Lorsque les professionnels de santé exercent en MSP, les prises en charge peuvent être facilitées et fluidifiées. « Les patients apprécient, ils sont en confiance, car ils constatent que nous communiquons entre nous, reconnaît Johanna Pané. Si nous parvenions à créer ce même type de lien entre la ville et l’hôpital, le patient se sentirait davantage en sécurité dans sa prise en charge. » À titre d’exemple : « J’ai une patiente sous immunothérapie pour un cancer des poumons. Avec son médecin traitant, nous exerçons au sein de la même MSP. Les relations et la gestion des problématiques sont vraiment facilitées. En cas de problème, il se rend à son domicile, peut prescrire une prise de sang et m’en informer oralement. En parallèle, dans notre logiciel commun, j’ai accès à la prescription. » Le laboratoire de biologie médicale faisant partie de la même MSP, l’accès aux résultats est également simplifié. De plus, tous les mois, les professionnels de santé se réunissent dans le cadre d’une réunion de concertation pluriprofessionnelle (RCP) pour évoquer notamment les prises en charge en cancérologie.
Dès le dépistage ou pendant les différentes phases des traitements, l’idel se doit d’accompagner et d’informer le patient des étapes de prise en charge. L’infirmière peut le renseigner sur les examens éventuels qu’il sera amené à suivre en radiologie ou en biologie. Lors du traitement, elle peut dispenser des conseils adaptés sur la gestion des effets secondaires et sur la conduite à tenir post-chirurgie. « Nous donnons de nombreux conseils par rapport à l’alimentation, car les nausées souvent associées aux traitements sont invalidantes, pointe Lise Vinçot. Au-delà de la prise d’antiémétiques, les patients doivent adopter des règles d’hygiène de vie, notamment manger des repas froids ou s’alimenter de manière fractionnée. »
Émilie Raoux-Raud souligne le rôle pivot de l’idel : « Nous assurons le lien avec la famille, le médecin généraliste, les spécialistes, les intervenants extérieurs ou encore la pharmacie. Nous assistons à tous les stades de la maladie, à leur domicile, au cœur de la prise en charge. Lorsque les patients craquent, nous sommes présents pour eux et leur famille. Nous passons du temps à les écouter, à les informer. » L’ensemble de ce travail permet aux patients de rester chez eux. « C’est un confort pour eux, et un gain financier pour les pouvoirs publics, rappelle Lise Vinçot. C’est grâce à l’évolution de notre métier que nous pouvons réaliser les mêmes soins à la maison qu’à l’hôpital. Ce rôle devrait nous être davantage reconnu. »
Dans le cadre de la formation initiale, les infirmiers acquièrent les bases de la prise en charge en cancérologie. Cependant, l’expérience professionnelle permet d’affiner le savoir-être et le savoir-faire de l’idel dans le conseil et la réassurance des patients. « Des formations complémentaires peuvent aussi être nécessaires pour entretenir nos connaissances », estime Johanna Pané. C’est le cas par exemple pour les pansements, complexes, qui doivent être réalisés dans le respect de conditions d’hygiène particulièrement rigoureuses. Des formations peuvent également être suivies concernant les dispositifs médicaux tels que les pompes, en constante évolution technologique, tout comme les recommandations de bonnes pratiques.