L'infirmière n° 043 du 01/04/2024

 

RECHERCHE

ENQUÊTE

Geneviève Perennou  

Une étude menée en 2019-2020 auprès des infirmières praticiennes aux Pays-Bas révèle les facteurs qui les animent dans l’exercice de leur métier et les raisons qui pourraient être à l’origine d’une démotivation pouvant mener à un départ prématuré.

Les infirmières praticiennes (IP) sont aux Pays-Bas l’équivalent des infirmières de pratique avancée en France. Établie en 1997, la profession devait répondre aux besoins croissants de santé de la population. Leur nombre devrait augmenter de 10 % d’ici à 2030. Il est donc impératif de former davantage de personnel et de prévenir leur départ prématuré. Ainsi, des chercheurs se sont penchés sur les raisons qui animent ces professionnel (le) s dans leur métier et ont examiné divers facteurs tels que la motivation, le climat organisationnel et l’engagement au travail pour comprendre ce qui peut les pousser à quitter leur emploi de façon prématurée.

LES FACTEURS DE SATISFACTION

Les chercheurs ont identifié les facteurs induisant une satisfaction au travail à partir des théories sur la motivation et l’engagement au travail. Ils se sont également penchés sur des recherches antérieures, essentiellement américaines, et enfin, ils ont mené une étude auprès des IP afin de recueillir leur avis sur les facteurs les plus importants qui influencent leur motivation et leur engagement1.

Les chercheurs se sont tout d’abord intéressés aux facteurs intrinsèques, tels que la recherche de la croissance personnelle, les relations, et la contribution à la communauté, qui sont associés à une satisfaction au travail et à un engagement élevé chez les IP. En revanche, les facteurs extrinsèques tels que la rémunération et la renommée sont moins susceptibles d’être associés à une satisfaction et à un engagement élevé. Par ailleurs, l’environnement de travail joue un rôle essentiel dans la promotion de la satisfaction et de l’engagement de ces professionnel (le) s, ainsi que des recherches américaines ont pu déjà le démontrer (Poghosyan et al., 2017, 2022). Le soutien de la direction et des collègues, les opportunités de développement professionnel, et le sentiment de contrôle sur son propre travail sont des éléments importants de satisfaction et d’engagement élevé.

RÉSULTATS

Plusieurs facteurs ont été identifiés comme essentiels à la satisfaction des IP dans leur travail. Tout d’abord, l’autonomie et la qualité des relations leur apparaissent comme étant des éléments majeurs [scores moyens de 4,31 (SD .95) à 5,50 (SD .80)]2. Les IP indiquent également ressentir peu de frustration (scores moyens de 4,99 [SD 1,15) à 5,93 (SD .99)].

En ce qui concerne l’environnement de travail, les participant (e) s ont exprimé des sentiments modé­rément positifs, avec des scores moyens variant de 2,75 (SD .75) pour les relations entre les infirmières praticiennes et l’administration ; à 3,40 (SD .64) pour les relations entre les IP et les médecins.

Par ailleurs, les IP apprécient de pouvoir prendre des décisions et d’assumer la responsabilité de leurs actes. Ensuite, les compétences et les connaissances jouent un rôle important, car la satisfaction est liée au sentiment de disposer des aptitudes nécessaires pour accomplir leur travail de façon efficace. De plus, la collaboration et le soutien, notamment avec les médecins et le personnel soignant, contribuent à leur satisfaction au travail. Un environnement positif, stimulant, valorisant et respectueux, ainsi qu’une rémunération juste et des avantages sociaux sont des facteurs clés de ce contentement. Enfin, les opportunités de développement professionnel, telles que la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et de progresser dans leur carrière sont des points déterminants.

LES EFFETS POSITIFS DE LA COLLABORATION ENTRE IP

Les infirmières praticiennes de 45?ans et plus expriment une plus grande satisfaction en ce qui concerne leur autonomie, leurs compétences, et leurs relations avec la direction. De même, l’expérience professionnelle en tant qu’IP est associée à une satisfaction accrue dans tous les aspects du travail. Les infirmières praticiennes travaillant dans les maisons de retraite (M 5.17, SD .91) affichent une frustration moindre concernant leur autonomie et une satisfaction plus élevée quant à leur engagement professionnel indépendant, contrairement aux IP exerçant en psychiatrie (M 4.60, SD 1.31), moins satisfaites de leur autonomie, de leurs compétences et de leur engagement au travail.

Les IP en milieu hospitalier (M 5.92, SD .91) sont les plus satisfaites de leurs relations avec la direction, tandis que les IP en cabinet libéral (M 5.45, SD 1.11) sont les moins satisfaites de leurs relations avec les médecins. La collaboration avec d’autres IP au sein de l’organisation contribue à réduire la frustration liée à la compétence et renforce le sentiment d’appartenance. Elle favorise également la visibilité professionnelle, améliore les relations avec l’administration et renforce l’engagement au travail.

De la même manière, la collaboration avec d’autres IP en dehors de l’organisation entraîne des effets positifs comparables à ceux observés dans la collaboration interne. Les infirmières praticiennes satisfaites de leur salaire éprouvent également davantage de satisfaction vis-à-vis de leur autonomie et de leurs compétences. De plus, elles bénéficient d’une visibilité professionnelle accrue, sont plus contentes de leurs relations avec la direction, de leur pratique indépendante et du soutien qu’elles reçoivent. Cette découverte va à l’encontre des résultats de la revue systématique menée par Han et al. (2018), qui mettaient en évidence une contribution significative du salaire à l’insatisfaction au travail.

Des recherches explorant l’environnement professionnel des IPA ont déjà été menées aux États-Unis mais sur un champ de recherche plus réduit. Cette enquête néerlandaise ajoute un autre aspect, celui de la collaboration entre les IP et les médecins.

IMPLICATIONS POUR LA PRATIQUE CLINIQUE

Les résultats de cette étude peuvent être exploités afin d’améliorer l’environnement de travail des IP en leur offrant :

– des opportunités de développement professionnel,

– une rémunération équitable,

– un environnement de travail collaboratif et encourageant,

– des opportunités pour prendre des décisions et être autonome,

– un sentiment de sécurité et de stabilité.

Notes

1. Ten Hoeve, Y., Drent, G., & Kastermans, M. (2024). “Factors related to motivation, organisational climate and work engagement within the practice environment of nurse practitioners in the Netherlands”. Journal of Clinical Nursing, 33, 543-558. Disponible sur : http://doi.org/10.1111/jocn.16914.

2. Échelles d’évaluation appliquées : pour la motivation au travail, le Basic Psychological Need Satisfaction and Frustration Scale (BPNSFS), avec 24 énoncés, avec une échelle de réponse allant de 1 (Pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord) ; pour le climat organisationnel, le Nurse Practitioner Primary Care Organizational Climate Questionnaire (PCOCQ), avec 29 items et une échelle de réponse allant de 1 (tout à fait d’accord) à 4 (pas du tout d’accord), et enfin, pour l’engagement au travail, le Utrecht Work Engagement Scale (UWES), avec 17 items évalués sur une échelle de 0 (jamais) à 6 (toujours/quotidiennement).

Méthodologie de l’étude

Une étude transversale a été menée en 2019-2020 auprès d’IP aux Pays-Bas, avec 586 questionnaires remplis principalement par des femmes (85 %), d’un âge moyen de 47 ans (26 à 66 ans). Environ la moitié de ces personnes travaillaient dans un hôpital général (45 %), et la grande majorité (94 %) d’entre-elles étaient employées dans une organisation comptant un nombre significatif d’IP. Les tests de Kruskal-Wallis et les tests U de Mann-Whitney ont été utilisés pour tester la relation entre les variables indépendantes et dépendantes. Les réponses aux questions ouvertes ont été codées et catégorisées en thèmes. La liste de vérification STROBE a été suivie.