L'infirmière n° 044 du 01/05/2024

 

DOSSIER

BURN-OUT

En France, la prise en charge des soignants en burn-out est très variable selon les régions. Depuis septembre dernier, la polyclinique Saint-Laurent, à Rennes, compte une unité qui leur est réservée. Ils y bénéficient d’un parcours de soins spécifique de trois semaines, assuré par une équipe pluridisciplinaire. Une première dans le Grand Ouest.

Fermez les yeux et visualisez un souvenir agréable. Repassez-le autant de fois que nécessaire jusqu’à vous sentir léger… Voilà c’est bien. Continuez à respirer profondément ». D’une voix douce et posée, Sébastien Garnier donne ses instructions. Un silence religieux règne dans cette grande pièce largement ouverte sur le parc où commencent à éclore les premiers bourgeons du printemps. Assises en cercle, quatre personnes, les yeux clos, semblent somnoler. Pourtant, point de sommeil ici mais une séance d’hypnose, et l’infirmier qui l’orchestre, est l’un des membres de la toute récente unité de soins pour les soignants. Celle-ci a vu le jour en septembre 2023, au sein de la polyclinique Saint-Laurent, à Rennes (Ille-et-Vilaine), et propose un programme thérapeutique qui s’adresse exclusivement aux professionnels de santé en situation d’épuisement professionnel. Médecins, infirmiers, aides-soignants et même vétérinaires y sont accueillis pour une durée d’hospitalisation de trois semaines dans le service de psychiatrie. « L’idée est de favoriser une mise à distance de leur travail et de les aider à déposer leur blouse. Il s’agit aussi, durant ce laps de temps, de travailler les raisons qui les ont amenées à l’épuisement pour que cela ne se reproduise pas », explique son initiateur Vincent Lepage, cadre de santé. Cela fait des années qu’il assiste à la dégradation de l’état physique et mental des soignants, maltraités par un système de santé à bout de souffle. Des soignants qui, quand ils franchissaient le cap de l’hospitalisation, étaient jusqu’ici considérés comme des patients parmi d’autres. Ce qu’ils ne sont pas. « On est face à des personnes qui ont des difficultés à se mettre dans la posture du patient. Accepter de lâcher prise quand on a pris l’habitude d’être celui qui soigne est un changement de paradigme qui est compliqué à opérer pour eux », constate Vincent Lepage.

Programme complet

Tout l’enjeu de cette prise en charge spécifique consiste par conséquent à aider les soignants à prendre conscience qu’ils existent en dehors de leur métier. « Il ne faut pas se leurrer, ils ne quittent jamais vraiment leur identité de soignant ; ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de cet accompagnement, mais si, au moins, ils comprennent qu’ils doivent prendre soin d’eux, ce sera déjà un grand pas de fait », clarifie Sébastien Garnier. Autohypnose, ateliers de relaxation, renforcement musculaire ou encore sophrologie, groupes de paroles… chaque jour, le parcours de soins doit permettre aux professionnels de santé hospitalisés de recouvrer un esprit sain dans un corps sain. La première semaine est ainsi centrée sur une approche psychocorporelle, la deuxième est plutôt axée sur la dimension psychothérapeutique. Quant à la troisième, elle vise la réhabilitation psychosociale via des séances d’affirmation de soi ou de psychoéducation. À cette fin, deux professionnelles à temps plein, une infirmière et une aide-soignante, sont spécifiquement détachées pour animer les ateliers thérapeutiques durant la journée. Au besoin, elles sont épaulées par les autres professionnels du service, qui interviennent en relais sur certaines activités du programme.

Un cap difficile à franchir

S’il n’est pas unique dans le grand ouest de la France, le dispositif rennais est le seul à proposer d’hospitaliser les soignants mal en point, quand la plupart les prennent en charge en accueil de jour. L’avantage ? Être accessible à des personnes issues d’autres régions à qui l’on peut offrir un parcours plus condensé. Mais cette formule semble présenter un obstacle que l’initiateur du projet n’avait pas forcément anticipé. « Je ne sais pas si c’est le fait d’être hospitalisé en service de psychiatrie ou celui d’avoir à passer le cap de l’hospitalisation, mais nous avons du mal à remplir notre unité, alors que le nombre de soignants qui pourraient en bénéficier ne cesse de croître », note Vincent Lepage, visiblement déçu.

C’est d’autant plus étonnant que lorsque j’ai présenté le dispositif, j’ai reçu l’appui de l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS), de SOS médecins et de l’ensemble des unions régionales des professionnels de santé (URPS) de Bretagne ; ce qui prouve qu’il y a une vraie demande » Depuis son ouverture en septembre dernier, seule une vingtaine de soignants a été prise en charge au sein de l’unité, et jamais plus de cinq à la fois alors que le dispositif peut dédier jusqu’à dix lits à cet effet.

Rythme de croisière

Quelle qu’en soit la raison, le cadre de santé ne baisse pas les bras pour autant. Car bien qu’il n’attire pas les foules pour le moment, son programme de soins, pensé en collaboration avec son équipe pluridisciplinaire, n’en demeure pas moins pertinent. « Après trois semaines, il y a forcément une évolution, notamment chez ceux qui parviennent à s’approprier les outils », constate Caty Garnier, infirmière dans cette unité. Ceux-là repartent de l’hospitalisation avec, dans leurs bagages, une boîte remplie de bonnes pratiques à réutiliser au quotidien, en complément d’un engagement à se faire suivre en libéral. Reste que, pour une petite part de soignants récalcitrants, cet accompagnement, bien que spécifique et personnalisé, n’opère pas. « On a eu quelques médecins avec qui c’était vraiment compliqué. Ils passaient leur temps à remettre en question ce qu’on leur proposait, n’abandonnant finalement jamais complètement leur blouse. Pour moi, c’est la principale difficulté identifiée jusqu’ici. Est-ce que cela veut dire qu’il faut revoir l’orientation en amont ? », réfléchit tout haut Vincent Lepage. Pour l’heure, le cadre de santé accepte toutes les personnes adressées par un médecin du travail, un médecin traitant ou un psychiatre libéral, même si certains confondent encore dépression et épuisement professionnel. Faudra-t-il instaurer une évaluation plus poussée pour les futures personnes en demande d’hospitalisation ? « L’unité est encore très récente. Cela va sans doute prendre un an avant qu’elle ne trouve son rythme de croisière », confie-t-il. D’ici là, l’accompagnement devra peut-être être revu pour s’adapter aux besoins des soignants patients. Une chose est sûre : l’hypnose continuera d’en faire partie.

1. Sébastien Garnier, IDE formé à l’hypnose et intervenant régulier ;

2. Vincent Lepage, cadre de santé responsable de l’unité ;

3. Deux IDE sont rattachés à l’unité, dont Caty Garnier ;

4. Lors de ses séances, Sébastien Garnier apprend à ses patients l’autohypnose pour qu’ils puissent s’en saisir une fois sortis d’hospitalisation.