CONSEILS PÉDAGOGIQUES À L’INTENTION DES TUTEURS DE STAGES
FORMATION
STAGE
*infirmier, M. Sc (ingénierie de la santé ; recherche en sciences de l’éducation), cadre de santé, formateur.
**infirmière puéricultrice, Ph. D en sciences infirmières
***maître de conférences en sciences infirmières (CNU 92)
****chercheure associée au réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec (RRISIQ)
*****membre invitée du Centre d’innovation en formation infirmière (CIFI), cadre de santé formatrice.
Une enquête menée auprès d’étudiants en soins infirmiers (ESI) a permis de dégager des axes d’amélioration relatifs au processus de leur évaluation en stage. Ce dossier apporte un éclairage sur quelques principes pédagogiques à destination des encadrants de stages, notamment les tuteurs
Quels conseils peut-on prodiguer à des professionnels qui sont amenés à encadrer un ESI lors de son stage ? Les tuteurs ont leurs propres contraintes et développent, comme tout formateur, leur style pédagogique. Les points importants relevés par les ESI dans l’enquête précitée (voir L’Infirmièr.e n° 42) et les recherches en sciences de l’éducation permettent de développer quelques conseils pédagogiques qui, tenant compte du contexte actuel, faciliteront l’apprentissage et l’évaluation en stage des ESI.
Les ESI appréhendent généralement leur premier jour de stage. Leur réserver un accueil optimal est donc primordial. Les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) français présentent « un archipel hétéroclite de formations et de pratiques »(1), ce qui constitue une richesse, tout en générant parfois des contraintes pour les ESI. En effet, si certains Ifsi sont situés en région urbaine ou péri-urbaine, à proximité des grands centres hospitaliers proposant une offre de stages concentrée, d’autres sont obligés d’envoyer les stagiaires dans des zones excentrées, voire isolées. De plus, certaines structures de soins se trouvent à l’intersection de secteurs géographiques communs entre plusieurs Ifsi, ce qui peut provoquer un afflux d’ESI face à un nombre limité de d’encadrants formés au tutorat. La composante topographique peut aussi être compliquée avec un effectif de professionnels variable, en fonction de l’absentéisme, des périodes de congés, ou du travail en 12 h, ce qui ne facilite pas toujours un accompagnement idéal des tutorés. Quel que soit le contexte, les ESI apprécient de se sentir attendus, accueillis. Par définition, l’accueil est un « ensemble des dispositions prises pour recevoir une ou plusieurs personnes »(2). Il y a donc nécessairement, pour ce moment, une notion d’anticipation. En pratique, les ESI souhaitent que l’équipe ne soit pas surprise de leur arrivée en stage, que leur planning soit prêt, ce qui est facilité par la prise de contact par l’ESI en amont du stage, même si celle-ci est réalisée en distanciel, par téléphone ou en visioconférence. Cette posture d’accueil revient en premier lieu au maître et au tuteur de stage. Lors de la préparation du stage à l’Ifsi, les ESI rédigent des objectifs qu’ils doivent présenter et ajuster au moment de leur rencontre avec l’équipe soignante au début du stage. Cet entretien permet, portfolio à l’appui, de visualiser le parcours de stage de l’ESI et de personnaliser les objectifs. Chaque nouveau stage constitue une découverte, en termes de pratiques et d’organisation. Il est donc souhaitable de procéder à une visite rapide du service, de le situer dans son environnement et de repérer ses liens avec d’autres unités, pôles ou satellites. Accueillir, c’est aussi proposer un ancrage physique : disposer d’un vestiaire, d’une tenue professionnelle, d’un badge ou identifiant permettant de se rendre au self, d’accéder aux dossiers de soins informatisés et de tracer les soins réalisés.
Dès le début du stage, il est essentiel de contribuer à l’intégration de l’ESI au sein de l’équipe soignante, de le valoriser, à savoir littéralement de reconnaître sa présence. Pour cela, il est important que l’ESI puisse se présenter à l’équipe, qu’il décline brièvement son parcours de stage et au moins ses objectifs prioritaires, ce qui permet à l’équipe de mieux l’identifier. Cette dynamique formelle s’accompagne d’échanges plus informels pour faire connaissance. Connaître, c’est étymologiquement « naître avec ». En pratique, cela veut dire que pour chaque ESI, les professionnels doivent en partie réinventer leur posture d’encadrant afin de réaliser un stage adapté, personnalisé. La question pour le tuteur de stage à propos du tutoré est : « Quelles sont les articulations entre théories et pratiques qui prennent en compte le parcours, le projet personnel et le projet professionnel ? »(3). En fonction de son niveau de formation, il est indiqué de confier à l’ESI, rapidement, même s’il n’est pas laissé seul pour les soins, un patient ou un groupe de patients, correspondant aux situations emblématiques du service, pour lesquels il pourra agir concrètement. Il est pertinent pour son intégration qu’il participe aux transmissions orales concernant les patients qui lui ont été confiés, ce qui lui permet de développer son leadership.
Idéalement, le tuteur de stage devrait être présent au début du stage, notamment pour évaluer le niveau de l’ESI et démontrer des actes de soins. En effet, les ESI apprennent beaucoup en stage par l’exemple, leur attention y est mieux mobilisée, ce qui correspond à la méthode pédagogique démonstrative. Aussi, chaque nouvel acte infirmier devrait faire l’objet d’une démonstration par un professionnel encadrant l’ESI, en respectant quatre étapes. Lors de la première, le professionnel évalue les connaissances de l’ESI. Puis, dans un deuxième temps, il veille à décomposer l’acte et à mettre en avant les points clefs. Pour cela, le geste est accompagné de la parole, la voix souligne les éléments importants. Dans la troisième étape, l’ESI se met à la place du professionnel et reproduit la démonstration, si besoin plusieurs fois, de manière à s’approcher le plus possible du résultat et/ou du comportement attendu. Cette étape est fondamentale car « ce n’est pas en écoutant quelqu’un parler que l’on évolue. C’est en agissant et en vivant des expériences »(4). L’étape finale consiste pour l’ESI à reformuler à l’oral ce qu’il a retenu, afin de donner sens à son action, évaluer que l’acte est bien compris, identifier d’éventuelles erreurs d’interprétation et co-valider l’apprentissage. Dans cette dynamique, il est important que l’ESI puisse confronter ses apprentissages à l’Ifsi à ceux réalisés tout au long du stage. Cette pédagogie de la confrontation entre savoirs théoriques et savoirs expérientiels constitue un vecteur de sa construction identitaire. « Il faudra donc ne jamais oublier qu’un apprentissage part d’une expérience et non de concepts théoriques, afin d’exploiter les situations de travail comme autant de problèmes à résoudre »(5). Cette affirmation s’appuie notamment sur le modèle d’apprentissage 10-20-70 qui postule que seulement 10 % de l’apprentissage s’acquiert par la formation académique (cours à l’Ifsi), 20 % au cours des interactions sociales (« Social Learning ») et 70 % dans le milieu du travail en configuration de résolution de tâches(6). Les auteurs qui ont travaillé sur ce modèle d’apprentissage expliquent cette primauté de l’apprentissage via l’expérience par une prise de conscience découlant par exemple d’un échec ou d’une erreur.
L’erreur est souvent perçue par les ESI comme une faute, qui peut impacter leur évaluation de stage. On sait par exemple que les accidents d’exposition au sang (AES) des ESI sont sous-déclarés du fait d’une perception négative (faute 55 %, maladresse 82 %) et de la peur des conséquences sur leur bilan de stage et leur formation (31 %)(7). L’ESI peut aussi, selon la typologie du service (urgences, réanimation, etc.), avoir le sentiment de ne pas être à la hauteur. Il est donc important d’utiliser l’erreur comme un outil pédagogique et non comme une source de culpabilisation. La posture de l’évaluateur est de repérer les erreurs, car évaluer c’est aussi identifier(8), pour guider l’ESI dans l’amélioration de ses pratiques professionnelles. Dans ce domaine, les méthodes d’évaluation de stage sont encore « tuteur dépendant », comme l’a montré une étude québécoise : « Certain (e) s enseignant (e) s sanctionnent l’étudiant (e) au premier comportement présentant une faiblesse, tandis que d’autres accordent plusieurs chances à l’étudiant (e) avant de le ou la pénaliser, sans toutefois soutenir l’amélioration des comportements problématiques à l’aide de la rétroaction formative »(9). Apprendre, c’est toujours prendre le risque de se tromper. L’étymologie du mot « erreur » vient du latin « error », action d’errer çà et là(10). La différence entre l’erreur et la faute résulte, entre autres de la représentation que se fait le tuteur de stage de l’acte d’apprendre. « Le travail sur l’erreur permet d’instaurer un climat de confiance dans lequel l’erreur n’est plus stigmatisée mais devient un matériau collectif pour la construction du savoir »(11). En fait, l’erreur peut servir d’indicateur des processus intellectuels en jeu lors de l’apprentissage en stage. La posture d’accompagnement du tuteur permet alors à l’ESI de dépasser la difficulté consistant à substituer ses conceptions erronées par de nouvelles correctes. Pour repérer la typologie de l’erreur, les encadrants peuvent s’aider du tableau 1.
Quelle que soit la typologie de l’erreur, il est important que l’ESI l’identifie également. De cette manière, l’ap prentissage est plus efficace et permet au tuteur de stage de renvoyer à l’apprenant un feedback positif.
Comme chacun, les ESI ont besoin de retours positifs, de valorisation de leur progression. Un feedback positif ou rétroaction positive correspond au fait de mettre en valeur l’apprentissage de l’ESI. Il s’agit d’être attentif à ses progrès, ce qui nécessite de passer du temps avec lui pour bien le connaître et se rendre compte des changements, de son cheminement dans son processus de professionnalisation. Cette dynamique passe aussi par des temps d’échanges entre membres de l’équipe de soins, en l’absence de l’ESI. Ainsi, les progrès peuvent être rapportés par chaque professionnel qui a vu l’ESI travailler. Reconnaître les progrès d’un stagiaire permet de jouer sur la motivation (voir encadré). En pratique, il s’agit de laisser l’ESI proposer de réaliser des activités de soins. L’autodétermination est en effet davantage porteuse d’apprentissage que la contrainte à effectuer une tâche. La motivation constitue une force qui pousse à l’action, elle est essentiellement régie par l’auto-efficacité ou un sentiment d’efficacité personnelle (SEP) théorisé par Bandura(13). Le SEP est différent du besoin d’estime de soi, car il renvoie à la sensation de compétence, fondement actuel de la formation initiale en soins infirmiers. L’ESI aura un SEP plus élevé s’il réalise une activité où il trouve mentalement une satisfaction, par exemple le plaisir d’un soin bien effectué, comme un pansement bien posé… Si en plus de cette réussite, les professionnels qui l’encadrent lui font un feedback positif, l’ESI sera enclin à se dépasser, à se fixer des défis de plus en plus complexes. Cette quête de l’autonomie professionnelle passe inévitablement par une autoévaluation.
La perception de compétence ou SEP se réfère au jugement que l’ESI porte sur sa capacité de réussir des soins en situation, dans un environnement donné. Le concept de SEP est donc corrélé à celui d’autoévaluation. Celle-ci se fonde sur une implication forte de l’apprenant dans le processus d’évaluation, qui peut se présenter sous trois formes : « l’autoévaluation au sens strict (l’élève s’évalue), l’évaluation mutuelle (plusieurs élèves s’évaluent), la coévaluation (l’autoévaluation de l’élève est confrontée à l’évaluation de l’enseignant) »(14). Cette dernière est à privilégier lors des bilans de stage. Cependant, il ne faut pas attendre le bilan de mi-stage ou de fin de stage pour engager l’ESI dans son évaluation. S’autoévaluer n’est pas facile, cela s’apprend par une pratique régulière. Il est souhaitable de procéder à une autoévaluation hebdomadaire d’une dizaine de minutes, avec le tuteur de stage ou un des professionnels ayant accompagné l’ESI durant la semaine. Cette autoévaluation hebdomadaire peut se passer du portfolio, car ce support manque d’ergonomie pour ces évaluations rapides(15). Une fiche d’activités où l’ESI aura listé les soins effectués, enrichie des noms, fonctions et commentaires des professionnels ayant évalué chaque soin est préférable. À l’appui de cette fiche d’activités, l’ESI pourra décrire chaque soin réalisé au cours d’un entretien d’explicitation.
Théorisé par Vermersch(16), l’entretien d’explicitation est une technique qui s’appuie sur la narration par l’ESI de son action/activité après coup. Cette dynamique mobilise la mémoire du vécu (ou mémoire concrète) et favorise la consolidation des apprentissages. Elle utilise le questionnement descriptif de l’action en évitant les « pourquoi ? » qui amènent davantage l’ESI à se justifier qu’à s’auto-évaluer. Ici, ce n’est pas le résultat de l’action qui intéresse mais son déroulement qui permet de travailler sur le sens, les difficultés d’apprentissage, les causes d’erreurs, de dysfonctionnements, les réussites, les intentions, les stratégies, les raisonnements, etc. Ce type d’entretien permet d’éviter les biais tels que les opinions, les jugements, pour se focaliser sur la dimension factuelle de l’activité vécue. L’action comportant une part d’implicite (savoir-faire un acte de façon non consciente), l’entretien d’explicitation permet à l’ESI de conscientiser ce savoir-faire. Pour Vermersch, l’intention est de fournir à l’apprenant une aide à l’introspection, ce qui constitue une vraie compétence : « Cette compétence est présupposée comme acquise par tous et allant de soi depuis toujours […] or la compétence à s’introspecter est pour la majeure partie des personnes peu développée »(17). Il est donc important, grâce à l’entretien d’explicitation, d’accompagner les ESI progressivement à la narration autobiographique.
Les nouvelles générations d’ESI peuvent surprendre les encadrants en stage et poser d’éventuels problèmes dont les Ifsi sont régulièrement informés (ESI trop familiers avec les professionnels, désinvoltes, négociant leurs horaires, les soins, etc.). Il est constaté globalement une non-compréhension des attentes des nouvelles générations, qui fonctionnent avec des codes différents, ce qui constitue un obstacle à l’encadrement des stagiaires et in fine un frein pour que les néodiplômés restent à l’hôpital(18). S’y ajoutent le manque de connaissances, les fautes d’hygiène, voire les erreurs pouvant porter dommage aux patients dans la pratique des soins. Il faut citer également les ESI qui ont une représentation erronée de la profession, refusant de réaliser des soins qu’ils jugent dégradants (toilette complète ou vider un bassin). Enfin, certains ESI ne parviennent pas à prendre leurs responsabilités, notamment de la 1re à la 2e année, lors de la réalisation de gestes plus invasifs ou plus techniques, avec davantage d’autonomie. Cet aperçu n’est pas exhaustif. Ces exemples impliquent de ne pas laisser la situation perdurer et de travailler en étroite collaboration avec les Ifsi. Il est essentiel d’informer le maître de stage et le référent de stage dès l’apparition d’un problème. Une visite de stage doit permettre une médiation, voire la mise en place d’un contrat d’accompagnement pédagogique de l’ESI avec la formalisation d’objectifs d’amélioration.
Le référentiel de formation indique un temps d’apprentissage (2 100 h) équivalent en institut de formation et en stage. En réalité, les ESI apprennent davantage en stage, via la construction des savoirs expérientiels. L’évaluation de stage, c’est-à-dire la mise en valeur de la construction de leurs connais sances et du développement de leurs compétences, revêt donc une importance capitale et mérite toute l’attention des structures et des personnels chargés de l’encadrement de stage. Pour ce faire, la posture de tuteur de stage s’inscrit, avec l’instruction ministérielle de 2016(20), dans un processus de professionnalisation basé sur une formation de 4 jours minimum (28 heures). C’est dans la rencontre ESI/tuteur que peut exister et être reconnue la posture de tuteur de stage. C’est donc aux organisations, avec en premier chef les maîtres de stage, de permettre aux tuteurs de disposer d’un temps dédié, ce qui dans un contexte de pénurie de personnel représente une réelle difficulté. Aujourd’hui, de nouvelles perspectives font l’objet de recherches, comme notamment le tutorat entre pairs (entre ESI). En Belgique, une étude qualitative a montré que l’apprentissage par des pairs est jugé tout aussi bénéfique par les ESI, d’un point de vue psychologique comme relationnel, que les apprentissages en stage. « Cette recherche permet de prendre conscience de deux faits importants : les étudiants infirmiers peuvent apprendre les uns des autres, et les infirmiers expérimentés ne sont pas toujours les personnes les mieux placées pour permettre l’apprentissage des stagiaires novices »(21). Les pratiques d’encadrement en stage ne sont donc pas figées mais doivent se réinventer en fonction des contextes et des possibles.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
La motivation extrinsèque est régie par les renforcements, autrement dit les récompenses (les bonnes notes à l’Ifsi ou les compétences validées en stage). La motivation intrinsèque est focalisée sur l’intérêt pour l’activité elle-même, pour ce qui concerne les ESI, la réalisation de soins et in fine l’autonomie professionnelle.
Une part croissante des ESI présente des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, communément nommés « Dys » (dyslexique, dysorthographique, dyspraxique, etc.). Ils sont causés par des dysfonctionnements des fonctions cognitives liées au langage, à l’écriture, au calcul, aux gestes et à l’attention. L’ESI atteint d’un trouble « Dys » peut développer une forte peur de l’échec, que les psychologues nomment « anxiété de performance »(19). Ceci renvoie au conseil numéro 4 : utiliser positivement le droit à l’erreur. Il existe, au sein des Ifsi, des référents handicap qui s’occupent de ces situations, tant d’un point de vue administratif que pédagogique : certains ESI bénéficient d’un tiers-temps et/ou d’un ordinateur lors des évaluations. Pour autant, les ESI en stage ne parlent pas nécessairement de leur handicap et la manifestation d’un trouble indépendant de leur volonté peut être perçue comme une forme d’incompétence par l’encadrement. En cas de doute, il est conseillé aux tuteurs de contacter rapidement le référent du stage à l’Ifsi.