IDEL JUSQU’À L’ÉPUISEMENT
DOSSIER
BURN-OUT
À l’instar de nombreux soignants, Virginie C. est devenue infirmière par vocation. Un métier qui lui a pourtant coûté sa santé puisqu’en 2018, elle a fait un burn-out. Aujourd’hui, toujours en arrêt de travail, elle tire les leçons de cette épreuve. Son principal regret : ne pas avoir demandé de l’aide plus tôt.
Voilà six ans que Virginie C. ne peut plus travailler, empêchée par des douleurs qui se sont installées durablement. Sur son arrêt de travail, on peut lire « fibromyalgie » et « endométriose », deux pathologies décelées quelques mois avant que cette infirmière ne cesse son activité libérale. Mais rien sur le burn-out qui, elle le comprend aujourd’hui, est la cause réelle de tous ses maux. « J’étais dans le déni total à cette époque. Cela ne pouvait pas m’arriver à moi. J’étais une guerrière ! Alors j’ai pris sur moi, même si les signaux d’alerte étaient de plus en plus envahissants », rembobine cette Tarnaise qui a le sens du soin « dans son ADN ». Difficile de dater le début de son épuisement professionnel, tant les symptômes peuvent être sournois. En fouillant dans sa mémoire, Virginie se rappelle d’une période où elle était agacée tout le temps, et en particulier par ses patients qui lui donnaient l’impression d’être corvéable à merci. « Combien de fois ai-je dû faire des choses qui n’étaient normalement pas de mon ressort, comme appeler le médecin pour renouveler les traitements, aller à la pharmacie, réchauffer le petit-déjeuner, aller chercher le courrier… Je me voyais mal refuser, mais tout cela m’épuisait », illustre la quarantenaire.
Bien qu’à rallonge, les journées ne suffisent dès lors plus à absorber la charge de travail. Entre les nombreux soins, les déplacements d’un domicile à l’autre et les tâches administratives, le stress devient permanent.
Passer le relais ? Impossible, sa collaboratrice étant elle-même arrêtée pour des problèmes de dos. « Je me suis sentie seule au monde.
Je ne savais pas vers qui me tourner pour obtenir de l’aide », avoue celle à qui manque alors le précieux soutien d’un collectif institutionnel. Un événement, certes anodin, vient toutefois fendre l’armure qu’elle pensait invincible. « Mon fils a raté une heure de cours car je pensais que son professeur était absent, alors qu’il ne l’était pas. Rien de grave, mais en l’apprenant, j’ai fondu en larmes sans pouvoir m’arrêter. Là, j’ai pris peur », raconte-t-elle avec des trémolos dans la voix. Un rendezvous en urgence chez une psychologue confirme, résultats du MBI Test(1) à l’appui, que l’infirmière souffre bel et bien d’un épuisement professionnel. Mais là encore, qui pour la seconder ? « Quand on est en libéral, on travaille même malade, sinon on ne gagne pas d’argent. Il faut se verser un salaire mais surtout payer les charges importantes. J’ai bien tenté de ralentir, mais cela n’a pas suffi », déplore-t-elle.
Parallèlement, Virginie entame tout de même une psychothérapie, assortie d’un traitement antidépresseur. Gestion du stress, EMDR(2), hypnose ou encore méditation de pleine conscience, ensemble elles mettent au point un programme pour permettre à la soignante de poursuivre son activité tout en s’accordant plus de repos. « Petit à petit j’ai aussi appris à dire non et à éteindre mon téléphone le weekend, ce que je ne m’autorisais pas à faire avant », complète l’Idel. Mais alors qu’elle pensait avoir fait le nécessaire, des pensées suicidaires commencent à surgir fin 2017. C’en est trop ! Cette fois, l’évidence s’impose : Virginie doit raccrocher sa blouse. Tard, beaucoup trop tard, considère cette dernière. « À force de lutter, je me suis complètement vidée et la maladie a pris le dessus. La femme que j’étais, dynamique, prête à bondir au moindre mouvement, n’est plus. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir 80 ans. Même ma voisine de 75 ans est plus en forme que moi », regrette-t-elle. Que faire quand son corps ne répond plus mais que l’envie de soigner reste intacte ? Comment ralentir le rythme quand on a été habituée à courir ? On ne sort pas indemne d’un burn-out et encore moins quand on est allé au-delà de ses limites. Pour le moment, et après six ans d’arrêt, la priorité de Virginie est d’apprendre à vivre au quotidien avec la maladie en prenant soin d’elle-même. Le burn-out aura au moins permis ça. À presque 50 ans, un nouveau chapitre s’ouvre où il est question de reprendre goût à la vie mais aussi, peutêtre, d’envisager un avenir professionnel. Renfilera-t-elle sa blouse blanche pour autant ? « C’est encore très flou. J’ai des envies mais j’ai du mal à me projeter dans une éventuelle reprise professionnelle, avoue cette maman de deux adolescents. Reste que le métier d’infirmière est merveilleux et que si j’en ai l’opportunité, j’aimerais continuer à aider les autres. »
1. Le MBI (Maslach Burnout Inventory) Test est le questionnaire de référence créé par Christina Maslach, une psychologue américaine, pour évaluer l’épuisement professionnel. https://tinyurl.com/5bz5hnpu.
2. EMDR, d’après l’anglais Eye Movement Desensitization and Reprocessing, ou l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, est une technique utilisée pour la prise en charge du stress post-traumatique. https://tinyurl.com/2achez5s.