Depuis une quinzaine d’années, pour soulager leurs patients ou contribuer à leur confort, des médecins et soignants d’hôpitaux français ajoutent des protocoles d’aromathérapie à leurs traitements conventionnels. Cette approche par les huiles essentielles s’institutionnalise dans différents services, comme soin de support ou d’accompagnement, à l’instar d’autres thérapies complémentaires.
De la menthe poivrée contre les nausées, de la mandarine ou du petit grain bigarade pour réduire l’anxiété et favoriser le sommeil, du citron et de l’eucalyptus contre des odeurs désagréables… L’aromathérapie(1) fait son chemin à l’hôpital(2) dans plusieurs services pour répondre à différents objectifs… Cette thérapeutique utilise les huiles essentielles - HE selon l’ANSM(3) - et les hydrolats aromatiques, extraits de plantes médicinales, pour soulager les patients. Par diffusion, par olfaction avec un stick ou une compresse, ou par massage.
« Les huiles essentielles peuvent avoir plusieurs actions, du fait de leur composition complexe, rappelle Caroline Viard, pharmacienne hospitalière au CHU de Toulouse. La lavande, par exemple, est à la fois apaisante, antispasmodique, antalgique, antiseptique et cicatrisante. » Ce CHU a référencé 20 huiles essentielles, parmi lesquelles figurent le citron, l’orange, la bergamote, le petit grain bigarade, la mandarine, le bois de Hô ou le basilic grand vert. « Nous recourons à l’aromathérapie en cas d’anxiété, de nausées, de vomissements ou de douleurs et pour éliminer des odeurs désagréables, traiter l’insomnie, stimuler l’appétit, effectuer un soin de bouche », indique la professionnelle. C’est par elle, titulaire du diplôme universitaire (DU) d’aromathérapie scientifique à visée clinique de l’université de Bourgogne, à Dijon, que passent le référencement et les commandes d’huiles essentielles labellisées.
Depuis 2016, le CHU de Toulouse utilise les HE dans le service des grands brûlés. « Les plaies malodorantes génèrent de l’anxiété, notamment, et sont perturbantes pour les patients, pour leurs familles aussi », indique Caroline Viard. Ces odeurs liées à la carbonisation des tissus et à la prolifération bactérienne sont parfois minorées. « Des soignants eux-mêmes fractionnent voire écourtent les soins à cause d’elles, d’autant qu’ils travaillent dans des espaces clos », précise la pharmacienne. Un protocole a été mis au point avec des huiles essentielles de lavande, de palmarosa et d’encens oliban pour gérer le ressenti olfactif (le CHU de Nantes a fait de même sur tout le plateau des urgences).
« L’aromathérapie a été adoptée ici comme méthode intégrative associée aux traitements conventionnels que chaque soignant peut s’approprier », confie Marie-Pierre Plaza. Cette infirmière diplômée d’État (IDE), cadre de santé retraitée depuis peu, a beaucoup contribué au déploiement des protocoles dans ce service et continue de mener des missions au CHU de Toulouse. « Cela permet à l’IDE ou à l’aide-soignant (e) d’être co-acteur, en proposant un outil qui permet de prendre en charge le patient dans sa globalité. » Cette approche participe aussi de la notion de qualité de vie au travail.
« C’est valorisant et fédérateur », dit-elle. En 2017, ce CHU a également introduit dans son service de chirurgie thoracique des protocoles d’aromathérapie. Ils sont proposés à des patients dont beaucoup sont atteints de cancer, en cas d’anxiété préopératoire par voie olfactive, ou de douleur aiguë postopératoire par voie cutanée. « L’aromathérapie s’est institutionnalisée ici comme soin de support, et cela a pu se faire avec l’accord du chef de service », se félicite Claudie Lavedan, IDE du service et infirmière de coordination et d’annonce qui a rédigé et mis en œuvre des protocoles. « Nous avions déjà recours à l’hypnose analgésique pour l’installation de drains thoraciques », ajoute la soignante, elle-même formée à l’hypnoanalgésie et à la sophrologie. Dans le cadre du plan de formation continue du CHU, cette infirmière a suivi le programme « Aromathérapie Step by Step » de l’École internationale du bien-être de Toulouse, puis le DU « Aromathérapie scientifique à visée clinique » de Dijon. « Ce diplôme est indispensable pour poser les bases d’un usage le plus sécurisé possible », précise-t-elle.
En 2022, le CHU a mis en place un groupe de travail pluridisciplinaire - Aromasoins - autour de l’aromathérapie. Des médecins, infirmiers, aides-soignants, pharmaciens, préparateurs et kinésithérapeutes y participent, avec des représentants de la direction des soins. Objectif : promouvoir l’utilisation des huiles essentielles en garantissant un approvisionnement sécurisé. « L’idée est d’accompagner les soignants qui souhaitent développer l’aromathérapie, de renforcer la formation et de rédiger des protocoles transversaux communs », indique Caroline Viard. Dans cet hôpital, et dans les établissements qui en dépendent, l’aromathérapie est aujourd’hui utilisée en oncologie, en soins palliatifs, en chirurgie, en soins intensifs neurovasculaires, en chirurgie maxillofaciale et, depuis janvier 2024, pour traiter l’anxiété des patientes avant une ponction ovocytaire et bientôt en pédiatrie. « Les protocoles sont proposés aux patients après information, et ils sont traçables dans le dossier de soins », précise Caroline Viard.
Le CHU de Poitiers fait partie des hôpitaux dont la pratique de l’aromathérapie est l’une des plus anciennes dans le pays. Elle a démarré en soins palliatifs dès 2009 avec une cadre de santé formée en aromathérapie. « Le déploiement s’est fait, au départ, avec des fonds associatifs », note Patrick Giret, cadre supérieur à la direction des soins, qui dirige la commission aromathérapie de l’établissement. « Il y a trois ans, nous avons souhaité structurer la pratique en travaillant avec le pharmacien de l’hôpital pour mettre en place un circuit huiles essentielles identique à celui des médicaments », précise-t-il. Un travail a été fait en parallèle avec le service informatique pour assurer la traçabilité des prescriptions et des séances. Douze huiles essentielles ont été référencées dans cet hôpital et sont utilisées en oncologie et en soins palliatifs. L’usage est essentiellement olfactif, pour gérer des nausées ou des émotions. « Nous en avons identifié cinq, fréquentes dans notre service, telles que la colère ou le découragement », indique Nathalie Fouché, IDE en hématologie, en service protégé. Et aussi pour traiter des effets en lien, comme l’insomnie, le stress ou encore le besoin de bien-être. Cette soignante, qui s’intéresse à la prise en charge psychologique des patients en cancérologie, a suivi le DU de psychooncologie de Lille. « Nous avons choisi avec un spécialiste des huiles ciblant ces émotions, raconte-t-elle, et créé une valisette qui permet de répondre à la demande d’un patient ou de lui suggérer un soin. » Ce dernier peut choisir parmi trois huiles le protocole s’appliquant en diffusion par ventilation, avec des lunettes olfactives, ou encore avec un stick. « On imbibe la mèche avec 10 à 12 gouttes d’huiles essentielles, et le stick est chargé pour trois semaines, indique l’infirmière. Cet outil peu coûteux est discret et rassure le patient qui peut le garder avec lui. » Pour le sommeil, l’orange agit comme un « doudou » et la bergamote, très polyvalente, agit sur le stress et l’angoisse. Des protocoles s’appliquent aussi en gériatrie. « Il est important de faire choisir une odeur, de ne jamais l’imposer, car si elle ne plaît pas, ça ne marche pas », fait observer Nathalie Fouché. Ne pas proposer la même huile à chaque fois, non plus, pour ne pas rappeler la maladie. « C’est un bon soin de support qui ouvre parfois des portes que l’on n’aurait pas ouvertes autrement », confie l’infirmière psycho-oncologue. Les soignants, euxmêmes, en tirent bénéfice. « Ils peuvent constater un résultat à moyen terme, c’est gratifiant. » Amener une odeur dans un service à l’atmosphère aseptisée peut s’avérer utile. « Il y a encore beaucoup à faire et à découvrir », se réjouit l’IDE.
« Cela nécessite une volonté de l’encadrement et des équipes pour que cela se maintienne dans le temps, rappelle toutefois le docteur Matthieu Forin, praticien en soins palliatifs. Il faut sensibiliser et former les agents en nombre suffisant pour qu’il y ait une vraie dynamique d’équipe. » Au CHU de Poitiers, deux jours de formation ont été imposés, condition sine qua non pour être considéré comme prescripteur, mettre en place un protocole, changer une huile essentielle. Dans sa pratique, Matthieu Forin a observé, empiriquement, une amélioration de la santé buccale avec des bains de bouche associant une huile végétale de noisette apaisante, régulatrice de la flore buccale, à une synergie d’huiles essentielles. Il lance, au printemps, une étude clinique pour comparer ce soin à celui, traditionnel, utilisant une solution au bicarbonate.
Au CHU de Strasbourg, ouvert lui aussi de longue date à l’aromathérapie, la pratique est bien installée en gériatrie, et en particulier en soins palliatifs où elle a démarré en 2014. « Un projet de service s’est mis en place, et beaucoup de fonctions - infirmières, aides-soignants, assistante sociale, ASH - y étaient représentées », indiquent Aurélie Carcarine, IDE dans le service, et Marion Rousseau, psychomotricienne. Ici, certaines synergies s’appliquent en massages pour relaxer et détendre, mais aussi pour soulager la constipation ou des douleurs articulaires. Pour la toute fin de vie, une huile « de passage », synergie mêlant de la pruche et du yuzu, est utilisée, en diffusion ou en massage.
Trois sous-groupes ont été constitués pour construire le projet - gestion des odeurs et plaies, anxiété et troubles du sommeil, et bien-être. Les protocoles ont tous été soumis à l’institution pour validation, parmi lesquels un a été élaboré en cas de mauvaise utilisation des HE, en lien avec le service qualité de vie du CHU. « Tout le monde n’adhère pas, observe l’IDE. Selon les équipes qui travaillent, cette approche sera proposée au patient ou pas. » Dans ce CHU où a été créée une association sur les thérapies complémentaires, la pharmacie ne soutient pas le projet. Les synergies, le matériel et le financement se gèrent au sein des services, qui achètent aux pharmacies de ville, certains chefs de service finançant sur leurs deniers.
Parmi les plus gros freins relevés par les professionnels, le manque de temps des soignants pour la gestion de projet et le turnover chez les cadres de santé. « Seul on s’essouffle vite, mieux vaut constituer un groupe et commencer par des choses simples avec quelques huiles », conseille Aurélie Carcarine, qui vient de se former au DU d’aromathérapie scientifique à visée clinique de la faculté de médecine et de pharmacie de Dijon.
« L’aromathérapie se développe de façon exponentielle ces dernières années », assure Catherine Maranzana. Cette IDE coordonnatrice de soins de support en aromathérapie aux Hôpitaux civils de Colmar, a travaillé pendant 35 ans en hématologie, en soins intensifs. L’aromathérapie a démarré dans ce service il y a 15 ans, et s’est déployée depuis dans une soixantaine d’autres. En pédiatrie, un protocole « détente profonde » mêlant ylang-ylang, orange et lavande est proposé à des adolescents anorexiques, en hémodialyse, où l’hélichryse corse (non fluidifiante) mélangée à une huile végétale, en application cutanée, agit sur des hématomes même anciens. En soins palliatifs, un mélange à base de thym à thujanol permet de réchauffer les pieds de patients sous chimiothérapie…
Une quarantaine de protocoles différents sont en place, tous validés par des médecins. « Ils répondent parfois, aussi, à des problématiques auxquelles la médecine allopathique ne répond pas ou permettent d’éviter ses effets secondaires », note Catherine Maranzana. Cette dernière, formée en psycho-oncologie, intervient aussi dans la cellule de soutien des personnels hospitaliers, qui reçoit 250 à 300 agents par an. « Nous les accompagnons, surtout depuis le Covid-19, pour tout ce qui est sommeil et addictions », précise l’IDE, qui a distribué plus de 3 000 sticks - « une pause salutaire pour l’esprit » - à des collègues pendant la pandémie. Un questionnaire dédié à l’aromathérapie a fait ressortir aux Hôpitaux civils de Colmar un taux de plus de 80 % de satisfaction des patients, et 73 à 76 % d’efficacité pour une activité de 10 000 soins annuels. « Cette approche n’aurait pas été aussi pérenne si elle ne répondait pas à un réel besoin », relève Catherine Manzana. « Ce sont les patients qui nous donnent la force de continuer et de convaincre. Le champ d’action des HE est extraordinaire », précise la soignante, qui en utilise 150, forme et donne des conférences sur le sujet. Avec une équipe de Mulhouse, elle participe à un projet de recherche clinique, « Application des huiles essentielles benzodiazépine like », visant l’agitation liée au délirium tremens. L’infirmière, qui veut introduire les HE en traumatologie, prépare actuellement le DU « Expertise et diagnostic en syndrome post-traumatique ».
Le CHU de Nantes est, lui aussi, très investi. Dans son hôpital mère-enfant, un protocole vient d’être mis en place, avec des sages-femmes, pour les femmes en cours d’accouchement. Les applications transcutanées se font pendant les contractions. « Nous avons écrit ensemble les protocoles », indique Béatrice Maechler-Durand, cadre de santé du CHU, par ailleurs référente au comité de lutte contre la douleur et prise en charge des soins palliatifs (CLUD-SP). Comme à Strasbourg, chaque pôle - mère-enfant, mais aussi gériatrie, oncopédiatrie, urgences, unité cognitivo-comportementale… - se fournit sur ses propres deniers.
Des chariots zen avec du matériel pour diffuser des HE ont par exemple été installés en psychiatrie et en oncopédiatrie. Pour détendre les personnes hospitalisées, des sticks inhalateurs sont proposés à des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, et les infirmières et infirmiers de bloc opératoire (IBODE) utilisent des HE sur compresses, en olfaction. « Aux urgences, les équipes ont elles aussi souhaité diffuser des HE dans les couloirs où elles travaillent beaucoup », ajoute Béatrice Maechler-Durand. Et, dans les chambres, des compresses imbibées posées sur des ventilateurs combattent les mauvaises odeurs. Une demande se fait aussi en pédiatrie, qui s’orienterait plutôt vers des hydrolats (eaux florales) pour des brumisations ou des pulvérisations transcutanées. « Cette année, la formation sera plus axée là-dessus. »
L’IDE, sollicitée par de nombreux professionnels, dont des médecins, assure le suivi des projets dans les unités pour les adapter et prodigue des conseils. « Ils sont tous montés avec des cadres de santé sur validation des médecins », indique la soignante, rappelant que l’aromathérapie entre dans l’arsenal des interventions non médicamenteuses (INM). « Ce sujet, passionnant, touche à l’art des soins, résume-t-elle. Il y a toute une éducation autour des HE. Être bien formé et bien informé est indispensable pour bien accompagner les usagers. » Et utiliser, à bon escient, les ressources de la nature.
1. Du latin aroma, arôme, et du grec thérapeïa, traitement.
2. Au cœur des essences - Lorsque les huiles essentielles s’invitent en milieu hospitalier, de Sonia Blondeau, Dauphin blanc, 2018.
L’arormathérapie scientifique et clinique a été documentée, fin du XIXe siècle, par René-Maurice Gattefossé, chimiste lyonnais. La fondation Gattefossé est née, en 2008, pour rendre hommage à ce pionnier de l’aromathérapie contemporaine et « aider à la développer à l’hôpital, en approche complémentaire, pour améliorer la prise en charge des patients », indique Delphine Marchaud, sa directrice. Chaque année depuis une décennie, un prix doté de 10 000 euros récompense des équipes qui ont démontré l’efficacité d’un protocole d’aromathérapie validé et intégré, et justifient d’une étude clinique auprès d’un groupe de patients. Les bourses - six par an - soutiennent des projets d’équipes pluridisciplinaires suivies ensuite pendant trois ans. « Cadres de santé, infirmières, aides-soignants mais aussi médecins, kinésithérapeutes ou sages-femmes peuvent postuler à un appel à projet », précise la directrice. https://www.fondation-gattefosse.org/nos-actions/
C’est en 2022 que l’Association française d’aromathérapie clinique (AFAC), dont la fondation Gattefossé est partenaire et mécène, a vu le jour. Cette plateforme de rencontre et de collaboration des professionnels formés vise à construire un réseau de professionnels, créer du lien entre les acteurs, harmoniser les pratiques et améliorer les niveaux de preuves… « Ces professionnels hospitaliers sont parfois seuls et ne savent pas que, pas loin, d’autres confrères pratiquent aussi l’aromathérapie », note Delphine Marchaud.