L'infirmière n° 044 du 01/05/2024

 

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ORGANISATION

Adrien Renaud  

À la direction de l’AP-HP, on assure que les établissements franciliens sont prêts à accueillir le monde entier cet été à l’occasion des Jeux olympiques. Mais du côté des représentants du personnel, c’est une inquiétude teintée d’amertume qui domine.

On ne peut pas dire que l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) ait choisi d’informer le public de façon intense sur la préparation des Jeux olympiques (JO) et paralympiques qui auront lieu à Paris entre les mois de juillet et de septembre. Mais le peu de communication qui filtre se veut rassurant. « À ce stade, nous sommes plutôt en avance sur la préparation pour les JO », lançait ainsi une porte-parole du groupe en février dernier, citée par le site Weka.fr. Celle-ci expliquait que d’après les « benchmarks » effectués « auprès d’autres villes qui ont accueilli les JO et notamment Londres en 2012 », on devait s’attendre à « peu de suractivité », entre autres parce que « durant l’été, une partie de la population locale préfère quitter la capitale ». Reste que cette vision est loin d’être partagée par tous.

« On nous annonce un afflux avec des millions de visiteurs à Paris et il n’y a pas de moyens supplémentaires sur les hôpitaux franciliens, s’inquiétait ainsi Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, sur Franceinfo début mars. Ce que je dis c’est que la situation des hôpitaux est catastrophique, que les coupes budgétaires organisées par Bruno Le Maire dégradent encore la situation et que nous sommes très inquiets pour cet été. » Bien sûr, on peut considérer que ces propos alarmistes, tenus par une leader syndicale qui n’a pas caché son intention de déposer des préavis de grève avant le début des épreuves, sont avant tout destinés à faire monter la pression. Mais plus près du terrain, les représentants du personnel se montrent eux aussi relativement soucieux.

« La première chose qu’on se demande, déjà, c’est comment les professionnels vont faire pour arriver à l’hôpital, car cela sera très compliqué de se déplacer durant cette période », fait valoir Pierre Schwob Tellier, infirmier et délégué FO à l’hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine), qui est par ailleurs le président du Collectif inter-urgences (CIU). Celui-ci n’est pas tout à fait serein quant à la fréquentation. « On nous a dit qu’aux JO de Londres, il n’y avait pas eu de surfréquentation, et les plannings ont été faits en conséquence : il faudrait juste s’attendre à avoir un peu plus de patients ne parlant pas français sur cette période, explique-t-il. Sauf que, s’il se passe quelque chose d’inhabituel, par exemple une cyberattaque, on n’est pas prêts… pas prêts du tout ! »

Le gouvernement droit dans ses bottes

Ces inquiétudes semblent loin d’être en mesure de faire dévier le gouvernement de sa ligne, qui prévoit une division des tâches entre hôpitaux. Trois établissements ont en effet été désignés pour accueillir les patients lors des festivités : l’hôpital Bichat, dans le 18e arrondissement de la capitale, prendra en charge les athlètes ; l’hôpital Avicenne, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), s’occupera des médias ; l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP, dans le 15e arrondissement) sera quant à lui chargé des délégations officielles. Une polyclinique, gérée par l’AP-HP, sera par ailleurs installée au village olympique.

Les capacités d’hospitalisation seront légèrement accrues. « Nous avons engagé les démarches permettant d’augmenter collectivement le nombre de lits sur la partie aval [des urgences] […], avec notamment 360 lits supplémentaires prévus par l’AP-HP […], a rappelé début mars, lors d’une séance de questions au gouvernement au Sénat, la ministre des Sports et des JO Amélie Oudéa-Castéra. Celle-ci a ajouté que « tout est anticipé, y compris les situations sanitaires exceptionnelles », qui font l’objet « de plans d’action spécifiques complémentaires ». Pierre Schwob Tellier confirme que des exercices ont été réalisés dans son établissement pour préparer les équipes à d’éventuels imprévus, mais ne se dit pas rassuré pour autant. « On sait que ça marche pendant les exercices, mais la vraie vie, c’est autre chose », glisse-t-il.

Le revers de la médaille

Reste que pour les hospitaliers, l’inquiétude liée à d’éventuelles catastrophes sanitaires pendant les Jeux n’est que l’une des faces de la médaille olympique. Sur l’autre, on trouve une certaine amertume concernant la gestion des plannings estivaux. En cause : la prime exceptionnelle qui avait été promise par les autorités à ceux qui décaleraient leurs congés pour être présents lors de l’événement. « L’été est une période où l’on est traditionnellement à flux tendu, et par peur de manque d’effectif, la direction avait pris les devants en communiquant sur une incitation à rester travailler, notamment via une prime, décrypte Olivier Youinou, co-secrétaire du syndicat Sud-Santé à l’AP-HP. Mais les principes retenus pour sa mise en place restaient très flous. »

De fait, aux dires des représentants syndicaux, si les montants sont connus (800 euros pour une semaine pour les fonctionnaires de catégorie C, 1 000 euros en catégorie B et 1 200 euros en catégorie A), rares sont les soignants qui savent s’ils toucheront ce bonus. « Les dernières informations que l’on a de la part de la direction, c’est que les plannings sont stabilisés et qu’ils attendent les retours des établissements pour discuter de l’attribution des primes : à qui, quand, et comment ? », indique le leader syndical. Et selon lui, ce sera un cassetête puisque les congés sont déjà posés. « Comment juger de l’effort consenti par le personnel ? s’interroge-t-il. Est-ce qu’on va se référer aux années précédentes et attribuer la prime à ceux qui n’ont pris que deux semaines alors que d’habitude ils en prenaient trois ? »

Pierre Schwob Tellier confirme que cette récompense risque plutôt de nourrir le ressentiment qu’autre chose. « On a demandé que les vacances soient posées non pas le 31 mars, mais en décembre, dénonce-t-il. Les directions ont fait pression pour empêcher les gens de prendre trois semaines, de sorte que personne ne puisse toucher la prime. » Une amertume d’autant plus grande qu’à en croire Olivier Youinou, les soignants avaient anticipé, et beaucoup avaient d’eux-mêmes réduit leurs demandes de congés. « C’est dans la nature des agents hospitaliers, ils font preuve d’un engagement sans faille, comme souvent lorsqu’il y a de grands événements, estime-t-il. Ils sont habitués à faire les efforts… ce qui est bien confortable pour les directions ! »