RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES : SUR LA SANTÉ, LE GOUVERNEMENT CHERCHE UN CAP
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DÉCRYPTAGE
Résolu à faire des économies, l’exécutif multiplie les signaux contradictoires sur la santé. Le secteur sera-t-il impacté ? Et si oui, quels seront les postes concernés ? Tentative d’éclaircissement des réponses gouvernementales, qui demeurent floues.
Quand on gagne moins, on dépense moins. » Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, interviewé par le journal Le Monde en mars dernier, a été on ne peut plus clair : les caisses de l’État ne se remplissant pas suffisamment, il va falloir qu’elles se vident moins. D’où les coupes budgétaires annoncées pour 2024 : 10 milliards d’euros dans tous les secteurs. La santé, relativement épargnée par ce plan d’économie (seulement 70 millions d’euros), ne perd rien pour attendre : le ministre a fait savoir que ce plan n’était qu’une « première étape », et que d’autres coupes devraient suivre. Certaines des pistes évoquées dans ce cadre concernent patients et soignants au premier chef, mais ont été aussitôt retirées par Bercy. D’où une certaine perplexité de la part des observateurs.
Symbole de ces reculades : le dispositif des affections de longue durée (ALD), permettant aux patients atteints de certaines maladies graves de voir leurs frais pris en charge à 100 %, sans ticket modérateur. Celui-ci était clairement dans le viseur du gouvernement. « Comment éviter la dérive sur les dépenses liées aux affections de longue durée, tout en continuant à protéger les patients ? », s’était interrogé à haute voix Bruno Le Maire dans les colonnes du Monde. Mais quelques semaines plus tard, celui-ci rétropédalait. « Nous ne voulons […] pas toucher aux ALD », déclarait-il fin mars à Ouest-France, qualifiant même le dispositif de « pilier essentiel de la solidarité ».
« Certains ont découvert la marche arrière », commente, un brin moqueur, Gérard Raymond, président du collectif France Assos Santé, qui regroupe les associations de patients du pays. Celui-ci ajoute que « le problème, c’est qu’on ne voit pas où le gouvernement veut aller ». Même analyse de la part du conseiller maître honoraire à la Cour des comptes François Écalle, qui dirige le site spécialisé sur les finances publiques Fipéco. « J’ai un peu de mal à m’y retrouver, avoue-t-il. On constate que le gouvernement lance des ballons d’essai et les maintient en l’air ou les fait redescendre en fonction des réactions. »
Reste que si le ballon des ALD est redescendu, d’autres continuent à planer haut dans le ciel. C’est ainsi que les arrêts maladie restent dans le viseur de Bruno Le Maire. « Leur multiplication pose une vraie question, déclarait le ministre dans son entretien au quotidien régional. Ce débat doit être ouvert dès cette année afin de lutter contre les abus. » Même chose du côté du transport sanitaire. « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? », s’était-il interrogé dans Le Monde. Deux pistes qui, elles, n’ont pas été retirées ultérieurement.
Le remboursement à 100 % des ALD semble donc (pour l’instant) sauvé, mais la chasse aux économies budgétaires dans le secteur de la santé n’est pas fermée pour autant. Elle devrait même s’intensifier dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Or cette situation est loin de satisfaire tout le monde. « On remarque que les pistes qui sont évoquées par le gouvernement ne touchent qu’une catégorie d’acteurs : les patients, critique Gérard Raymond. On jure la main sur le cœur qu’on veut les responsabiliser, mais en réalité, on les culpabilise. » Même François Écalle, pourtant traditionnellement défenseur d’une certaine orthodoxie budgétaire, se montre sceptique. « On met des rustines qui vont rapporter quelques centaines de millions d’euros, mais c’est un peu du bricolage », regrette-t-il.
Qu’on ne s’y trompe pas : même ceux qui critiquent les pistes d’économies du gouvernement reconnaissent qu’il faut changer la manière dont notre système de santé est financé. « Sans parler d’économies, il faut une gestion économique plus stricte, et il faut rendre le budget plus efficient », estime Gérard Raymond. « Nous avons une dette publique élevée, des impôts déjà à un niveau qui nous classe parmi les premiers dans beaucoup de domaines, donc il faut faire des économies », constate pour sa part François Écalle. Mais d’après eux, ce ne sont pas les jours de carence sur les arrêts maladie ou le rabotage du remboursement des transports sanitaires qui changeront fondamentalement la donne.
« Il nous faut refonder l’organisation de façon systémique, avance Gérard Raymond. Ce n’est pas nouveau, on le sait depuis longtemps, mais notre système de santé ne correspond plus à l’évolution de notre situation. » L’objectif, selon le principal représentant des patients, ne devrait pas être de chercher des coupes budgétaires tous azimuts, mais de « rendre la dépense plus efficiente ». « Il faut casser les murs corporatistes qui règnent sur notre système de santé, plaide-t-il. La médecine solitaire, c’est terminé, il faut maintenant une médecine solidaire, avec des équipes traitantes qui agissent sur un territoire donné. » Des évolutions qui sont, reconnaît Gérard Raymond, déjà en cours. Celui-ci salue notamment la multiplication des expérimentations dites « article 51 » qui permettent, en ville comme à l’hôpital, de déroger aux règles de financement habituelles pour tester de nouvelles organisations, notamment en termes de transferts de tâches. Il se félicite également du développement des équipes pluriprofessionnelles en médecine de ville. Il s’agirait donc, selon lui, d’amplifier ces évolutions.
François Écalle, pour sa part, plaide pour une révolution totale au niveau du financement. « Il faudrait mettre en place un bouclier sanitaire », suggère-t-il. Ce dispositif, notamment proposé par Martin Hirsch lorsqu’il était haut-commissaire aux Solidarités en 2007, supprimerait les dispositifs de type ALD, les remplaçant par un remboursement des dépenses de santé à 100 % dès que le reste à charge dépasse un certain pourcentage des revenus de l’assuré. François Écalle suggère de fixer ce seuil aux alentours de 4 % du revenu, assurant qu’il s’agirait d’un dispositif plus juste que le système actuel, car bénéficiant principalement aux plus modestes. Mais, reconnaît-il, cela constituerait un grand chamboulement de notre système. « Ce ne serait pas pour 2025 », euphémise-t-il.