À Pantin, un centre de jour tenu par l’association Médecins sans frontières accueille et accompagne les jeunes migrants en attente de la reconnaissance de leur minorité. Dans la prise en charge déployée autour d’eux, les soignantes jouent un rôle central.
C’est un bâtiment comme un autre, dans une avenue de la proche banlieue parisienne. Les jeunes qui franchissent son seuil pour la première fois ont été orientés par une des associations qui viennent en aide aux mineurs non accompagnés (MNA). Ces migrants vivent en France loin de leur famille. La reconnaissance de leur minorité leur a été refusée (lire encadré p. 41). Ils ont déposé un recours auprès du juge des enfants, qui dispose d’un an pour notifier sa décision. En attendant, ils sont inexistants au regard de la loi. L’entre-deux dans lequel ils se trouvent leur ferme l’accès aux dispositifs destinés aux mineurs ou aux adultes. Les associations trouvent pour certains des hébergements, temporaires ou plus stables. Mais l’offre est inférieure à la demande. Pour aider ces jeunes condamnés à la rue, Médecins sans frontières (MSF) a ouvert en 2017 un centre d’accueil de jour à Pantin, où ils bénéficient d’une prise en charge pluridisciplinaire qui les aide à accéder aux services auxquels ils ont droit ainsi qu’aux soins.
À l’entrée, quelques chaises et des tables. Trois hommes souriants tiennent l’accueil. Ces médiateurs culturels parlent les langues les plus employées en Afrique subsaharienne, dont sont issus l’essentiel des jeunes, ainsi que le dari et le pachto pour les migrants issus d’Afghanistan. Le médiateur explique au jeune qui découvre le lieu ce qu’il peut y trouver. Il tisse un premier lien de confiance. Le MNA est ensuite intégré au programme de MSF et orienté vers les différents pôles du centre. Il pourra fréquenter ses locaux à sa guise. Au rez-de-chaussée, après une longue baie vitrée, se situe une première salle de convivialité. On y trouve des tables pour manger, prendre une boisson, discuter ou simplement s’asseoir en attendant de recharger son téléphone portable. Les migrants ont également accès à la salle d’eau attenante. Chaque jour, des déjeuners sont commandés en fonction du nombre de jeunes présents.
À l’étage, une grande pièce avec des canapés et des couvertures, protégée de la lumière du jour, où l’on peut reprendre des forces après une nuit éreintante. Dans un climat de durcissement de l’accueil des migrants et dans la perspective des Jeux olympiques, les forces de police s’attaquent plus fréquemment aux îlots de campeurs, qu’ils délogent des rues parisiennes. Aujourd’hui, Moussa(1) dort à poings fermés. Dans la pièce attenante, Badou contemple les crayons de couleur et les feutres jonchant la table où il s’est installé. Il a noué de profonds liens d’amitié avec Moussa. Ils ont vécu l’exil, la déception de l’arrivée en France, la survie dans la rue. L’espace est propice à la réflexion. Ses murs sont couverts des dessins et messages des jeunes fréquentant le lieu. L’assistante sociale du centre de Pantin aide les MNA à faire valoir leurs droits, qu’il s’agisse de l’obtention d’une adresse de domiciliation, de l’aide médicale d’État (AME) pour la couverture santé, de cours de français ou d’une formation qualifiante. L’aide juridique les épaule dans leurs démarches, en lien avec l’avocat qui les représente pour leur recours auprès du juge des enfants. Dans ce dispositif, les professionnelles du pôle médical coordonnent le parcours de soin des jeunes.
Infirmière du centre, Morgane Courtes reçoit chaque jeune pour une première évaluation de son état et de ses besoins. Il peut ensuite être orienté vers un centre médico-social ou une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) afin de réaliser un bilan de santé. Les mineurs doivent a minima recevoir les vaccins obligatoires en France, première étape dans leur parcours de soins. Ils sont également dépistés, notamment pour les pathologies transmissibles. Une fois que le jeune est suivi par un médecin traitant, l’infirmière échange avec ce dernier grâce à une fiche de liaison et au besoin par téléphone. Chaque rendez-vous médical à l’extérieur est suivi d’un point avec la soignante, quand le MNA revient au centre. L’infirmière lui demande comment il se sent, s’assure qu’il a bien saisi les propos du médecin lors de la consultation et prépare le prochain rendez-vous. Pour assurer ce suivi, Morgane Courtes fait régulièrement appel à l’expertise interculturelle de ses collègues. « La présence du médiateur est précieuse, souligne-t-elle. Il saura expliquer les choses avec d’autres mots, d’autres références. Par exemple, ce n’est pas évident de faire comprendre à un jeune qui ne voit pas les symptômes de la maladie qu’on lui a diagnostiquée de suivre un traitement. L’intervention du médiateur est capitale pour l’adhésion au traitement ou pour accepter de réaliser des examens complémentaires. » Les conditions de vie des MNA sont également un obstacle à l’observance. Comment penser à suivre son traitement quand on est confronté à la rue, aux vols ou à la perte de ses effets personnels ? Les jeunes qui fréquentent le centre préfèrent parfois laisser leur traitement sur place et le prendre quand ils viennent.
Basé sur l’écoute, le suivi infirmier va de pair avec les consultations avec la psychologue. Les MNA qui se rendent à Pantin ont traversé des épreuves. Une enquête réalisée en 2021 par MSF et le Comité pour la santé des exilé.e.s (Comede) en Île-de-France montre qu’un quart des jeunes suivis psychologiquement par l’association ont échappé à une noyade. Ils ont subi des violences, dans leur pays d’origine, sur le chemin de l’exil et à leur arrivée en France. Le refus de reconnaissance de leur minorité et la remise en cause de leur parole sont pour eux des traumatismes supplémentaires. Seulement 5 % des MNA concernés par l’enquête avaient connu la rue avant de quitter leur pays d’origine. En arrivant dans l’Hexagone, motivés par l’espoir d’un avenir meilleur, ils voient leurs conditions de vie se dégrader et luttent quotidiennement pour leur survie. Sortir du silence et dévider l’écheveau de leurs peines leur permet de se libérer d’un poids et d’avancer.
L’accompagnement prodigué au centre de Pantin vise à donner le plus d’autonomie possible aux mineurs en attente de révision de leur situation. Chaque partenariat noué avec une association ou un professionnel de santé est un nouveau pas décisif. « Nous veillons à étendre notre mapping auprès de nos partenaires, explique Morgane Courtes. Par exemple, pour les soins dentaires, nous établissons des liens afin que les praticiens lèvent leurs appréhensions à prendre en charge un mineur non accompagné. Il y a également un centre d’imagerie dans le XVIIIe arrondissement dont un des médecins est particulièrement sensible aux difficultés rencontrées par les MNA. Ce sont de bons appuis pour les jeunes du centre. » Pour certaines prises en charge, l’équipe soignante est particulièrement vigilante. Les mineurs, même non reconnus comme tels, disposent de droits clairement encadrés par la loi (lire encadré p. 44), mais qui sont mal connus des professionnels de santé. Les soignants peuvent se montrer très réticents, notamment dans la perspective d’actes intrusifs comme une opération chirurgicale. Par méconnaissance ou crainte d’endosser une telle responsabilité, ils auront facilement tendance à repousser l’intervention, jusqu’à ce que le MNA soit pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance(2). Il s’agira alors d’accompagner le jeune afin de rassurer les professionnels en leur faisant connaître les dispositions réglementaires lui permettant d’être soigné, afin d’éviter que son état de santé ne se dégrade.
Peu à peu, les jeunes migrants trouvent leur place dans le système de soins et dans la société française. C’est le cas de Fatou, qui est passée à Pantin dire bonjour et prendre quelques renseignements. Si elle connaît encore des difficultés de logement, la jeune femme a vu sa situation s’améliorer depuis qu’elle s’est présentée au centre, il y a un an et demi. Elle a maintenant droit à l’AME et va consulter chez un médecin traitant. À la suite d’une remise à niveau en français, elle suit une formation en bac pro dans le domaine de la mode. Avec un sourire pudique, elle évoque ses liens avec les professionnels du centre. « J’étais mal, la psychologue m’a aidée, ça m’a fait du bien de parler. Si j’ai un souci j’appelle ici, ils ont toujours une solution. »
C’est Manon Catel qui reçoit la jeune femme. Son poste de sage-femme a été créé fin 2023. Les jeunes migrantes, qui étaient jusqu’alors peu visibles, sont maintenant nombreuses en région parisienne. Du fait de leur extrême vulnérabilité, elles sont devenues une priorité pour MSF. Manon Catel reçoit également les garçons. Sa consultation est avant tout basée sur l’écoute. Elle doit souvent faire face à des plaintes de douleurs abdominales et pelviennes. Elle reçoit des récits de violences sexuelles. « Les filles nous racontent tout, alors que cela reste plus tabou pour les garçons. » Sortant de sa salle de consultation, la sage-femme retrouve Moussa, sorti de la pièce où il a repris des forces. Il reste fébrile mais va bientôt devoir partir. La sage-femme lui rappelle de surveiller sa température et de ne pas hésiter à se rendre aux urgences si celle-ci monte trop. Consciente de pallier des déficiences étatiques, Manon Catel reste inquiète pour la santé de ces patients soumis à l’épreuve de la rue, et ne cache pas son stress de fermer les portes du centre le vendredi en fin de journée, faute d’astreinte le week-end.
Mais l’espoir subsiste. Morgane a la satisfaction de prodiguer un soin global, qui dépasse le médical et d’être en lien avec des jeunes qui arrivent sans ressources et se reconstruisent peu à peu, personnellement et socialement. « Lors des échanges, nous touchons à la profondeur humaine. Nous intervenons auprès des plus fragiles, cela a un sens par rapport à ce qui se passe dans le monde. Nous apportons notre pierre à l’édifice. Je ne suis plus comme l’infirmière que j’étais il y a un an. Pour la première fois de ma vie, je suis en accord avec mes valeurs dans mon travail. » Au rez-de-chaussée, Manon Catel fouille dans la réserve de vêtements et des accessoires, et fait des propositions à Moussa. Après maintes hésitations, le jeune homme choisit un jean bien épais et un teeshirt rouge à manches longues, à l’effigie d’un club de foot en vogue. Il retrouve Badou, qui essaie le tee-shirt. Il lui va très bien, il va pouvoir le garder.
1. Les prénoms des jeunes migrants ont été changés pour assurer leur anonymat.
2. Dans ce cas, les services de protection de l’enfance peuvent solliciter l’ouverture d’une tutelle ou d’une délégation de l’autorité parentale auprès de l’autorité judiciaire compétente
Le Code de l’action sociale et des familles stipule que tout mineur non accompagné doit être protégé, c’est-à-dire pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, gérée par le département concerné. Arrivé sur le sol français, un jeune migrant a droit à une « période de répit » durant laquelle ses besoins de santé doivent être évalués. Mais dans les faits, ce sont souvent son isolement et sa minorité qui sont questionnés. Si la minorité de l’enfant est contestée, le président du Conseil départemental prend une décision de refus d’admission à l’Aide sociale à l’enfance. Il est ensuite possible de déposer un recours pour contester cette décision auprès du juge des enfants, autorité judiciaire en charge de la protection des mineurs en danger. Au terme de cette procédure, entre 70 et 80 % des jeunes suivis par MSF voient leur minorité reconnue par le juge des enfants. Ceci tend à prouver que l’évaluation eff ectuée par les départements se fait souvent à charge, alors que l’esprit du droit indique que tout devrait être fait pour prouver sa minorité.
La pratique a consacré le principe selon lequel aucune intervention chirurgicale ne peut être réalisée si le consentement du représentant légal d’un mineur ne peut être recueilli. Et pourtant l’article R. 1112-35 du Code de la santé publique prévoit que le médecin responsable du service peut saisir le ministère public « lorsque la santé ou l’intégrité corporelle du mineur risque d’être compromise par l’impossibilité de recueillir le consentement » de son représentant légal.
Une note d’instruction de l’agence régionale de santé Île-de-France, publiée le 15 juillet 2019 en direction des off reurs de soins concernant la prise en charge des MNA, appuie ces dispositions. Elle stipule que « l’absence d’autorité parentale ne doit pas constituer un obstacle aux soins. » Le mineur peut alors être accompagné par l’adulte de son choix. Non doté de l’autorité parentale, celui-ci ne décide pas à sa place, mais s’assure qu’il a bien compris et évite qu’il se retrouve seul dans des démarches face à des adultes.