CONTENTION ET ISOLEMENT EN PSYCHIATRIE : COMMENT TENDRE VERS UN MOINDRE USAGE ? - Ma revue n° 045 du 01/06/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 045 du 01/06/2024

 

RECHERCHE

PSYCHIATRIE

Laure Martin  

Dans sa récente étude* publiée en février, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) dresse un état des lieux des pratiques dans les établissements psychiatriques et plaide pour des politiques publiques plus ambitieuses et structurelles dans ce domaine

En 2022, 76 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement à temps plein en psychiatrie : 37 % étaient concernées par un recours à l’isolement, soit 28 000 personnes, et 11 % par un recours à la contention mécanique, soit 8 000 personnes. Par ailleurs, des mesures d’isolement et de contention sont également constatées en soins libres (0,9 % des hospitalisations à temps plein pour l’isolement et 0,2 % pour la contention), pouvant correspondre à des mesures d’urgence transitoires (12 heures maximum) permises par la loi, avant résolution de la situation critique, ou à des usages hors indications légales de ces mesures.

QUE DIT LA LOI ?

En France, l’isolement et la contention en psychiatrie constituent des pratiques de dernier recours. Elles sont destinées à répondre à des situations de crise et ne doivent être mises en œuvre qu’à titre exceptionnel, en accord avec les recommandations de bonnes pratiques. C’est-à-dire, d’après le Code de la santé publique, dans le but de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour la personne hospitalisée ou autrui, de façon proportionnée et graduée, après échec de mesures moins restrictives de liberté, avec une durée limitée (48 heures maximum pour l’isolement et 24 heures maximum pour la contention) et sur la base d’arguments cliniques. L’usage de ces mesures en psychiatrie en France n’est autorisé que lors d’hospitalisations complètes sans consentement, avec un encadrement par des recommandations récentes de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS). La feuille de route ministérielle santé mentale et psychiatrie, lancée en 2018, plaide pour une réduction de leurs usages.

DES PRATIQUES VARIÉES

Pour autant, les auteurs de l’étude de l’Irdes constatent des variations dans le recours à ces mesures entre établissements de santé. Comme ils le soulignent, « l’ampleur des variations suggère qu’elles ne peuvent être justifiées par des différences de besoins des populations prises en charge et soulève des interrogations en lien avec les enjeux éthiques et juridiques associés à l’usage de l’isolement et de la contention ». Le moindre usage à des pratiques coercitives en psychiatrie reposerait sur l’existence de savoirs, de pratiques et de représentations portés par une organisation du travail, une politique de ressources humaines et l’affirmation de valeurs. Cependant, pour que l’ensemble des établissements se sentent concernés, des politiques publiques plus ambitieuses soutenant les équipes soignantes dans la limitation de l’usage des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie sont nécessaires.

LES PROFILS DES PATIENTS

Car, aujourd’hui, l’enquête révèle, d’après les estimations les plus récentes disponibles dans neuf pays, que la France se situe au-dessus de la médiane de ces pays pour le recours aux mesures d’isolement et de contention mécanique par habitant, et de façon particulièrement marquée pour la contention. Dans plus de deux tiers des cas, ce sont les hommes relativement jeunes (35 ans environ) qui sont concernés, « ce qui questionne l’impact possible sur leurs parcours de soins et de vie ultérieurs », pointent les auteurs. Plus d’un quart des personnes concernées présentent une vulnérabilité socio-économique (bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire). Les séjours comportant un recours à l’isolement ou à la contention ont plus fréquemment débuté par un passage aux urgences que les autres séjours en soins sans consentement, suggérant que ce recours intervient dans le cadre de situations de crise ou pour des personnes en rupture de soins sans possibilité d’adressage vers l’hospitalisation.

LES PATHOLOGIES IDENTIFIÉES

Les auteurs expliquent, en outre, que ces séjours sont liés, dans près de la moitié des cas, à la prise en charge d’un trouble psychotique, suivi d’un trouble bipolaire ou d’un épisode maniaque, puis d’un trouble de la personnalité ou du comportement. Des phases d’auto- ou d’hétéro-agressivité et d’agitation psychomotrice surviennent plus fréquemment lors d’épisodes maniaques ou psychotiques, ou en lien avec des troubles de la personnalité, « ce qui pourrait expliquer que leur prise en charge représente la majorité des séjours avec des mesures d’isolement et de contention en lien avec les recommandations en vigueur », précise l’étude. Cependant, cela invite, d’après les auteurs, à interroger les alternatives qui auraient pu être déployées ou qui n’ont pas fonctionné.

De plus, les séjours pour déficiences intellectuelles et troubles du développement psychologique (dont ceux du spectre de l’autisme), pour lesquels l’hospitalisation psychiatrique n’est pas le mode de prise en charge recommandé, sont surreprésentés dans les séjours associés à des mesures d’isolement et de contention mécanique, en comparaison à leur fréquence au sein des hospitalisations à temps plein sans consentement pour lesquelles aucune de ces mesures n’est mise en œuvre. Cela suggère que les mesures d’isolement et de contention pourraient être mobilisées dans certains cas pour compenser des difficultés à répondre aux besoins spécifiques de populations vulnérables dont la prise en charge nécessite des adaptations.

DES ENJEUX ÉTHIQUES

Les établissements ne recourant pas à l’isolement et à la contention mécanique sont le plus souvent pluridisciplinaires et de taille réduite (en termes de nombre de lits d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie). « Plus l’établissement est de taille importante, plus il peut être compliqué de porter et mettre en place une politique volontariste de réduction des pratiques d’isolement et de contention partagée par l’ensemble des services et des acteurs de l’établissement, qui semble être un levier important pour atteindre ces objectifs de réduction d’après des éclairages qualitatifs », soulignent les auteurs.

Eu égard aux enjeux éthiques associés aux mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, ils suggèrent que des politiques plus ambitieuses et structurelles soient définies afin que tous les établissements y aient moins recours. À titre d’exemple, « l’inscription systématique de ces objectifs de réduction et de leur suivi annuel dans les nombreux outils d’animation des politiques locales, territoriales, régionales et nationales de santé mentale, et la prise en compte de ces questions dans les outils d’évaluation de la qualité des soins, permettraient d’accompagner et de soutenir l’effort de changement des établissements et l’évolution des pratiques tout en favorisant le partage de mesures de prévention efficaces entre établissements ».

Au préalable, il est nécessaire d’investir dans la psychiatrie en donnant les moyens aux équipes soignantes d’atteindre les objectifs de réduction du recours à ces mesures dans un contexte démographique défavorable pour les professionnels exerçant en psychiatrie hospitalière. Ils préconisent notamment de s’appuyer sur la systématisation des formations à la gestion des situations de crise et de violence, de soutenir l’évaluation et la diffusion d’innovations organisationnelles pour faciliter la prise en charge des situations critiques en intrahospitalier, mais aussi pour les prévenir en amont par des dispositifs extrahospitaliers tels que les équipes mobiles de crise, les maisons de répit ou le soutien intensif à domicile. Enfin, le recours observé aux mesures d’isolement et de contention en dehors du cadre légal des soins sans consentement en psychiatrie, invite à soutenir un suivi de ces mesures dans d’autres champs, tels que dans les services d’urgences générales, dans le secteur médico-social et en gériatrie, où leur usage pose également question, mais ne fait pas l’objet d’un recueil dédié.

* Touitou-Burckard E., Gandré C., Coldefy M., en collaboration avec Ellini A., Saetta S. et le consortium Plaid-Care4 (février 2024). Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements. Questions d’économie de la santé (n° 286). https://tinyurl.com/4as94ntm

INTERVIEW

‘En adaptant les pratiques, il est possible de réduire le recours à la contention et à l’isolement’

Yvonne Quenum, infirmière en équipe mobile de psychiatrie et chercheure au sein du consortium Planco-Iso/Plaid-Care, apporte son éclairage sur le recours à la contention et à l’isolement en France.

Quels sont les enjeux autour de cette étude publiée par l’Irdes ?

Les enjeux de cette étude sont particulièrement importants car elle permet de montrer qu’il est possible de faire du moindre recours à l’isolement et à la contention en adoptant des pratiques professionnelles permettant de tendre vers cet objectif. L’étude explique également que le moindre recours n’est pas forcément lié aux diagnostics de patients pris en charge. Jusqu’à présent, cette raison était souvent mise en avant pour justifier des pratiques, les professionnels soutenant que les établissements les plus coercitifs étant ceux ayant les patients les plus complexes à gérer. Or, l’étude montre que cela n’explique pas complètement l’utilisation de ces mesures.

Comment expliquer le recours de certains professionnels à la contention et à l’isolement ?

Les hypothèses sont nombreuses, à commencer par la question de l’engagement institutionnel. Ne pas y avoir recours relève notamment d’une impulsion de la direction et des responsables médicaux, car la culture locale d’une psychiatrie coercitive se transmet de soignant en soignant. L’impact sociétal est également d’une influence considérable. Nous vivons dans une société parfois très sécuritaire. Nous demandons aux hôpitaux de s’assurer que les personnes atteintes de troubles psychiatriques ne sortent pas des institutions, sous-entendant une dangerosité pour la population. Pourtant, dans un établissement psychiatrique ouvert et moins coercitif, les patients vont tout aussi bien, voire mieux se soigner. Il faut comprendre que la contrainte ne protège pas forcément la population. D’autres options sont à considérer, notamment permettre aux patients d’avoir confiance dans les soins qui leur sont proposés et agir en prévention. S’ils savent que le lieu de soins est peu coercitif, en cas de problème, ils hésiteront moins à s’y rendre, donc à se faire soigner. Un cercle vertueux se crée.

Pourquoi a-t-on cette vision en France ?

Des échanges dans le groupe de recherche européen Fostren m’ont permis d’identifier des diff érences dans les représentations. Aujourd’hui, en France, des professionnels pensent encore que l’isolement et la contention sont des soins pouvant être bénéfiques pour le patient. Ce serait selon eux une manière de les apaiser en leur permettant d’avoir moins de stimuli. Ils s’appuient sur le fait que certains patients, habitués à cette réponse, en soient demandeurs. Or, les données montrent le contraire, ce recours pouvant en réalité provoquer de l’angoisse, des idées délirantes et de l’agressivité. La France rencontre des difficultés à avancer malgré les mesures mises en place au niveau législatif. Cependant, il ne faut pas oublier que la psychiatrie traverse d’importantes difficultés en raison d’un manque de moyens et d’une stigmatisation qui reste marquée.

Quels sont les leviers pour évoluer ?

Des approches ont montré des eff ets bénéfiques pour diminuer les pratiques coercitives tout en assurant la sécurité des soignants, comme le six core strategies et le modèle safeward. Pour faire du moindre recours, il est important d’avoir une politique nationale qui s’engage fortement vers cet objectif. Les directions des établissements doivent affirmer et prioriser cette volonté. Il parait primordial que les professionnels puissent réinvestir du temps au contact direct avec les patients dans des services moins restrictifs, générant moins de conflits. L’autre levier consiste à investir la formation à la désescalade. En France, ce n’est pas suffisamment développé. Il faut également miser sur l’implication des usagers et de leurs proches, les soins dans la communauté, les mesures permettant de prévenir la crise ou de l’accompagner en dehors des murs de l’hôpital. C’est pourquoi je travaille sur le plan de crise conjoint, une forme de déclaration anticipée psychiatrique, un outil permettant de diminuer la contrainte, en donnant la possibilité aux patients d’élaborer une stratégie en cas de crise. Ils informent ainsi de ce qui peut les apaiser et de leurs préférences concernant les soins à mettre en œuvre. Il faut continuer à investir dans la recherche pour comprendre comment implémenter ces nouvelles pratiques. Il est possible de réduire le recours à la contention et à l’isolement, peut-être pas du jour au lendemain car la problématique est systémique, mais il faut déjà y croire.

Propos recueillis par Laure Martin