L'infirmière n° 045 du 01/06/2024

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

REPORTAGE

Laure Martin  

Peu importe le temps qu’il fait, difficile de ne pas apercevoir son dôme doré dans le paysage urbain qu’offre la capitale. Si l’Hôtel des Invalides est connu pour abriter le tombeau de Napoléon Ier, sa fonction première est d’être un hôpital, et ce depuis plus de 350 ans. Initialement réservé aux militaires, l’Institution nationale des Invalides a progressivement ouvert ses portes aux civils.

Au premier étage de l’Institution nationale des Invalides (INI), un homme paraplégique vient de recevoir des soins de nursing. Mariame, infirmière depuis 18 ans au sein de la structure, s’apprête maintenant à superviser le soin de son escarre sacrée, réalisé par Hélène, étudiante en deuxième année de soins infirmiers. Après s’être enquise de l’état du patient, Mariame demande à Hélène, qui nettoie la plaie, si elle constate une amélioration de son état. L’étudiante, consciencieuse, prend son temps pour réaliser correctement le pansement, tout en suivant à la lettre les conseils dispensés. Non loin de là, dans un autre couloir, Audrey, IDE depuis huit ans aux Invalides, termine le pansement d’une dame venue effectuer sa rééducation après la pose d’une prothèse complète de genou. « J’habite dans l’Yonne mais je me suis fait opérer à Paris, raconte-t-elle. C’est mon chirurgien qui m’a conseillée d’effectuer ma rééducation ici en raison de la qualité de la prise en charge proposée. » En hospitalisation complète, elle ne quittera pas les lieux avant environ un mois.

Une réhabilitation au cœur des Invalides

Fondé par Louis XIV, l’Hôtel royal des Invalides avait pour objectif d’accueillir les blessés de guerre ; une forme de reconnaissance pour ces militaires prêts à donner leur sang pour la patrie. Ils pouvaient ainsi finir leurs jours en étant logés, nourris et blanchis. Depuis cette époque, la mission perdure et a évolué en accueillant également des civils. Parmi ces derniers, des victimes d’accidents de la voie publique, d’attentats, d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou de chutes, parfois devenues paraplégiques, hémiplégiques, tétraplégiques ; des personnes souffrant de problèmes neurologiques ou orthopédiques ; des patients opérés ayant besoin d’une rééducation. Ils peuvent avoir des handicaps longs, parfois à vie. 160 lits et places leur sont dédiés, et ils bénéficient de soins personnalisés allant de la rééducation à la réinsertion en passant par la réhabilitation et l’autonomisation. La prise en charge proposée en pluridisciplinarité est assurée notamment par des professionnels paramédicaux civils. Ils sont soit fonctionnaires, et peuvent d’ailleurs être détachés de la fonction publique hospitalière ou territoriale pour la fonction publique d’État, soit agents contractuels de droit public. Au sein de cette institution, seulement sept professionnels sont militaires : le directeur, le directeur adjoint, des médecins chefs de service, certains chefs de département et le pharmacien.

Au sein du centre de réhabilitation post-traumatique (CRPT), qui dispose d’une soixantaine de lits pour les soins postopératoires, la cicatrisation dirigée ainsi que la médecine physique et de réadaptation, les infirmières interviennent pour les pansements d’escarres ou de lambeaux. Et comme les patients sont majoritairement handicapés, elles assurent également leur prise en charge complète avec les soins de nursing, les sondes urinaires, les sondes gastriques ou encore les changements de poches pour les colostomies transitoires. Après la réalisation des soins, l’administration des médicaments et la traçabilité, vient le temps des transmissions pour que l’équipe de l’après-midi prenne le relais en toute sécurité. Des staffs – associant des professionnels de santé médicaux et paramédicaux, et de la rééducation – sont également organisés pour le suivi des patients.

Une approche globale

Afin de proposer une prise en charge efficiente, les infirmières sont mobilisées pour l’intégralité de leurs compétences : rôle propre, sur prescription, relationnel et éducationnel. Elles exercent en binôme, entre infirmières et/ou avec une aide-soignante, afin de placer le patient au cœur des soins. « Le nursing prend vraiment toute son importance, car ce type de soins offre des temps d’échanges entre les soignants et les patients, permettant de construire la confiance nécessaire pour l’adhésion aux soins », indique Virginie Duriez, cadre du CRPT. Et ce d’autant plus que les patients sont hospitalisés pour des longues durées : a minima trois semaines, notamment à la suite de la pose de prothèses, jusqu’à plusieurs mois voire années pour de la rééducation lourde. « Lorsque les hospitalisations sont programmées, les patients ont le temps de s’y préparer, mais lorsqu’il s’agit de blessures accidentelles, il faut les accompagner afin qu’ils adhèrent au projet de soins », ajoute la cadre de santé. Outre ce travail en binôme, les infirmières sont en contact permanent avec les diététiciens si elles constatent qu’un patient est dénutri, avec les orthophonistes en cas d’un trouble de la déglutition ou encore avec le kinésithérapeute, l’ergothérapeute, le psychologue, le psychomotricien, l’assistante sociale, etc. « Nous proposons une prise en charge globale et il est important que l’ensemble des professionnels de santé et de rééducation se connaissent », poursuit Véronique Assaba, l’autre cadre de santé du CRPT.

Un suivi constant

À l’étage du dessous, l’hôpital de jour (HDJ) reçoit « les patients sortant d’une hospitalisation complète, ayant besoin d’un accompagnement dans leur réinsertion, d’un suivi en rééducation ou même psychologique », donne en exemple Anne, infirmière. Il appartient au médecin de décider si, à l’issue de son hospitalisation, le patient doit être orienté vers l’HDJ. Une mise en relation entre les services est alors effectuée pour présenter le dossier du patient au médecin de l’HDJ. Il le reçoit ensuite et décide du suivi dont il va bénéficier. Après cet échange, les infirmières de l’HDJ prennent le relais dans le cadre d’une consultation durant laquelle elles recueillent toutes les données physiologiques du patient ainsi que son ressenti sur son état physique, psychologique, et sur le déroulement de son retour à domicile. « Cette consultation nous permet de nous assurer qu’il a bien compris la prise en charge proposée », indique Marie, infirmière référente de l’unité de soins. Et d’ajouter : « Nous allons aussi chercher à comprendre les objectifs qu’il s’est donnés et les analyser à la lumière de ceux fixés par le médecin. Nous recherchons une alliance thérapeutique. » La prise en charge, d’une durée moyenne de trois à six mois, renouvelable, est réévaluée à mi-parcours. Parallèlement à ces consultations, Anne et Marie organisent les plannings des patients en lien avec ceux des autres professionnels de santé et de la rééducation. « Cette coordination représente l’élément central de leur prise en charge », indiquent les deux infirmières, qui veillent en permanence à la juste concordance des agendas.

Les IDE de l’HDJ assurent, en outre, un certain nombre d’actes dans le cadre de leur exercice : gestion de la douleur, bilans sanguins, pansements, injections de toxine botulique dans les muscles pour réduire les raideurs et les bilans urodynamiques. « Nous vérifions le fonctionnement de la vessie pour décider si un traitement ou une rééducation doit être mis en place pour améliorer la qualité de vie du patient », fait savoir Marie, précisant que l’équipe connaît parfaitement toutes les personnes prises en charge dans le service et noue des liens de confiance avec elles. L’objectif étant de les autonomiser, notamment en les orientant vers l’infirmière d’éducation thérapeutique. « Nous souhaitons offrir une prise en charge personnalisée à chacun des patients reçus en HDJ afin de rendre possible des projets qu’ils souhaitent accomplir, conclut Marie. Nous repérons tous les problèmes qu’ils peuvent rencontrer et nous mettons tout en œuvre pour les résoudre en les mettant en lien avec les bons professionnels. »

Le centre des pensionnaires

Anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, des guerres d’Indochine, d’Algérie, d’Afghanistan, résistants ou rescapés de la Shoah : le centre des pensionnaires de l’INI est destiné à l’accueil des grands invalides, notamment ceux titulaires d’une pension militaire d’invalidité d’un taux au moins égal à 85 %, sans condition d’âge. « Nos pensionnaires ont entre 30 et 104 ans, fait savoir Mustapha Nachet, infirmier coordinateur (Idec). Une majorité d’entre eux intègre la structure lorsque leur maintien à domicile n’est plus possible. » Ce lieu de vie de 81 chambres individuelles accueille aujourd’hui 62 pensionnaires qui y resteront jusqu’à la fin de leurs jours. « Nous leur offrons un suivi médical, paramédical et en rééducation en continu pour garantir une qualité et une sécurité de la prise en charge », précise l’Idec.

Quelles formations ?

A u sein de l’INI, un plan de formation interne permet aux IDE de se former régulièrement. « À titre d’exemple, nous cherchons à déployer l’éducation thérapeutique (ETP) auprès des patients pris en charge, fait savoir Virginie Duriez, cadre du centre de réhabilitation post-traumatique. Afin que l’ensemble des professionnels de santé puissent mener ce type d’action, nous sommes amenés à les encourager à suivre la formation diplômante de 42 heures. » Idem sur la bientraitance, la gestion de l’agressivité, les transmissions ciblées, l’accueil du public en situation de handicap ou encore la sensibilisation aux risques psychosociaux.

En parallèle, l’INI est en train d’organiser la mise en place d’une journée de formation dédiée aux professionnels nouveaux arrivants avec, outre une présentation générale de l’établissement, des modules sur des soins spécifiques aux blessés médullaires (sonde à demeure, vessies neurologiques, hyper-réflexivité autonome), également accessibles aux « anciens ».

Enfin, les infirmiers peuvent accéder, via leur compte personnel de formation (CPF), à des diplômes universitaires, notamment sur la prise en charge des plaies et cicatrisation, de la douleur, ou encore en soins palliatifs.

Le Lambeau

I l n’aurait probablement jamais pensé écrire sur l’hôpital des Invalides. Le journaliste et écrivain Philippe Lançon le confesse d’ailleurs, il ne savait pas que se trouvait là, proche du tombeau de Napoléon Ier, un hôpital. Qui peut, de toute façon, imaginer vivre ce qu’a traversé le survivant ? Collaborateur de Charlie Hebdo, Philippe Lançon était avec ses collègues lorsque le 7 janvier 2015 le journal est victime d’une attaque sanglante d’une violence inouïe. Lui a survécu mais a été défiguré. Il a été greffé, un bout de son péroné pour réparer tant bien que mal une mâchoire explosée. Après plusieurs mois d’hospitalisation à la Pitié-Salpêtrière, Il est accueilli aux Invalides pour entamer une longue rééducation, ponctuée de nouvelles greffes. Il va notamment falloir réapprendre à parler correctement. Son corps entier reste meurtri. À propos de ces murs chargés d’histoire, terre d’espoir pour les soldats blessés et les victimes d’attentat, Philippe Lançon écrit, entre autres, dans son sublime livre, Le Lambeau : « Deux semaines d’Invalides, en me sortant de la lévitation particulière au service d’urgence, semblaient avoir transformé le chemin de croix en épopée presque plaisante, vouée à une réparation chirurgicale, amicale et mystique. » Un ouvrage d’une puissance pour le moins rare. T. L.

Le Lambeau, Philippe Lançon, Gallimard/Folio, 512 pages, 9,40 €