L'infirmière n° 045 du 01/06/2024

 

DOSSIER

UNE SEULE SANTÉ

Isabel Soubelet  

La santé et l’environnement sont étroitement liés et leurs interactions sont aujourd’hui bien documentées. Le champ des actions à mener, réellement titanesque, relève de politiques publiques et de la direction des établissements. Mais les professionnels de santé, qui devraient pouvoir appréhender le sujet dès leur formation initiale, ont un rôle à jouer.

Ce rôle concerne autant l’évolution de leurs pratiques, que la pérennité de leur activité, la préservation de leur santé, celle des patients et de la planète. One health (Une seule santé en français), santé globale, santé-environnement, santé environnementale, santé planétaire… les appellations qui couvrent ce champ d’études et d’actions sont multiples. Et la récente pandémie a rappelé la nécessité d’avoir une approche globale et pluridisciplinaire des enjeux sanitaires incluant la santé des animaux, des végétaux et des êtres humains, ainsi que les perturbations de l’environnement générées par l’activité humaine. « La santé planétaire part de la reconnaissance des limites planétaires pour proposer une vision très intégrative qui met l’accent sur les dimensions sociales et les déterminants sociaux de la santé », souligne Anneliese Depoux, chercheuse affiliée au Laboratoire interdisciplinaire des politiques publiques (Liepp) à Sciences Po Paris Cité et au Centre des politiques de la Terre, et cofondatrice de l’association Alliance santé planétaire(1). Si la Covid-19 a (re) mis sur le devant de la scène l’interdépendance des milieux, la santé environnementale n’est pas nouvelle. Dès 1994, lors de la conférence d’Helsinki, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en proposait une définition : « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures. »

L’environnement, un déterminant majeur de la santé

Qualité des milieux (air, eau, sols, déchets, etc.), nuisances véhiculées (bruit, insalubrité, etc.), changement climatique, activités humaines industrielles ou encore environnement intérieur et de travail (exposition à des produits dangereux, stress, etc.), tous ces facteurs peuvent déterminer ou aggraver certaines pathologies comme les cancers et les maladies chroniques. L’environnement est bien un déterminant majeur de santé. « Selon l’OMS, les facteurs environnementaux sont responsables de 23 % des décès et de 25 % des pathologies chroniques dans le monde, précise Anneliese Depoux. Ces bouleversements environnementaux représentent aujourd’hui une menace de premier ordre pour la santé. Une partie de ces dégradations pourrait être évitée, ce sont autant de décès et de pathologies qui pourraient l’être également. D’ici peu, la destruction des écosystèmes, le dérèglement climatique, la perte de biodiversité, la diminution de la qualité de l’air et de l’eau, pourraient compter dans les premières causes de morbidité dans le monde. Entre 2030 et 2050, le changement climatique entraînerait près de 250 000 décès supplémentaires par an dans le monde. » Rien qu’en France, on évalue à 48 000 le nombre de décès annuel liés à la pollution de l’air. On estime que 70 % des maladies non transmissibles chez l’humain trouveraient une origine dans l’environnement. Le concept d’exposome sert à identifier l’ensemble des facteurs environnementaux en prenant en considération toutes les expositions chez l’être humain, de l’embryon (et même avant) à la mort. Il permet de comprendre comment les différentes substances interagissent au cours de la vie, en tenant compte des comportements, de l’environnement socio-économique et de l’état psychologique. Ainsi, toxicologie, épidémiologie, écologie et sciences sociales sont au cœur de cette approche.

Feuille de route santé-environnement

Au-delà des données de santé environnementale, le secteur de la santé génère des émissions de gaz à effet de serre. Depuis le 22 mai 2023, un comité de pilotage (Copil), structuré autour de sept thématiques, dont les soins écoresponsables, a été mis en place pour le secteur sanitaire et médico-social afin de maîtriser ses impacts environnementaux et d’assurer sa transformation écologique sur le long terme(2). Différents acteurs y participent, dont l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) et la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM). « Nous accompagnons et outillons le secteur de la santé sur la neutralité carbone, les soins écoresponsables, les déchets et la formation, explique Marion Briançon-Marjollet, experte en développement durable à l’Anap. Nous apportons un appui terrain aux établissements pendant quatre jours afin de les aider à formaliser leur stratégie RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NDLR] et un plan d’actions opérationnelles en matière de développement durable. Nous avons aussi créé une plateforme nationale(3) de bonnes pratiques organisationnelles qui met en avant ce qui existe déjà. » À date, 500 établissements ont été accompagnés lors de la première vague (2020-2021) et 600 lors de la 2e (2022-2023). De son côté, l’Assurance maladie, qui n’était pas forcément identifiée jusque-là comme un acteur sur ce sujet, s’investit. « Nous avons un rôle à jouer dans la transition écologique du système de santé, l’enjeu écologique et l’empreinte carbone viennent apporter une brique à des enjeux que nous abordons déjà car nous travaillons avec les prescripteurs sur le bon usage du médicament », souligne Claire Traon, directrice de mission transition écologique et santé environnementale à la CNAM. À cette dynamique, il faut ajouter l’adoption d’une feuille de route santéenvironnement(4) par la Haute Autorité de santé (HAS) en novembre dernier. Elle se décline en une quinzaine d’actions construites autour de trois missions fondamentales : consolider les critères environnementaux dans l’évaluation des technologies de santé et développer leur bon usage pour limiter leur impact environnemental ; élaborer des recommandations de bonnes pratiques en encourageant une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux ; renforcer les critères liés à la santé-environnement dans la mesure de la qualité des soins et des accompagnements. Pour y parvenir, la HAS va sensibiliser et former ses agents, intégrer des experts en santéenvironnement et former en interne un réseau de référents spécialisés sur ces sujets. Cette dynamique de décarbonation aura des effets positifs à plus ou moins long terme. « Prendre des mesures pour décarboner le système de santé en évitant par exemple le gaspillage génère un cercle vertueux qui permet de réaliser des économies, estime Patrick Pessaux, président du Collectif écoresponsabilité en santé (Ceres) et du Comité transition écologique en santé de la Fédération hospitalière de France (FHF). Et si on adopte une vision One Health, alors ce seront des maladies chroniques moins nombreuses dans la société et des économies à plus long terme. Dans tous les cas, tout cela doit être enseigné, et les professionnels de santé doivent être formés afin de travailler sur une pertinence des soins qui intègre, dans le parcours du patient, le coût économique, le coût environnemental et aussi son ressenti. » Et les professionnels infirmiers le savent. Lors de la COP28 (Conférence des parties sur le changement climatique) en décembre 2023, à Dubaï, le Conseil international des infirmiers (CII) a rappelé l’importance de placer la santé (une journée lui était consacrée pour la première fois) au centre du changement climatique en investissant dans les soins infirmiers.

Des actions structurées en région

Le 4e plan national de prévention des risques pour la santé, liés à l’environnement (2021-2025), intitulé « Un environnement, une santé », se décline en plans régionaux santé environnement (PRSE). Il poursuit quatre objectifs majeurs (en vingt actions) : s’informer, se former et informer sur l’état de mon environnement et les bons gestes à adopter pour notre santé et celle des écosystèmes ; réduire les expositions environnementales affectant la santé humaine et celle des écosystèmes sur l’ensemble du territoire ; démultiplier les actions concrètes menées par les collectivités dans les territoires ; mieux connaître les expositions et les effets de l’environnement sur la santé des populations et des écosystèmes. Un vaste programme qui se concrétise via des appels à projets financés par les agences régionales de santé (ARS). On peut citer la sensibilisation des professionnels de santé (sagesfemmes et infirmières puéricultrices) aux perturbateurs endocriniens en Nouvelle-Aquitaine, la signature d’une charte environnementale et l’accompagnement de onze sites pilotes de périnatalité en Bretagne, les journées de professionnalisation pour acquérir des connaissances en santé environnementale (air intérieur, changement climatique, qualité de l’eau) en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

L’éco-conception des soins infirmiers

En février 2024, la direction générale de l’offre de soins (DGOS), l’Anap et la CNAM ont lancé une démarche commune d’identification des bonnes pratiques en matière de soins écoresponsables via un questionnaire diffusé auprès de tous les professionnels en ville et structures sanitaires et médicosociales. Une restitution est prévue mi-juin. Les bonnes pratiques sélectionnées seront mises en ligne sur la plateforme de l’Anap. De son côté, la CNAM relaiera celles qui concernent la ville. « Aujourd’hui, certaines caisses ont investi le champ de la santé environnementale à travers des ateliers ou des conférences sur le cabinet écoresponsable et d’autres mènent des actions de sensibilisation sur les perturbateurs endocriniens, précise Claire Traon. Une fois terminé le recensement des initiatives de terrain, nous généraliserons celles qui sont pertinentes et apportent une réelle plus-value. » Au quotidien, les infirmiers et les infirmières, hospitaliers ou en libéral, sont en première ligne pour toucher la population. « Depuis deux-trois ans, nous sommes davantage sollicités par les CPTS [communautés professionnelles territoriales de santé, NDLR], et il est important d’avoir un discours positif et non anxiogène, précise André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES), qui milite depuis longtemps pour une meilleure prise en compte des effets des perturbateurs endocriniens sur la santé. Il faut vraiment acquérir et développer une culture de la santé environnementale, et surtout intégrer le sujet dans la formation. » Il reste encore beaucoup à faire en termes de formation, notamment initiale, mais la santé environnementale est une belle motivation qui répond aux valeurs des professionnels de santé. « C’est un véritable sujet métier à côté duquel il ne faut pas passer, estime Véronique Molières, directrice du Comité pour le développement durable en santé (C2DS). Il faut saisir la dynamique publique de réduction de l’empreinte carbone du secteur de la santé, qui apporte une vision transversale, pour embarquer et mobiliser sur le long terme les équipes soignantes sur la santé environnementale. L’explosion des maladies chroniques, c’est quelque chose qu’elles voient tous les jours, et la santé environnementale les concerne aussi directement pour leur propre santé, avec à la clé des cobénéfices. » L’écologie est une opportunité qui, si elle est mise en centre du système de santé, permettra de mieux soigner.

Références

1. Association Alliance santé planétaire ; https://alliancesanteplanetaire.org 2. Feuille de route de la planification écologique du système de santé ; https://vu.fr/wUMwX 3. Plateforme nationale des bonnes pratiques organisationnelles de l’Anap ; https://anap.fr/s/bonnes-pratiques-orga 4. Feuille de route santé-environnement de la HAS ; https://vu.fr/gUVv