L'infirmière n° 045 du 01/06/2024

 

DOSSIER

FORMATION

Si la formation initiale est à la traîne dans ce domaine, de nombreuses possibilités en formation continue existent, mais nécessitent un engagement dans la durée et des sacrifices. Néanmoins, une communauté croissante d’infirmiers investit ce nouveau champ mettant en accord convictions personnelles et pratiques professionnelles.

La conscience écologique progresse mais il y a toujours peu de place pour intégrer l’environnement dans la pratique de soins et pas assez de financements pour former les professionnels, estime Philippe Perrin, éco-infirmier, pionnier sur le sujet et fondateur-directeur de l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen)(1) depuis 2012. En septembre prochain, nous allons ouvrir la 15e promotion. Le parcours porte sur 189 heures en format hybride, distanciel (modules 2 à 7) et présentiel (module 1, puis modules 8 et 9 sur une semaine) à Aix-les-Bains. Les promotions affichent une forte proportion d’infirmiers qui, ensuite, changent de structure ou de métier au moins partiellement. Ils essaient de conserver une activité de soins et développent en parallèle des actions en santé environnementale. »

La difficulté pour un soignant est d’intégrer ce champ dans sa pratique. Cette matière n’étant pas enseignée dans les formations initiales en tant que telle et de manière égale sur le territoire, les infirmiers passés par l’Ifsen ou des diplômes interuniversitaires (DIU) ont parfois du mal à valoriser leurs nouvelles compétences. « Cela peut paraître plus facile dans le cadre d’un exercice infirmier libéral car il est possible de faire de la prévention sur l’environnement au domicile du patient (qualité de l’air, chauffage, ventilation, produits d’entretien, cosmétiques), ajoute Philippe Perrin. D’un autre côté, il existe un fort potentiel dans les établissements hospitaliers où l’on peut cibler les équipes des services de périnatalité où ces préoccupations rejoignent de plus en plus celles des parents. »

Développer les bonnes pratiques au quotidien

Dentiste pendant quinze ans, Alice Barras s’est lancée dans une activité de formation avec deux diplômes universitaires (DU), « Médecine environnementale » et « Management du développement durable en santé », obtenus à l’université de Montpellier. Elle a complété son parcours en 2021 avec la formation ChanCES (changement climatique, transitions et santé) de l’École des hautes études en santé publique (Ehesp). Autrice du Guide du cabinet de santé écoresponsable(2), destiné à tous les professionnels de santé libéraux, elle confirme être depuis la crise sanitaire de plus en plus sollicitée par les maisons de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les unions régionales des professionnels de santé (URPS). En octobre 2023, elle est intervenue lors du premier forum sur l’écoresponsabilité, initié par l’URPS médecins libéraux de Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui a remporté un franc succès. Destiné à tous les professionnels de santé libéraux, dont les infirmiers, l’événement était co-organisé par le dispositif Med’Aide Inter URPS dans la région, dont Haizia Moulai, Idel à Marseille (13e), est coordinatrice. « Dans le cadre d’une expérimentation menée à l’université de Caen, explique-t-elle, j’ai créé un module intitulé Santé-environnement en pratique de 5 heures en deux volets (acteur santé-environnement et ambassadeur santé-environnement), complémentaire du module santé environnementale développé en médecine(3), qui s’adresse à tous les étudiants de santé paramédicaux. La formation a été évaluée en avril en synchrone et en interdisciplinarité, ce qui est vraiment un plus. J’y aborde des aspects très pratiques comme la gestion des déchets en cabinet, les bons gestes à développer, l’entretien et la désinfection des structures. Et puis il y a aussi le volet prévention-promotion de la santé environnementale, où tout professionnel a un rôle à jouer. Il est important d’insister sur les co-bénéfices, car prendre soin de l’environnement c’est prendre soin de sa santé et inversement. C’est une démarche gagnant-gagnant et je crois beaucoup au rôle particulier du professionnel de santé, à sa capacité d’agir. » Cette motivation, Félix Ledoux – diplômé de l’Isfidu CHU de Montpellier en 2019 et du Master en santé publique et environnementale de l’Ehesp en 2023 – la partage et reconnaît avoir « toujours eu une fibre écologique ». Dans le cadre de sa 2e année de master en alternance, il a œuvré en tant que chargé de projet décarbonation au sein de la Mission d’appui à la performance des établissements et services sanitaires et médico-sociaux (Mapes), une structure financée par l’agence régionale de santé des Pays de la Loire. Il est aussi intervenu à l’Ifsi de Rennes sur la santé environnementale dans l’unité d’enseignement de santé publique et dans celui de gestion des risques. « Les infirmiers peuvent mettre en place de nombreuses actions au quotidien qui relèvent de leurs pratiques directes, mais ils ont aussi la possibilité de prendre la parole sur le gaspillage et la réutilisation par exemple, estime celui qui vient de rejoindre un pool d’infirmiers remplaçants en service de médecine générale au CHU de Nantes. Il faut qu’ils s’emparent du sujet car ils jouent un rôle majeur dans la prévention primaire, secondaire et tertiaire. »

Des infirmiers ambassadeurs de la santé environnementale

Diplômée de l’Ifsi à Bordeaux en 2010, Aline Almansa s’est formée à l’Ifsen en 2021. Elle a gardé jusqu’en décembre 2022 sa fonction d’infirmière coordinatrice à temps partiel d’une équipe mobile dans une maison de santé à Talence, tout en rejoignant Coop’Alpha, une coopérative d’activités et d’emploi (CAE) située à Périgueux, pour développer ses nouvelles activités. « Aujourd’hui, nous sommes trois éco-infirmières au sein de la coopérative, nous ne faisons plus de soins mais nous menons des actions de promotion de la santé, souligne-t-elle. Cela passe par de la sensibilisation, de la formation d’autres professionnels de santé et de la petite enfance, et des interventions dans les Ifsi. À quatre, avec un autre diplômé de l’Ifsen de formation initiale agro-alimentaire, nous répondons à des appels à projets, notamment de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, je fais un métier différent, avec une grosse partie création de projet, développement du réseau et management. C’est une dynamique très stimulante, je suis vraiment alignée sur mes valeurs, même si ce n’est pas encore évident financièrement. » L’équipe a même sorti un guide pratique de santé environnementale à l’usage des formatrices et formateurs d’assistantes maternelles(4). Preuve de la reconnaissance de leurs compétences.

Dans le Morbihan, Lolita Rio, infirmière depuis 2012, a exercé son métier pendant dix ans. « J’ai vraiment constaté une épidémie des maladies chroniques, souligne-t-elle. En 2015, ma première grossesse a été le facteur déclencheur pour m’intéresser à l’impact de l’alimentation sur ma santé et celle de mon bébé. Alors, en libéral, j’ai fait un burn-out, puis un bilan de compétences. Je ne voulais plus travailler dans le curatif mais dans la prévention. Je suis entrée dans la santé environnementale par la santé, et on peut vraiment amener chacun à agir. » Une fois tiré ce premier fil, les choses se sont enchaînées. Formée à l’Ifsen en 2022, ainsi qu’aux ateliers Nesting, elle vient de créer, le 1er mars, son cabinet de conseil et de formation spécialisée en santé environnementale, intitulé Les nuances du colibri. Avec deux cibles prioritaires : les parents afin de les accompagner dans la création d’un environnement le plus sain pour l’enfant à venir ; les professionnels au sein de sociétés de tout secteur pour les sensibiliser à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), et les centres de formation pour les professionnels paramédicaux et de la petite enfance. Sans hésitation, elle encourage tous les soignants à s’intéresser à la santé environnementale. « Il faut vraiment que le sujet soit maintenant intégré dans la formation de tous les professionnels de santé et de la petite enfance. » Un engagement sans faille.

Références

1. Site de l’Institut de formation en santé environnementale (Ifsen) : https://ifsenformations.fr 2. Guide du cabinet de santé écoresponsable, d’Alice Barras ; https://vu.fr/aIsjV 3. Pour plus de détails sur le module santé-environnement de l’université de Caen : https://vu.fr/JZNlE 4. Un guide pratique de santé environnementale à télécharger via le lien court https://vu.fr/IRcD