L'infirmière n° 045 du 01/06/2024

 

DOSSIER

REPORTAGE

La CPTS Champsaur-Valgaudemar, dans les Hautes-Alpes, s’est lancée dans une approche de développement durable qui concerne le fonctionnement de la structure, la sensibilisation des professionnels de santé et des habitants du territoire. Avec une belle dynamique collective vertueuse.

C’est en 2013 que le pôle de santé du Champsaur-Valgaudemar, situé dans les Hautes-Alpes, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a vu le jour avec l’objectif d’optimiser le parcours de soins des patients d’un territoire rural de moyenne montagne qui compte 11 000 habitants. Fin 2020, le pôle a évolué en communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Il compte aujourd’hui 88 adhérents, dont 73 professionnels libéraux (29 infirmiers, 20 médecins, etc.), et 15 structures adhérentes, parmi lesquelles les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de Saint-Bonnet-en-Champsaur, Saint-Firmin et Saint-Jean-Saint-Nicolas, deux Ehpad, un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et un service d’aide à domicile en milieu rural (ADMR).

Dans cet environnement proche de la nature, l’habitat est dispersé, la population vieillissante, le travail saisonnier important (stations de ski) et l’adhésion à la CPTS forte. Le territoire est bien doté en soins primaires et la difficulté réside, comme souvent, dans l’accès aux spécialistes. Ils exercent à Grenoble, Gap ou Marseille. L’équipe salariée de la CPTS et les soignants de la MSP de Saint-Bonnet-en-Champsaur portent de nombreuses actions en faveur de la préservation de l’environnement. Dès le départ, la CPTS a inclus dans ses indicateurs ACI (accord conventionnel interprofessionnel) un axe de prévention sur la santé environnementale qui vient s’ajouter aux thèmes de prévention habituels (dépistage des cancers, tabac, vaccination, etc.). Cette année, en juin, lors de l’assemblée générale, elle va proposer la mise en place d’une charte responsabilité sociale et environnementale, et espère obtenir la validation des adhérents. « Cette charte permettrait, d’un côté, de formaliser notre engagement et, de l’autre, de déterminer comment nous pouvons appuyer et accompagner les professionnels de santé dans leurs propres démarches de développement durable », souligne Hélène Béguin, coordinatrice de la CPTS.

Une initiative des soignants

« Nous avons investi le champ de la santé environnementale dès 2020 à l’initiative des soignants, notamment de deux médecins, d’une infirmière libérale et d’une sage-femme formée aux ateliers Nesting, poursuit la coordinatrice. Nous avons organisé des ateliers destinés aux professionnels de la petite enfance – les personnels des crèches et les assistantes maternelles – sur le sujet de la pollution intérieure. » Claire Pouleau, sage-femme libérale adhérente à la CPTS, s’est volontiers emparée du sujet. « Je me suis formée en 2017 à Aix-en-Provence avec le WECF [L’ONG Women Engage for a Common Future, NDLR] aux ateliers Nesting sur les risques liés à la pollution intérieure, précise-t-elle. Et lorsque la CPTS s’est constituée, j’ai proposé de faire de la sensibilisation. » Avec la crise sanitaire, les choses se sont déroulées en deux temps. D’abord, une formation en ligne par une formatrice Nesting à destination des professionnels de santé sur les grands enjeux de la santé environnementale. Puis une action en direction des patientes menée par la sage-femme sous la forme de modules en présentiel. Elle y abordait quatre thèmes, à savoir la qualité de l’air intérieur et les produits ménagers ; l’alimentation, la cuisson et la conservation ; les cosmétiques et les médicaments ; et les champs électromagnétiques.

Informer sans inquiéter

Claire Pouleau, professionnelle investie, poursuit ses actions au cours de moments privilégiés avec les parents. « Je réalise des ateliers en période prénatale ou après la naissance, confie la sage-femme. J’aborde la question des toxiques environnementaux, les peintures et les vernis, les cosmétiques de la maman, les contenants alimentaires, etc. Ce sont des données générales que j’adapte au discours de la parentalité car, à cette période, les parents sont plus réceptifs, intéressés et, je le constate, de plus en plus informés. Mon objectif est de ne pas les inquiéter, de rester dans les faits et de porter un message simple avec des choses faciles à mettre en place, comme réduire les produits toxiques ou apprendre à reconnaître les différents labels. » À l’avenir, Claire Pouleau aimerait se former pour devenir ambassadrice du réseau Femmes enceintes environnement et santé (FEES) et ainsi diffuser toutes ces informations plus largement. Elle souhaiterait aussi proposer aux mairies une formation pour les professionnels du nettoyage des cantines et des crèches. Mais le temps lui manque et les créneaux horaires communs pour elle et le public sont difficiles à trouver. Toujours sur ce territoire, Caroline Malvy, infirmière depuis 2003 et puéricultrice depuis 2007, développe des consultations sur le soutien à la parentalité. « J’aborde avec les parents la question de la qualité des produits à utiliser, comme ceux à mettre sur la peau du bébé car on sait que même les produits les plus doux cassent les futures barrières, indique-t-elle. J’évoque aussi la question du bain. Avant, je prônais le bain quotidien, maintenant, c’est plutôt un jour sur deux. Et puis il y a la question des produits de nettoyage pour la chambre du bébé ou de la maison où je peux établir les liens avec la santé. Par exemple, les eaux parfumées et les humidificateurs avec des huiles essentielles sont à proscrire. Aujourd’hui, je vois de plus en plus d’enfants avec des rhinites allergiques et des eczémas, et sujets aux reflux. Il est important de parler du développement de l’allaitement maternel, et les mamans qui allaitent posent beaucoup de questions. » Dans ses attributions, l’IPDE effectue un suivi en pluridisciplinarité (médecin traitant, psychologue et diététicienne) de plusieurs enfants dans le cadre d’un programme de prévention du surpoids et de l’obésité infantile. « Cela m’amène à échanger avec eux et leurs familles sur l’alimentation, l’activité physique et la sédentarité, le temps passé devant les écrans, et quelque part les liens avec l’environnement », poursuit-elle. Si elle ne dispose pas d’assez de temps pour s’investir dans le groupe de travail développement durable, elle attend beaucoup de la réflexion qu’il mène. « Avec ces idées, nous allons pouvoir évoluer et faire autrement au sein du cabinet où nous sommes cinq Idel, il faudrait notamment avoir une prescription de pansements au plus juste, mener un travail avec les pharmacies afin de réduire les emballages et les déchets », poursuit-elle.

Agir à son niveau et à son rythme

Au sein de la MSP de Saint-Bonnet, un petit groupe de professionnels de santé réfléchit sur « l’écocabinet » afin de mettre en avant les bonnes pratiques et de valoriser une forme d’exemplarité environnementale. « Aujourd’hui, la volonté est là, dans nos échanges tout le monde a des idées. Ensuite, il faut passer à la mise en pratique, et cela peut être plus long », indique Héloïse de Graève, psychologue, engagée à titre personnel dans la décroissance depuis longtemps. La mise en pratique, c’est le fil rouge de Fabien Sicard, kinésithérapeute spécialisé en ostéopathie. « Depuis 2020, j’ai mis en place des draps professionnels non tissés lavables. J’ai donc supprimé l’usage unique et le papier en rouleau qui a vraiment un coût, confie-t-il. Je voulais être en accord entre ce que je faisais chez moi et au cabinet, et pendant la crise sanitaire, j’ai pris le temps de me pencher sur la question. Pour le moment, je fais les machines à mon domicile à raison d’une à deux par semaine. Globalement, je suis gagnant sur le plan économique si on ne compte pas le temps passé pour faire les machines. Mais tout est désormais intégré dans mon rythme. Cette contrainte pourrait être ramenée à zéro dans d’autres locaux en installant une machine destinée au lavage (draps et blouses), et donc inclus dans le temps des équipes de ménage. Nous avons aussi poussé pour utiliser des produits de désinfection moins forts, donc moins impactants pour les équipes d’entretien. Le plus gros problème, ce sont les transports, et là où nous sommes, compter sur les transports en commun, c’est utopique. Certains médecins viennent à vélo, mais nous avons souvent de la neige ! Après j’essaie de grouper les séances d’ostéopathie quand deux personnes viennent du même foyer. » Pour l’instant, Fabien Sicard est le seul de sa profession à avoir cette motivation, mais cela pourrait donner des idées à d’autres. « Nous avons vraiment mis le projet de santé écoresponsable au cœur de la MSP, et je suis confiant sur le fait que chacun va avancer, à son rythme, ajoute-t-il. Nous avons des habitudes à changer mais, à terme, cela deviendra la norme. Et puis se recentrer sur des actions au quotidien, cela me fait du bien. »

Impulser une dynamique verte sur le territoire

La CPTS s’est fixé comme objectif d’organiser un événement tous les ans. En 2023, c’était une conférence sur la santé environnementale et les perturbateurs endocriniens animée par Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association santé environnement France (Asef) qu’il a cofondée en 2008. Elle a accueilli plus de 120 personnes, des professionnels de santé, des élus locaux et des habitants. « Cela permet d’avancer dans une culture commune de la santé environnementale et favorise un langage commun entre les professionnels de santé », estime Hélène Béguin. En parallèle, la CPTS intègre une démarche vertueuse dans son propre mode de fonctionnement. Lors de son récent déménagement, elle a choisi Enercoop comme fournisseur d’électricité. Elle privilégie le plus souvent possible des achats responsables (matériel d’occasion, produits locaux pour les buffets, etc.), la réutilisation et le tri. À la MSP de Saint-Bonnet-en-Champsaur, une réflexion est en cours entre les kinésithérapeutes et les médecins pour réduire l’impact environnemental des prises en charge en orthopédie avec les orthèses et les attelles en plastique moulé. Et l’équipe va plancher sur le choix des produits d’entretien pour réduire la pollution de l’air intérieur. Cette dynamique verte de territoire croise la volonté de la mairie de la commune, qui cherche à développer un urbanisme favorable à la santé dans le cadre de la revitalisation du centrebourg. « Cette démarche rejoint nos compétences puisque nous sommes aussi maison sport-santé (MSS) et menons une réflexion collective sur la meilleure façon d’utiliser le cœur du village », précise Hélène Béguin. Une boucle vertueuse complète au service d’un territoire.