CANCER : CONSÉQUENCES DES TRAITEMENTS MIEUX PRISES EN COMPTE
DOSSIER
TABLE RONDE
Comme souvent, grâce à sa prise en charge pluridisciplinaire, le cancer fait figure de proue dans la prise en compte des répercussions des traitements sur la santé sexuelle des patients. Le sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une table ronde lors du congrès de l’Afic, qui s’est tenu à Paris le 16 mars dernier.
Pendant les traitements d’un cancer, les patients se divisent en trois groupes : ceux qui s’adaptent sans difficulté à la situation - dont probablement une bonne partie met entre parenthèses sa sexualité -, ceux qui ont besoin de conseils relativement simples et ceux qui ont besoin d’un accompagnement beaucoup plus spécialisé. C’est le constat qui a amené l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos) à publier, en 2019, un référentiel intitulé « santé sexuelle et cancer ». Pour autant, aborder le sujet avec les patients ne va pas encore toujours de soi, au regret de Coralie Marjollet, présidente de l’association Imagyn, qui rassemble des patientes atteintes de cancers pelviens. « Nous recevons beaucoup de témoignages de femmes qui nous disent qu’on ne leur a pas parlé de sexualité ou expliqué toutes les conséquences des traitements, en particulier de la curiethérapie, a-t-elle raconté lors d’une table ronde durant le dernier congrès de l’Association française des infirmières en cancérologie (Afic). Dans le cas d’un cancer du col de l’utérus, il y a pourtant des choses à faire très tôt pour éviter le cartonnage et que le vagin ne se referme trop. » Pour beaucoup d’infirmiers diplômés d’État (IDE), la première difficulté est de savoir quand aborder la question. « Pour les cancers pelviens, le moment de la sortie d’hôpital après la chirurgie est particulièrement opportun, car c’est le moment où l’infirmière remet les différentes ordonnances et fait le point sur le parcours, explique Coralie Marjollet. Cette dernière peut penser que la patiente a la tête à autre chose car elle a eu des soins pénibles et souvent douloureux, mais il ne faut pas la laisser quitter l’établissement sans avoir parlé de sexualité avec des mots clairs et proposer un accompagnement. »
Mais plus largement, et quels que soient le type et la gravité du cancer, l’âge et la situation conjugale, cette patiente partenaire milite pour que la santé sexuelle ne soit pas un tabou tout au long du parcours. « Le soignant ne doit pas avoir de préjugés sur son patient. On peut avoir une sexualité à tout âge, ne pas en avoir pendant plusieurs années et vouloir à nouveau l’envisager après une nouvelle rencontre », insiste la présidente d’Imagyn. Médecin ou infirmière : qui est le professionnel le mieux placé pour ouvrir le dialogue, et quand ? « Il n’y a pas vraiment en soi de bon moment pour parler de sexualité, estime Silène Delorme, infirmière sexologue, coordinatrice UTEP (Unité transversale d’éducation thérapeutique) à l’Institut Curie, à Paris. Le bon moment, c’est le bon moment pour le patient. Et pour le savoir, il faut tout simplement lui poser la question, ouvrir le dialogue pour qu’il puisse poser des mots sur ses ressentis, ses craintes et ses représentations. C’est la responsabilité des soignants de pouvoir aller questionner sur ce sujet-là. » La consultation infirmière d’annonce peut très bien s’y prêter puisque toute une série de sujets sont abordés à cet entretien, y compris les plus intimes, de l’alimentation au sommeil, en passant par le transit. Mais ce n’est pas le seul moment. « Si nous posons la question à cette occasion, même si le patient ne souhaite pas donner suite, c’est toujours utile car elle sera dans un coin de sa tête. Lorsqu’il aura des interrogations et un besoin d’accompagnement, il pourra y revenir auprès de n’importe quelle blouse blanche », ajoute Silène Delorme. L’IDE déconseille l’approche allusive, mieux vaut des questions précises en entonnoir : « Est-ce que les traitements que vous subissez ont un impact sur votre sexualité ? » « Est-ce que vous souffrez de sécheresse vaginale ? »
Les répercussions des traitements du cancer sont très larges. « Il ne faut pas oublier que quand on annonce à notre patient une maladie grave, celui-ci doit d’abord faire face à la peur, y compris celle de la mort, et il est normal que la sexualité passe au second plan, mais cela ne veut pas dire qu’elle disparaît, cadre Marion Aupomerol, gynécologue à l’Institut Gustave-Roussy (IGR), à Villejuif. Il y a déjà la fatigue, les nausées, les douleurs pendant les traitements qui ne donnent pas envie. Par la suite, il y a des troubles érectiles chez les hommes qui sont fréquents. Les femmes peuvent avoir des douleurs en raison de traitements ou de la ménopause induite. Il y a aussi toutes les difficultés liées à l’image du corps en cas de mastectomie, de stomie ou de problème d’incontinence. À nous d’expliquer tout cela très tôt et de faire de la prévention pour éviter le maximum de séquelles. » Les chirurgies pelviennes, en particulier, nécessitent une prise en charge précoce afin que la sexualité pénétrative puisse rester possible par la suite.
La multiplicité de ces questions a conduit de plus en plus de soignants à instaurer des consultations dédiées. « Depuis quelques années, nous avons mis en place à Curie un atelier d’éducation thérapeutique sur l’intimité et la sexualité pour les femmes, que je coanime avec une patiente partenaire, raconte Silène Delorme. Mais le format d’atelier collectif ne convient pas forcément à tout le monde. » Un parcours de santé sexuelle est donc proposé avec une à quatre consultations de 45 minutes assurées par elle-même et une médecin oncosexologue, pour les hommes et les femmes. « Je reste dans mon champ de compétences, je ne fais pas d’examen clinique gynécologique mais je travaille en collaboration avec la médecin, explique l’IDE qui a suivi un DIU de sexologie. S’il y a besoin d’un suivi plus long, cela veut dire que la difficulté préexistait au cancer. Dans ce cas, nous réorientons en ville. » À l’IGR, la docteure Marion Aupomerol a également créé une consultation spécifique depuis quatre ans pour les femmes, éventuellement accompagnées de leur conjoint. « Je passe beaucoup de temps à expliquer et nous discutons ensemble des solutions qui peuvent être envisagées, notamment les dilatateurs et les différents types de lubrifiants », raconte-t-elle.
L’existence de ces consultations ne signifie pas, pour autant, que seuls les soignants spécifiquement formés peuvent aborder la santé sexuelle. « Nous sommes vraiment toutes légitimes, insiste Silène Delorme. Écouter une personne, entendre une plainte de quelque sorte que ce soit, on le fait tous les jours, cela relève de notre rôle propre. Et si on ne se sent pas capable de répondre à une question, il faut en revanche savoir orienter nos patients. » Les associations de patients offrent d’ailleurs également des ressources importantes et constituent des relais efficaces. L’association Imagyn propose notamment des ateliers et des cafés d’échanges, et a publié un livret consacré à la sexualité.