L'infirmière n° 046 du 01/07/2024

 

DOSSIER

TÉMOIGNAGES

Timidement, des consultations infirmières en sexologie voient le jour dans quelques hôpitaux, faisant face avec peine à la demande. En ville, quelques Idel tentent également de proposer des créneaux malgré des contraintes réglementaires pénalisantes.

Carine Jego

« JE NE SUIS PAS THÉRAPEUTE DE COUPLE, C’EST UN AUTRE MÉTIER »

A rrivée en urologie « un peu par hasard », Carine Jego n’avait au départ aucune formation ou presque sur la sexualité. La prise en charge de référence pour la dysfonction érectile après une chirurgie est l’injection intracaverneuse. « Le médecin faisait la première injection et les patients repartaient chez eux et souvent, ils abandonnaient très vite, raconte l’IDE. J’ai donc, dès 2008, commencé à faire de l’éducation aux injections dans le cadre d’un protocole de coopération, qui a ensuite été élargi aux autres prises en charge, notamment les pompes et les implants. » Mais, au bout d’une dizaine d’années, « si je maîtrisais bien au niveau technique, il me manquait un petit truc », ajoutet- elle. En 2015, elle se lance dans le DIU de sexologie clinique à Rouen « pour avoir une approche plus globale, voir autre chose que de la dysfonction érectile mécanique et pouvoir également prendre en charge les femmes, notamment celles qui souffrent de dyspareunie et auxquelles on ne propose rien ». Trois ans plus tard, son diplôme en poche, et en lien avec un nouvel andrologue du service, elle ouvre sa consultation infirmière de sexologie à d’autres pathologies, notamment les patients diabétiques, ceux traités pour des cancers ou encore des patients séropositifs dont la charge virale est négative mais qui, après 50 ou 60 ans, commencent à connaître des troubles érectiles. Les consultations durent 45 minutes, suivies de 15 minutes pour la rédaction du compte rendu. Elles ont lieu à raison d’une journée par semaine pour tous les patients du CHU de Rouen.

Une disponibilité clairement insuffisante pour répondre à la demande, d’autant que l’éducation aux traitements de la dysfonction érectile - sur prescription médicale - remplit une large partie de son agenda. « C’est toujours un acte médical qui m’est délégué, explique-t-elle. Les patients ont deux rendez-vous à une semaine d’intervalle. Pour le premier, je fais l’injection et j’explique la procédure au patient. Pour le second, il vient avec sa compagne ou son compagnon qui peut réaliser l’injection sous mon contrôle. Je valide que le geste est bien réalisé et que la procédure est bien comprise car le principal risque avec ce traitement, si les doses ne sont pas augmentées correctement, c’est celui de priapisme qui est une urgence chirurgicale. Après quoi, je les suis tous les six mois jusqu’à deux ans. »

Une activité diversifiée

De même pour les patients qui sont implantés, l’IDE les voit à J2, J4 et J10 du bloc et leur apprend à manipuler le dispositif. « Mon activité est finalement assez diversifiée, conclut Carine Jego. Je commence aussi à voir des jeunes éjaculateurs précoces pour lesquels il y a un grand travail d’éducation à mener. En revanche, je ne suis pas thérapeute de couple, je pense que c’est un autre métier. » Quant aux patients qui souffrent de problèmes d’addiction, elle préfère également les diriger vers la psychiatrie. « Je sers souvent de relais, y compris vers les gynécologues pour les femmes qui ont des douleurs, c’est pourquoi il est très important d’avoir un bon réseau », explique-t-elle.

Virginie Ogier

« J’AMÈNE LES PATIENTS À S’APPROPRIER LEUR CORPS ET LEUR IMAGINAIRE ÉROTIQUE »

Lorsqu’elle était étudiante à l’hôpital, en service de chirurgie, « c’est le silence des patients comme celui des soignants sur la question de la sexualité » qui l’interpellait. Les premiers se retranchaient probablement derrière leur pudeur et les seconds recourraient à « l’humour défensif ». « Puis, lorsque j’ai travaillé en post-urgences psychiatriques, mon interrogation sur cette thématique s’est poursuivie », se souvient Virginie Ogier, infirmière depuis 16 ans, qui rappelle que la profession amène « toujours au plus près de l’intimité des gens ». Une fois installée en libéral dans l’Isère, elle a accompagné beaucoup d’hommes et de femmes en traitement pour des cancers. « J’étais parfois en difficulté, pas tant sur le plan technique, mais plutôt par rapport à leurs questions sur comment vivre leur sexualité », poursuit-elle. Elle décide donc de suivre un DIU de sexologie clinique à la faculté de Lyon, dont elle a apprécié le caractère pluriprofessionnel et l’approche par les six dimensions de la sexualité humaine (biologique, psychologique, affective, cognitive, culturelle et légale). Mais, en 2021, pour mettre en pratique ses nouvelles compétences, le chemin n’a pas été facile. Malgré le niveau d’exigence élevé de la formation et l’existence de la discipline depuis une soixante d’années en France, le diplôme n’est pas reconnu au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). « Quand j’ai voulu m’installer comme sexologue, je voulais que mes patients sachent quel était mon métier initial mais cela s’est avéré un peu compliqué avec l’Ordre (lire p. 22), raconte Virginie Ogier. Mon diplôme d’infirmière était la base de ma pratique pour définir ma posture professionnelle et mon champ de compétences en sexologie. » Elle se laisse ensuite une année pour réfléchir à son projet et surtout, construire un réseau professionnel. Finalement, en 2023, elle décide de devenir infirmière salariée en centre médico-psychologique (CMP) et sexologue en tant que travailleuse indépendante dans un cabinet situé au sein de la maison de santé pluridisciplinaire (MSP) de Montalieu-Vercieu. En effet, cette seconde activité ne lui permet pas, pour l’heure, de lui procurer un revenu suffisant. « Dans le cadre de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), j’ai fait de l’aller-vers pour présenter aux professionnels de santé ce que je faisais, expliquet- elle. Cela a été un cheminement très intéressant et une opportunité d’acquérir une certaine crédibilité. »

Écoute active, information et conseil

Désormais, sa consultation dans la MSP - tous les lundis et mardis soir ainsi que les samedis matin - représente environ 30 % de son temps d’activité. Les séances durent entre 45 minutes et une heure, avec une rythmicité en fonction de chaque patient. La consultation est facturée 45 euros pour une personne seule et 60 euros pour un couple, et est parfois prise en charge par certaines complémentaires. Les patients viennent spontanément en prenant rendez-vous sur Doctolib ou sont aussi souvent orientés par les sages-femmes, les urologues et les généralistes. En consultation, Virginie Ogier, qui travaille en supervision et intervision avec des collègues sexologues, pratique l’écoute active, l’information et le conseil, puis propose aux patients des exercices corporels à faire entre les séances personnalisées « adaptés aux possibilités et aux limites de chacun », notamment à travers le toucher et la respiration, mais pas uniquement. « Le travail que nous faisons en consultation ne se réduit pas à des habiletés sexuelles, il consiste d’abord à accompagner les gens sur la définition de leur sexualité, tient-elle à préciser. Je les amène à se réinterroger sur ce qu’est la sexualité pour eux ainsi qu’à s’approprier leur corps et leur imaginaire érotique. » Les hommes viennent surtout pour des dysfonctionnements érectiles et les femmes pour des troubles de libido et du vaginisme. « Ce qui me surprend beaucoup, depuis le début de ma pratique, c’est la grande méconnaissance des patients sur leur corps et sur la sexualité. Les questions sont à peu près les mêmes, à 18 ans et à 40. Les patients plus âgés sont davantage inquiets des conséquences du vieillissement sur leur sexualité. » Dans le futur, elle souhaiterait monter un projet dans le cadre de la MSP ou de la CPTS pour le suivi des patients traités pour un cancer.

Carine Jego, IDE, diplômée du DIU de sexologie clinique au CHU de Rouen (Seine-Maritime).

Virginie Ogier, IDE, diplômée du DIU de sexologie clinique de la faculté de Lyon. Elle consulte plusieurs jours par semaine au sein de la MSP de Montalieu-Vercieu (Isère).