L'infirmière n° 046 du 01/07/2024

 

DOSSIER

PRATIQUES

La formation en sexologie humaine permet aux infirmières d’acquérir de nouvelles compétences utiles : en milieu scolaire ou dans un dispositif d’aide aux femmes victimes de violences.

Marie Frugier

« MA FORMATION ME PERMET D’ABORDER PLUS FACILEMENT LA QUESTION DE LA SEXUALITÉ »

Avant d’être coordinatrice du parcours Diane, un dispositif d’aide et de soins pour les femmes victimes de violences, Marie Frugier a travaillé en tant qu’infirmière dans différents services, notamment en maternité-gynécologie où elle s’occupait en particulier des demandes d’interruption volontaire de grossesse (IVG). « Les patientes avaient beaucoup de questions autour de la sexualité et souvent, les médecins me les réadressaient, se souvient-elle. Or, il y a des sujets spécifiques, comme le vaginisme, auxquels je n’avais pas été formée. Par ailleurs, derrière les demandes d’IVG, il y a parfois des histoires de violences. Mais, dans la prise en charge somatique, au bout de trois jours, c’est fini et on ne voit plus les femmes. » Elle décide donc de suivre une formation de conseillère conjugale et familiale et un diplôme interuniversitaire (DIU) de sexologie clinique à Paris-Cité qu’elle va terminer dans les prochaines semaines. Des acquis utiles pour le poste qu’elle occupe actuellement, depuis sa création en novembre 2022, au CH de Nanterre. Les patientes y sont orientées par les services de l’hôpital quand un soignant détecte, lors d’une consultation ou d’un entretien, qu’elles ont subi des violences. Elles peuvent aussi être adressées par des médecins de ville, la protection maternelle et infantile (PMI), les équipes sociales de la ville ou les associations.

Au premier rendez-vous, la patiente « va être amenée à parler des violences qu’elle a subies, nous allons pouvoir lui proposer un suivi et l’orienter vers d’autres professionnels médicaux, psychologiques, sociaux ou juridiques », précise Marie Frugier. Une première prise de contact réalisée en binôme composé de l’infirmière ou de la sage-femme d’une part, et de la conseillère conjugale et familiale ou de l’assistante sociale, d’autre part. « Ce double regard est important. Il arrive que nous ne percevions pas tout à fait la même chose car nous ne portons pas notre attention sur les mêmes détails, ajoute-t-elle. C’est pourquoi il est très intéressant de débriefer l’entretien en équipe. » Une équipe qui se compose d’une infirmière coordinatrice, de deux conseillères à mi-temps, deux psychologues à mi-temps, une sage-femme et une assistante sociale qui travaille en lien avec les associations du secteur. En dehors d’un danger immédiat où la victime a été orientée vers la police et les associations de mise à l’abri, les patientes sont revues la semaine suivante par une des professionnelles rencontrées la première fois. Une consultation avec la psychologue peut être proposée. « Souvent, les femmes sont perdues dans toutes les démarches juridiques, indique l’infirmière. Nous les accompagnons en nous assurant de leur bonne prise en charge somatique à l’hôpital ou en ville. Mais nous ne faisons pas tout à leur place, le but est de les rendre autonomes. »

Au bout de quinze jours, un nouveau bilan est réalisé. Le suivi n’est pas limité dans le temps. La plupart des femmes ont entrepris des démarches, mais tout dépend du niveau d’emprise subi. Un peu moins de la moitié des victimes ont connu des violences sexuelles. « Lorsqu’il s’agit de violences dans le cadre de l’intimité, elles ont beaucoup de mal à les nommer, note l’infirmière, dont la formation actuelle s’avère très utile. Dans le DIU, il y a des cours sur les violences conjugales, les mutilations et les traumatismes. Cette vision globale bio-psycho-sociale permet d’aborder plus facilement la question de la sexualité avec les patientes. Je vais aussi chercher dans leur histoire des éléments qui peuvent éclairer leur situation actuelle. »

Christine Thouroude

« À TOUS LES ÂGES, IL Y A DES REPRÉSENTATIONS À DÉCONSTRUIRE »

Christine Thouroude est une professionnelle de santé avec plusieurs casquettes. Outre son activité de sexologue clinicienne en autoentrepreneuriat dans un centre médical à Pézenas (Hérault), elle travaille principalement comme infirmière scolaire dans un lycée d’une autre ville du département. « Je pense que la santé sexuelle fait partie intégrante de notre profession car nous y sommes confrontées tout le temps, depuis l’hôpital », estime celle qui a été diplômée du DIU de Montpellier- Marseille dès la fin des années 2000 et où elle enseigne aujourd’hui. « Je fais partie de la génération sida et quand je suis entrée à l’Éducation nationale, j’ai considéré que c’était un sujet primordial, qui va de la découverte du corps à la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST), ajoute-t-elle. C’était important pour moi de ne pas rester sur les questions de contraception, mais de développer, avec les élèves, une véritable éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. »

Adopter la bonne posture

La réglementation prévoit, en théorie, trois interventions sur la santé sexuelle par an, de l’école primaire jusqu’à la terminale. Mais elle est loin d’être appliquée. « Il n’est bien sûr pas nécessaire d’avoir fait un DIU, mais je pense qu’il faut néanmoins être formée pour parler de sexualité, surtout pour avoir une bonne posture pour accueillir la parole des jeunes sans se laisser déborder, estime-t-elle. Il faut les laisser s’exprimer en étant très respectueux. » Au lycée, où elle est présente du lundi au jeudi, elle organise des interventions dans les classes, souvent avec le professeur de SVT (sciences de la vie et de la Terre), et des événements avec des associations, notamment un forum sur les violences sexistes et sexuelles. Mais c’est surtout à l’infirmerie que les adolescents, filles comme garçons, viennent se confier dans la confidentialité de l’échange. « Les portes d’entrée ne sont cependant pas tout à fait les mêmes, constate Christine Thouroude. Les filles viennent parler des règles douloureuses et de la contraception, ce qui va me permettre de poser des questions de manière moins frontale. Les garçons viennent plutôt pour récupérer des préservatifs, ce qui permet aussi d’enclencher la discussion. Les lycéens savent que je suis spécialisée en sexologie, cela facilite sans doute le dialogue. »

Des moments également utiles pour éduquer au consentement : « Apprendre à dire non est un apprentissage, comme c’est un apprentissage de l’entendre, y compris dans les signes que l’autre envoie avec son corps. » Quant au cabinet, où elle reçoit les patients adultes, seuls ou en couple, en consultation les vendredis et les samedis, « presque 90 % du temps est consacré à faire de l’éducation ». « J’ai la chance de couvrir tous les âges de la vie, mon plus vieux patient a 86 ans et vient de rencontrer une jeune femme de 79 ans, s’amuse-t-elle. Les femmes consultent plutôt pour des troubles du désir et les hommes pour des symptomatologies de l’érection et de l’éjaculation. On voit qu’à tous les âges, il y a des représentations à déconstruire. »

Marie Frugier, coordinatrice du parcours Diane au CH de Nanterre (Hauts-de-Seine).

Christine Thouroude, infirmière scolaire, sexologue clinicienne en autoentreprenariat dans un centre médical de Pézenas (Hérault), diplômée du DIU de Montpellier-Marseille.