INFIRMIÈRES ET CADRES DE SANTÉ : « JE T’AIME… MOI NON PLUS »
ACTIVITÉS CLINIQUES
MANAGEMENT
Les relations entre les infirmières et leurs cadres ne sont pas toujours faciles à appréhender. Des incompréhensions sur les rôles de chacun peuvent entraîner des tensions. Comment les apaiser ?
La légende veut que les cadres soient toujours en réunion, lance en guise d’introduction Dominique Combarnous, présidente de l’Association nationale des cadres de santé (Ancim). Cette phrase, je l’entends depuis 40 ans. » Et d’ajouter : « À l’Ancim, nous sommes conscients que personne ne connaît vraiment le rôle et la place du cadre. Ni les équipes, ni l’administration, ni les médecins, ni parfois même les cadres eux-mêmes. » Travailler sur cette thématique s’avère donc nécessaire tant les difficultés relationnelles que peuvent rencontrer les cadres et les équipes ont plusieurs entrées, à commencer par la question des représentations.
L’absence des cadres au sein des services « est une remarque récurrente, observe Dominique Combarnous. Pourtant, nous avons tous besoin de nous réunir. Si les équipes se retrouvent pour leurs transmissions, les cadres doivent également le faire pour l’organisation des plannings et garantir la continuité des soins ». Ce travail ne doit cependant pas être mené de manière isolée, les cadres devant informer les équipes, dans les grandes lignes, de l’organisation de leur journée. « Lorsque j’étais cadre en réanimation, elles savaient que le matin, je m’occupais des patients et de la qualité des soins, et que l’après-midi était dédié aux plannings, et tout se passait pour le mieux », témoigne-t-elle.
Ce partage d’informations est d’autant plus important qu’il permet de nouer une relation de proximité avec les équipes, qui ne savent pas toujours ce que font les cadres situés à l’interface des logiques médicales, administratives, institutionnelles et de terrain. Pourtant, tous ont le même objectif, à savoir la qualité des soins. « Beaucoup de soignants pensent que nous n’avons que des plannings à organiser, souligne Virginie Choux, cadre de santé au sein d’une unité de psychiatrie adulte en admission au centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes, depuis juillet 2022. Ils ne s’imaginent pas tout le travail invisible que nous accomplissons et notre champ d’action. Bien sûr, nous n’avons pas à dire tout ce que nous faisons, mais il est important de communiquer sur nos actions au risque de laisser place au fantasme. » Pour construire sa façon d’exercer, elle a pris le contrepied de ce qu’elle a observé lorsqu’elle était infirmière. « J’ai connu de nombreux modèles de management et j’ai senti le vent tourner avec le passage d’un management de proximité à un management de gestion. » Ce changement est, selon elle, lié à l’introduction d’une dimension beaucoup plus administrative dans l’organisation des soins. « Actuellement, le management de proximité et participatif fait son retour. Il permet de repérer les appétences des professionnels et leurs attentes », rappelle-t-elle, alors qu’elle s’emploie à être présente au plus près du terrain. Même démarche pour Aurélianne Supiot, ergothérapeute de formation, faisant fonction de cadre de santé depuis août 2022 au sein d’une unité adulte en psychiatrie dans le même établissement breton. « Lorsque j’exerçais en tant qu’ergothérapeute, les cadres de rééducation n’étaient pas situés dans les mêmes locaux que les équipes. Je communiquais avec eux uniquement par e-mail. » Une manière d’exercer éloignée de sa pratique actuelle, puisqu’elle se rend quotidiennement à la rencontre des soignants pour repérer leurs besoins et leurs difficultés. « Je suis souvent dans les couloirs et la porte de mon bureau est ouverte car je souhaite faire différemment », souligne-t-elle.
Bien entendu, face aux contraintes du terrain, notamment à la pénurie de soignants et aux problématiques en matière de ressources humaines, cette relation de proximité n’est pas toujours évidente à appliquer au quotidien, les cadres devant prioritairement garantir la continuité des soins. « Personnellement, j’ai toujours travaillé sur le terrain avec les équipes, témoigne Chrystelle Croitor, cadre supérieure de santé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Mais certains cadres, confrontés à une pénurie d’infirmières, se retrouvent en permanence dans leur bureau à gérer des plannings. Il est important de sortir de ce schéma car pour travailler à la continuité des soins, il faut embarquer les équipes et être sur le terrain. »
Une autre problématique que peuvent rencontrer les cadres est la remise en question de leurs décisions, les soignants pointant leur éloignement du terrain et de leur réalité. « En creusant un peu, on constate que le cadre n’analyse pas les problèmes de la même manière et il oublie souvent de dire qu’il a été soignant », indique Juliette Fraytag, directrice des soins à l’hôpital de la Timone (AP-HP de Marseille). Il s’agit pourtant d’une vraie force pour trouver le juste équilibre auprès des équipes. « Lorsque certains soignants me reprochent un manque de proximité dans ma prise de décision, ce qui est rare, je n’hésite pas à rappeler que je suis avant tout infirmier puis cadre supérieur de santé, pointe Arnaud Gautier, qui exerce cette fonction à Guillaume-Régnier. Je ne me considère pas comme un administratif pur et dur, mais comme un manager de santé. En travaillant sur l’organisation et la qualité des soins, j’ai toujours l’impression de faire du soin, mais indirectement. » Les valeurs professionnelles sont d’ailleurs généralement partagées, à savoir l’hospitalité, l’éthique, sans oublier la formation au socle commun. « Il faut pouvoir se retrouver autour de valeurs et de projets concrets », conseille-t-il. En arrivant en poste, Arnaud Gautier avait constaté que le sentiment d’appartenance des soignants n’était pas acquis. « Avec la cheffe de pôle, nous nous sommes interrogés sur la façon de fédérer l’équipe et avons décidé que notre fil rouge allait être la qualité et la sécurité des soins, ainsi que la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Nous nous sommes ainsi tous retrouvés autour de ces valeurs communes. »
Ce travail est d’autant plus intéressant à mener en groupe que généralement, « l’équipe est le reflet de notre encadrement et il faut trouver le juste positionnement, estime Chrystelle Croitor. Les cadres supérieurs de santé doivent le transmettre à leurs cadres ». Il faut accompagner, définir des règles, parler des droits et des devoirs, travailler autour de projets communs, écouter et autonomiser les équipes. « En arrivant dans un service, le cadre doit nécessairement partager ses valeurs et afficher au sens propre celles de l’équipe afin que tous se mettent d’accord sur la façon dont ils vont travailler ensemble », renchérit Dominique Combarnous.
Ce partage permet de construire un sentiment d’appartenance à un collectif, qui s’avère plus que jamais nécessaire avec la nouvelle génération de soignants, qui n’accordent pas forcément la même valeur au travail. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir exercer un temps pour ensuite se consacrer à des projets personnels. Certains cadres ne comprennent pas l’engouement des jeunes pour les voyages. Chacun se retranche alors derrière sa perception du travail, créant des blocages relationnels. « Il faut accepter leurs envies, estime Dominique Combarnous. Les accompagner dans leur projet permet de construire une forme de fidélisation en leur permettant de revenir dans l’établissement à leur retour. » « Désormais, c’est à nous de travailler en nous adaptant à la nouvelle génération, confirme Chrystelle Croitor. Les jeunes ont souvent besoin de changer d’emploi pour trouver une satisfaction professionnelle et personnelle. Ils restent rarement plus de deux à trois ans au même endroit. Il faut l’accepter et l’anticiper lors des recrutements et des entretiens professionnels pour tenir compte des aspirations de chacun. » Un point de vue partagé par Arnaud Gautier, qui n’hésite pas, dès l’entretien d’embauche, à interroger le candidat sur ses aspirations à court (6 mois), moyen (2 ans) et long terme (5 ans). « Tout le monde n’a pas de projet de carrière et heureusement, indique-t-il. Cette nouvelle génération vient pour une mission et l’ennui arrive assez rapidement. Pour y faire face, nous avons mis en place un fonctionnement en mode projet avec des échéances à respecter. »
Ce travail permet d’anticiper ou d’éviter d’éventuelles tensions. « Nous sommes présents pour les patients et pour effectuer des soins de qualité, rappelle Dominique Combarnous. Le rôle du cadre est de travailler avec les soignants pour qu’ils partagent les mêmes objectifs et valeurs. Toutefois, les désaccords peuvent exister. Mais si certains soignants jouent de leur position de force dans un service en raison d’un contexte contraint, cela devient infect. Notre rôle n’est pas d’être aimé des équipes. Le plus important, c’est d’être équitable et de faire prévaloir les valeurs du service public. » La notion d’appartenance à une équipe prend alors encore plus de sens. « Face à un chantage, dans un souci d’équité et de valeur professionnelle, le cadre ne peut pas se placer en posture de soumission », considère Virginie Choux. « Le projet de l’établissement est au-dessus de tout, assure Arnaud Gautier. Il compte plus que n’importe quelle individualité. » « Certes, nous devons revoir notre copie dans notre management, pour autant, cela ne justifie pas d’accepter le manque de respect, voire le chantage de la part de certains soignants, sinon toute la chaîne d’encadrement est salie, confirme Juliette Fraytag. D’autant plus qu’il faut penser aux plus anciens car nous avons peu de moyens de valorisation, si ce n’est les primes d’engagement ou les évolutions de poste. » Souvent, ils sont orientés vers la coordination.
Toutes les subtilités qu’impose le métier expliquent que, de nos jours, « devenir cadre n’est plus aussi attractif qu’auparavant, concède la directrice des soins à l’hôpital de la Timone. Il y a quelques années, c’était encore le Graal. Le travail de management de la direction des soins prend alors un rôle encore plus important afin de donner du sens à l’encadrement en accompagnant les cadres dans leur travail de proximité ».