LA SANTÉ, DISSOUTE AVEC L’ASSEMBLÉE - Ma revue n° 046 du 01/07/2024 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 046 du 01/07/2024

 

ACTUALITÉS

POLITIQUE

Adrien Renaud  

En annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale début juin, Emmanuel Macron a automatiquement mis un terme aux travaux parlementaires en cours, dont beaucoup concernaient la santé. Inventaire des projets qui n’aboutiront pas…

Comme tout séisme, celui qui a secoué la France avec le raz-de-marée électoral obtenu par le Rassemblement national aux élections européennes du 9 juin dernier s’est accompagné de répliques. La première d’entre elles, intervenue une heure après l’annonce des résultats officiels, a été la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par le président de la République, Emmanuel Macron. La seconde est la conséquence mécanique de cette dissolution : la mandature étant close, toutes les commissions parlementaires, toutes les propositions de loi, tous les projets de loi en cours sont caducs. Ils reprendront avec la nouvelle assemblée, si la nouvelle majorité (mais y en aura-t-il une ?) le veut. Et dans le domaine de la santé, les victimes collatérales de cette secousse sont nombreuses.

On pense, bien sûr, en premier lieu au projet de loi sur la fin de vie… Et quelle que soit l’opinion qu’on ait sur ce débat éthique, on ne peut se départir du sentiment qu’on assiste à un grand gâchis. Car la masse travail qui avait été engagée sur le sujet est impressionnante : la conférence citoyenne, les diverses consultations qui avaient précédé l’élaboration du texte ont occupé une bonne partie du début du quinquennat, et une proportion significative de l’agenda parlementaire y avait été consacrée depuis le début de l’année 2024. Las, le vote solennel du texte en première lecture, qui aurait permis de poursuivre le travail parlementaire en le transmettant in extremis au Sénat, était prévu le 18 juin, soit 9 jours trop tard.

Réactions plus que diverses

Bien sûr, les réactions à cette mise sur pause ont été plus que diverses. La Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), a exprimé son soulagement avec une bonne dose d’humour. « Quand tu penses qu’il n’y a aucun espoir, pense aux homards qui se trouvaient dans l’aquarium du restaurant du Titanic », a-t-elle posté sur le réseau social LinkedIn, citant une phrase qui revient à intervalles réguliers dans les discussions en ligne.

Une posture diamétralement opposée à celle des partisans d’une législation sur la fin de vie. C’est ainsi que l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), dans un communiqué publié à la suite de la dissolution, parlait d’une « chance gâchée ». Dans la foulée, son président, Jonathan Denis, se retroussait déjà les manches. « J’appelle les responsables politiques engagés pour une loi de liberté, d’égalité et de fraternité sur la fin de vie à prendre l’engagement de légaliser l’aide à mourir dans les programmes et à poursuivre très rapidement les débats pour le vote de la loi », déclarait-il le 12 juin, lui aussi sur LinkedIn.

Missions abandonnées

Mais si la loi sur la fin de vie est sans doute, parmi les travaux abandonnés, le plus spectaculaire, il est loin d’être le seul. On peut par exemple penser à la proposition de loi visant à créer un statut d’aide-soignant indépendant, enregistrée à la présidence de l’Assemblée quelques jours seulement avant la dissolution. Ce texte, qui affichait dans son exposé des motifs l’ambition d’offrir aux aidessoignants « la reconnaissance et les avantages que ces professionnels méritent, tout en leur garantissant des perspectives d’évolution professionnelle et des conditions de travail optimales », devra donc recommencer son parcours législatif à zéro, si des députés élus pour la prochaine législature s’en sentent le courage. Et comme pour la fin de vie, le malheur des uns fait le bonheur des autres, car le statut d’aide-soignant indépendant avait été dénoncé par plusieurs syndicats d’Idel. « Ce chiffon rouge agité depuis des années devant les infirmières et les infirmiers libéraux est tout aussi insupportable qu’irresponsable », avait par exemple estimé Convergence Infirmière, début juin, dans un communiqué.

Autre exemple : la commission d’enquête sur les difficultés d’accès aux soins à l’hôpital public, mise en place le 30 avril dernier, n’a pas pu prendre son envol. On devra donc attendre la prochaine législature pour que les représentants de la nation tentent, comme se proposait de le faire cette commission, « d’identifier les origines de la crise que traverse l’hôpital public depuis plusieurs années », « de s’interroger sur la gouvernance de la politique de santé et sur les moyens matériels et humains accordés à l’hôpital », ou encore « de faire des recommandations sur les réponses législatives, réglementaires et budgétaires à apporter ».

Et si cette commission d’enquête n’avait pas encore eu le temps de procéder à des auditions, tel n’avait pas été le cas de la mission d’évaluation de deux des textes majeurs du premier quinquennat d’Emmanuel Macron dans le secteur de la santé : la loi Buzyn de 2019 et la loi Rist de 2021. Cette mission, qui avait multiplié les auditions depuis le mois de février (on se souvient notamment de la journée du 27 mars, qui avait vu défiler devant les parlementaires les représentants des associations et syndicats infirmiers), ne rendra jamais son rapport.

Effets indirects

Mais si les organisations infirmières peuvent regretter que les points de vue qu’elles ont communiqués aux députés dans le cadre de cette mission soient perdus pour l’Histoire, elles s’inquiètent encore davantage des effets plus indirects de la dissolution. Car si l’abandon des travaux parlementaires est une conséquence obligatoire de la décision d’Emmanuel Macron, cette dernière ouvre également une phase de temps suspendu où les dossiers importants ne peuvent espérer avancer sérieusement avant qu’un nouveau gouvernement, quelle que soit sa couleur, ne soit nommé et n’ait pu prendre ses marques… En l’occurrence, les législatives ayant lieu au tout début de l’été, on ne peut raisonnablement espérer d’avancée significative avant que les vacances d’été et les Jeux olympiques n’appartiennent au passé… soit avant la rentrée de septembre.

Or, pour le monde infirmier, un dossier particulièrement important patientait depuis des mois, voire des années, dans la tuyauterie ministérielle : celui de la refondation du métier. Ce dossier, qui avait subi de nombreux retards à la suite des changements successifs au ministère de la Santé, est de nouveau dans l’attente d’un cap. « Nous pouvons craindre que ces futures élections législatives engendrent un nouveau remaniement et donc la nomination d’un nouveau ministre de la Santé », s’inquiétait ainsi le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) dans un communiqué publié au lendemain de la dissolution. Celui-ci jugeait que la promesse faite par Frédéric Valletoux de parvenir à un texte à l’été 2024 était « bien compromise », et craignait, au contraire, que la décision présidentielle ne conduise qu’à « renforcer l’instabilité politique qui règne depuis des années et dont les premières victimes sont les professionnels de santé et les patients ».

De même, l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa) a fait part, dans un autre communiqué publié mi-juin, de son inquiétude face à « l’incertitude profonde quant aux différents travaux menés jusqu’ici par les équipes ministérielles ». La profession attend en effet depuis des mois la publication de décrets d’application cruciaux, notamment l’accès direct prévu par la Loi de financement de la Sécurité sociale. « Les textes concernant la pratique avancée ont d’ores et déjà fait l’objet de toutes les concertations et sont prêts à être publiés », argue le syndicat qui presse le gouvernement, chargé depuis le 9 juin d’expédier les affaires courantes, de promulguer les arrêtés sans attendre les législatives anticipées. À l’heure où nous mettions sous presse, l’avenue Duquesne n’avait toujours pas répondu à cette attente…