« LA SEXUALITÉ DEVRAIT FAIRE PARTIE DU PROJET DE VIE »
Hervé Menaut
DOSSIER
ENTRETIEN
Droit à l’intimité, regard clinique sur les pratiques, notion de consentement… Hervé Menaut, cadre formateur à l’Ifsi de L’Aigle (Orne) et ancien infirmier en psychiatrie, évoque sans tabou la prise en compte de la sexualité des patients dans la relation de soins.
Hervé Menaut : Les choses commencent à évoluer mais on s’aperçoit qu’au niveau des soignants comme des institutions, la question du droit à la sexualité semble quand même poser problème. Les chartes et les règlements intérieurs parlent d’un « droit à l’intimité », mais nous avons du mal à mettre les mots. Souvent, on tourne autour du pot !
À mon avis, une partie des difficultés tient à nos représentations de la sexualité et à nos représentations de la personne âgée ou handicapée. En effet, nous sommes limités dans notre propre capacité à envisager des sexualités différentes car cela nous renvoie aussi à la sexualité de nos parents et de nos enfants. Par ailleurs, le discours sociétal vis-à-vis de la sexualité l’aborde toujours comme quelque chose qui doit être forcément épanouissant et performant. Donc c’est une sacrée gageure !
H. M. : Dans les groupes de formation continue, je vois que les soignants se mélangent parfois un peu les pinceaux. Le premier regard est celui de la loi, qui indique ce qui est autorisé et ce qui est interdit, et elle s’impose à tous. Mais les institutions ont parfois du mal à signaler un comportement sexuel qui serait prohibé. Le second regard est celui de la morale, or ce n’est pas notre rôle ! Certaines pratiques sexuelles, comme la sodomie ou l’utilisation de sex-toys par exemple, peuvent être jugées dégradantes par certains patients alors que pour d’autres, c’est une pratique comme une autre. La seule question qui compte est de savoir si un comportement sexuel est inapproprié ou pas, et le regard est celui de la clinique, qui est notre champ de compétences.
H. M. : Il s’agit de comportements manifestes qui peuvent être décrits quantitativement et qualitativement, qui ont une signification sexuelle pour le sujet et qui sont perçus comme inappropriés sur le plan culturel et/ou sociétal. En effet, il faut les resituer dans les intentionnalités du patient.
Parfois les troubles cognitifs amènent des comportements comme des attouchements, des gestes masturbatoires, des propos obscènes qui, pour le sujet, ne relèvent pas de la sexualité. Il faut aussi se poser la question d’éventuels facteurs favorisants ou déclenchants, comme les traitements antiparkinsoniens, qui peuvent avoir des répercussions sur le contrôle des pulsions sexuelles. Je prends aussi toujours l’exemple d’une résidente âgée qui mettait constamment la main dans son change dans la salle commune : les soignants y voyaient une pratique masturbatoire alors qu’en fait, elle souffrait de mycoses qui la démangeaient. Il y a aussi des grilles d’évaluation pour estimer si une pratique sexuelle est appropriée ou pas qui ne sont pas suffisamment utilisées, comme les outils Series et Degano du Royal College of Psychiatrys. Elles permettent d’avoir une analyse clinique à partir de questions simples : quelle forme prend le comportement ? Dans quel contexte et à quelle fréquence ? Est-ce un problème ? Quels sont les facteurs qui y contribuent ? Les participants ont-ils la compétence voulue ?
H. M. : Cela devrait faire partie du projet de vie et être explicité dans les projets d’accueil personnalisé, au même titre que l’alimentation par exemple, si c’est une nécessité pour la personne. La question du consentement est également centrale. D’autant que c’est un sujet majeur pour les jeunes soignants de la génération #metoo, qui va bientôt prendre en charge des résidents issus eux de la génération de la libération sexuelle.