L'infirmière n° 046 du 01/07/2024

 

ACTUALITÉS

ENVIRONNEMENT

Adrien Renaud  

L’Agence nationale d’appui à la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) organisait mi-juin une conférence pour valoriser les initiatives en faveur des soins écoresponsables. Les bonnes idées ont afflué de la part de toutes les professions… dont les infirmières.

400 : c’est le nombre de réponses reçues par l’Anap, l’agence de l’État chargée de conseiller les acteurs du système de santé pour améliorer leur performance dans tous les domaines, au questionnaire qu’elle avait diffusé afin de recueillir les bonnes pratiques des soignants en faveur des soins écoresponsables. En ville ou en établissement, dans le privé ou dans le public, seules ou en équipe, les blouses blanches ont ainsi montré leur appétence pour traduire, dans leur vie professionnelle, des gestes verts que, pour beaucoup, elles pratiquent naturellement dans leur vie quotidienne. Quelques-unes de ces solutions étaient présentées lors d’une conférence en ligne organisée le 13 juin dernier en collaboration avec l’Assurance maladie et le ministère de la Santé. « Vous nous avez montré qu’un mouvement est engagé parmi les soignants », s’est réjouie, en ouverture de l’événement, Marie Daudé, directrice générale de l’Offre de soins. Ce qui prouve, selon elle, qu’il est possible d’allier les impératifs de qualité et de sécurité des soins avec les préoccupations environnementales. Mieux : cet engouement semble traverser toutes les strates du système de santé. « 65 % des répondants sont issus de la ville et 35 % d’établissements sanitaires et médico-sociaux », a relevé Marion Briançon-Marjollet, experte développement durable à l’Anap, qui a également pris la parole au début de la conférence. Les réponses sont venues de « toutes les régions de France, y compris l’Outre-mer », et « 40% d’entre elles ont pu être mises en place en moins de six mois », a-t-elle ajouté.

Sus aux médicaments en trop !

Parmi les initiatives mises en lumière le 13 juin, on notera en particulier celle qui vise à diminuer la délivrance des médicaments non utilisés, proposée par deux soignantes de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Saint-Just-en-Chevalet, dans la Loire : Emmanuelle Barlerin, infirmière libérale et Angélique Siettel, pharmacienne d’officine. « C’est une initiative qui va dans le bon sens et qui est née de la pratique quotidienne, expliquait la première à L’Infirmièr.e peu avant le début de la conférence de l’Anap. Lors de nos tournées, nous trouvions régulièrement, au domicile des patients, des stocks incroyables de médicaments qui n’étaient pas utilisés, ce qui représente du gaspillage. De plus, ces médicaments finissaient dans les poubelles classiques, où ils n’ont rien à faire. »

Les soignants de la MSP se sont donc réunis pour analyser leurs pratiques, et rédiger un protocole visant à endiguer le phénomène. « Il arrive que le médecin prescrive le traitement pour la pathologie chronique du patient, puis en plus, un médicament pour une pathologie aiguë qui se présente à ce moment-là, et pour peu que le patient ait, de surcroît, les yeux qui grattent et qu’on lui prescrive un collyre, on se retrouve avec des médicaments inutiles qui sont stockés », illustre l’infirmière. Autre souci : les traitements étant souvent prescrits pour un mois alors que les boîtes contiennent généralement 28 comprimés, le patient reçoit souvent une deuxième boîte alors qu’il n’a en réalité besoin que de deux ou trois comprimés supplémentaires… Ainsi, de mois en mois, les boîtes s’accumulent.

Face à cette situation, le protocole mis sur pied par les soignants de Saint-Just-en-Chevalet prévoit par exemple une harmonisation des codes de notation autour de la prescription : quand elles se rendent compte qu’un médicament prescrit n’est pas réellement utile au moment où elles préparent les piluliers, les Idel peuvent inscrire la mention « NPD » (pour « ne pas délivrer ») sur la prescription, de façon harmonisée pour que tous les autres soignants soient au courant. Les Idel vérifient également l’état des armoires à pharmacie au domicile du patient. « C’est bon pour les finances publiques et pour l’environnement, ce sont des médicaments qui ne partent pas en incinérateur ou pour de l’enfouissement, c’est du transport, de l’emballage, de la production en moins… », énumère Emmanuelle Barlerin.

Arrêter le systématique

Infirmières et pharmaciens n’étaient pas les seuls professionnels de santé mis en avant lors de la conférence de l’Anap. C’est ainsi qu’au CHU de Bordeaux, Angélique Alexandre, aide-soignante, et la Dr Noëlle Bernard, médecin, ont présenté une toilette écoconçue. « Avant de démarrer une toilette, nous allons voir le patient, afin d’évaluer les besoins de matériel », a expliqué Angélique Alexandre. Ainsi, avec l’accord du patient, l’équipe évite désormais de changer les draps ou le linge de toilette lorsque cela n’est pas nécessaire, par exemple. « En arrêtant le systématique, grâce à une prise de conscience collective, nous nous dirigeons vers un soin plus durable », a résumé l’aide-soignante.

Par ailleurs, si le patient le souhaite, il lui est proposé d’utiliser son propre nécessaire de toilette, ce qui « provoque une sensation de confort » et contribue à humaniser le soin, estime la Bordelaise. Ces initiatives sont de plus accompagnées d’autres gestes dans le service, a-t-elle ajouté : diminution et adaptation des poubelles destinées aux Déchets d’activités de soins à risque infectieux (Dasri), mise en place de bassines plus petites (deux litres) pour l’eau lors des toilettes, remplacement du matériel à usage unique par du matériel réutilisable quand cela est possible… « Ce qui est important, c’est que ce soit l’aide-soignante, qui accomplit ces gestes au quotidien et qui a compris l’enjeu autour de l’impact des soins que nous effectuons, qui décide de changer sa pratique », commentait Noëlle Bernard, elle aussi jointe par L’Infirmièr.e peu de temps avant la conférence. Cela correspond tout à fait au concept d’unité durable promu par cette praticienne, par ailleurs copilote du groupe « transformation écologique » de son établissement. « Il s’agit de s’appuyer sur les idées des professionnels pour modifier les habitudes du quotidien, mais bien sûr, il ne faut pas que cela reste confiné à telle ou telle unité, détaille-t-elle. Le principe des unités durables, c’est de dire que dans telle unité, par exemple, où l’on pratique la toilette écoconçue, essayez de l’utiliser. »

Gaz et plastique

C’est d’ailleurs le principe de fonctionnement de l’Anap, qui élabore des fiches permettant à quiconque souhaitant s’inspirer d’une bonne pratique (qu’il s’agisse d’écosoins ou non), de disposer des informations nécessaires. Les bonnes pratiques recueillies via le questionnaire et présentées le 13 juin font donc toutes l’objet d’une telle fiche. L’une d’entre elles explique par exemple comment la polyclinique de Limoges est parvenue à arrêter l’utilisation du desflurane, un gaz anesthésiant au pouvoir de réchauffement climatique 2 500 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone, et pour lequel des alternatives ayant moins d’incidence sur le climat existent. Le Dr Sébastien Ponsonnar, anesthésiste dans l’établissement qui essayait de convaincre ses collègues d’abandonner le desflurane depuis des années, y est enfin parvenu en communiquant mieux, a-t-il expliqué lors de la conférence de l’Anap. Il a pour cela usé d’une méthode percutante, qui a consisté à transmettre par mail une information simple à son équipe : cette mesure engendrerait l’équivalent d’une économie de 440 tonnes de CO2, soit ce que rejette une voiture qui parcourt plus de 2 millions de kilomètres. « On a immédiatement arrêté les commandes », a-t-il souri lors de la conférence. De même, au CHU de Clermont-Ferrand, Audrey Enguix, pharmacienne, a expliqué comment la modification de la préparation du matériel au bloc opératoire a permis d’éviter l’utilisation de 10 000 badigeons et cupules en plastique par an, et de réduire ainsi de 450 kg la quantité de déchets produits. Moralité : il y a mille et une façons de sauver des vies tout en sauvant la planète.