L'infirmière n° 046 du 01/07/2024

 

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SANTÉ PUBLIQUE

Myriem Lahidely  

Historien de la médecine et des sciences, Gaëtan Thomas est aussi enseignant à Sciences Po Paris. Il montre qu’une défiance toujours plus médiatisée n’empêche pas la vaccination de faire globalement consensus.

Pour quelle raison avez-vous décidé de consacrer un livre au consentement à la vaccination, grande cause de l’année 2024 pour l’Académie de médecine ?

Gaëtan Thomas : Ce livre dénoue le paradoxe suivant : fer de lance de la santé publique moderne, la vaccination est, depuis plusieurs années, abordée par le prisme de la crise et la contestation. Cette intervention est très présente dans la vie de chacun, le nombre de pathologies à prévention vaccinale étant passé de 15 en 1960 à 33 en 1990. Les taux de couverture vaccinale sont aussi devenus plus ambitieux dans les années 1980 quand l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a commencé à fixer ses normes. Mais, depuis une dizaine d’années, en particulier depuis la pandémie de Covid-19, on n’a jamais autant parlé d’hésitation, voire de contestation.

Or, il est manifeste que l’on n’a jamais aussi bien vacciné qu’aujourd’hui. Selon Santé Publique France, 8 personnes sur 10 y sont favorables en France hexagonale et les taux idéaux sont quasiment atteints sur une majorité de vaccins. Ceux qui ont été mis au point contre le Covid-19 ont eux-mêmes bien fonctionné puisque 83% des personnes majeures vivant en France métropolitaine ont pris les doses prescrites. Et chez les enfants, seul 1 % échappe à la vaccination. Ce n’est pas parce que des doutes ou des mises en cause apparaissent que le dispositif est ébranlé.

Qu’est-ce qui génère ces crises vaccinales ?

G.T. : La vaccination, c’est entendu, relève du collectif puisqu’elle est effectuée pour le bien de la communauté. On ne peut pas nier complètement qu’elle symbolise la mainmise de l’État. Or, le rapport à l’autorité a changé. Il y a désormais moins de déférence vis-à-vis des médecins. Il y a, en outre, de plus en plus de vaccins. L’idée qu’il y en a trop est un motif qui parcourt toute l’histoire contemporaine de la vaccination, depuis les années 1950 déjà. La critique et la suspicion ont grandi dans les années 1980 avec la financiarisation de la vaccination, de plus en plus onéreuse, et les scandales sanitaires qui se sont multipliés depuis. En particulier, le vaccin contre l’Hépatite B, le premier vaccin cher de l’histoire, rendu obligatoire en 1991 pour les soignants. Sa campagne, au cours de laquelle la diffusion du virus a été exagérée par les autorités, s’est heurtée à une crise liée à une suspicion d’effets indésirables graves suscités par le vaccin, tels que la sclérose en plaques. Des victimes présumées ont d’ailleurs été indemnisées par l’État bien que le lien de causalité ait fait débat parmi les épidémiologistes. Plus récemment, il y a aussi eu le fiasco de la vaccination contre la grippe H1N1. Ces contradictions ont nourri le doute.

Selon vous, le consentement à la vaccination reste-t-il une évidence ?

G.T. : Oui, de fait, les vaccins ne sont pas tous contestés, loin de là. L’immunité collective prévaut d’autant mieux que la vaccination, de plus en plus performante, est une intervention très simple, efficace et le plus souvent inoffensive, pour prévenir une variété de maladies infectieuses. Les médecins, les pouvoirs publics et l’industrie ont su construire très tôt un dispositif qui résiste au choc des controverses. Le moyen de maintenir cette simplicité vaccinale a été de créer des vaccins combinés et de rassembler la plupart des injections dans les premiers mois de l’enfance, quand les parents sont en demande de conseils. Faire en sorte que la vaccination s’intègre au cours normal d’une vie a été une très bonne façon de la normaliser. Au fond, le calendrier vaccinal a dicté une forme de norme sociale. Une meilleure prise en charge des effets indésirables graves a aussi contribué à éviter le développement de scandales retentissants, comme il y en a eu au tournant des années 1970. Ces évolutions ne suppriment évidemment pas les mises en cause. Mais dans une démocratie, il est sain de laisser un peu d’espace pour l’expression d’un doute.

Plutôt prévenir

L’ouvrage retrace l’histoire de la vaccination, son changement d’échelle dans les décennies d’après-guerre, sa normalisation. Il aborde les succès mais aussi les ratés qui ont, depuis trois décennies, suscité la contestation et fait aussi évoluer la responsabilité juridique de l’État en matière d’indemnisation des effets indésirables graves. Il montre surtout que la défiance ne veut pas dire refus mais demande légitime d’informations.

Vaccination, histoire d’un consentement. Seuil, 235 pages, 22,50 €.