VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : LE RÔLE DÉLICAT DES IDEL
EXERCICE LIBÉRAL
FICHE TECHNIQUE
En exerçant à domicile, les infirmières libérales peuvent être témoins d’actes de violences à l’égard de leurs patientes. Dans certains cas, celles-ci se confient à elles. Afin d’être en mesure de les aider, il est nécessaire de réfléchir avec minutie - et au préalable - aux moyens d’action disponibles.
Dans sa recommandation « Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple », publiée en 2019, la Haute Autorité de santé (HAS) conseille aux professionnels de santé de premier recours de demander à toutes leurs patientes si elles subissent ou ont subi des violences par le passé, même en l’absence de signes d’alerte. « J’ai été infirmière libérale, et je sais que cette question n’est pas toujours évidente à aborder dans un contexte de soins à domicile, notamment lorsque des proches sont présents », témoigne Florence Jakovenko, infirmière en pratique avancée (IPA) pathologies chroniques stabilisées, ancienne Idel et membre du conseil d’administration de l’Anfiide(1) qui a participé au groupe de travail de la Miprof(2). Si l’Idel a un doute, elle doit en parler avec ses collègues et le médecin traitant pour élaborer une stratégie afin de parvenir à aborder le sujet avec la personne concernée. « On peut imaginer que si la patiente reprend contact pour un nouveau soin, l’Idel lui propose de venir le faire au cabinet pour disposer, cette fois-ci, de l’intimité requise dans la relation soignant-soigné, pouvant amener à davantage de confidences », conseille-t-elle.
Le rôle de l’Idel, en tant que professionnelle de santé, est d’établir une relation de confiance afin d’apporter soutien et écoute à la victime potentielle. Cependant, avant de questionner les violences, il est impératif qu’elle ait identifié un réseau sur son territoire, « car la prise en charge est multidimensionnelle et elle ne va pas pouvoir l’assurer seule », prévient Florence Jakovenko. Les violences conjugales sont construites autour d’un cycle particulier au cours duquel les victimes sont plus ou moins à l’écoute et ouvertes à l’aide proposée par les soignants. « Il faut accepter l’idée que des allers-retours fréquents vont avoir lieu, ajoute l’infirmière. La victime étant sous l’emprise de son bourreau, elle peut avoir besoin d’un temps de réflexion avant d’agir. Il ne faut surtout pas être dans le jugement. Cependant, dès lors qu’une personne victime de violences accepte d’être aidée, l’Idel doit être prête à le faire. »
Les acteurs dont elle peut se rapprocher sont nombreux :
- les services sociaux : le centre médico-social (CMS), la protection maternelle et infantile (PMI), le Conseil départemental. « Il faut identifier les lieux où des assistantes sociales sont présentes, fait savoir Florence Jakovenko . Elles sont d’un bon appui car elles connaissent les droits et disposent de leur réseau » ;
- le médecin traitant : il peut, si les circonstances s’y prêtent, rédiger un certificat médical avec une incapacité temporaire totale (ITT). Ce dernier peut servir au juge pour attribuer une peine à l’agresseur car l’ITT répond à des critères juridiques ;
- les urgences, car des prises en charge spécifiques sont prévues pour les victimes, notamment pour une mise à l’abri ;
- les centres d’hébergement ;
- les associations locales ;
- les services de police et de gendarmerie. Dans un certain nombre d’entre eux, des travailleurs sociaux y tiennent des permanences. « Il peut être pertinent d’orienter les patientes vers ces professionnels qui vont les aider à constituer un dossier avant de porter plainte », explique Florence Jakovenko ;
- le 3919, qui aide les personnes victimes mais aussi les professionnels de santé. « Ces personnes formées peuvent donner un autre regard et disposent d’adresses locales », indique-t-elle ;
- les maisons des femmes, présentes en fonction des territoires.
Depuis 2019, les Idel disposent d’un outil qu’elles peuvent utiliser dans le cadre de violences intrafamiliales : une attestation clinique infirmière rédigée sur un mode déclaratif à partir des dires de la personne et des observations cliniques faites par l’Idel. Il est important de rappeler qu’il est interdit d’en faire une utilisation frauduleuse ou de complaisance, ce qui engagerait la responsabilité de l’infirmière.
L’attestation clinique comprend quatre parties :
- une partie administrative permettant de renseigner l’identité de l’Idel et de la victime, la date, avec la signature et le tampon de l’infirmière libérale ;
- une partie « faits ou commémoratifs » : il s’agit des dires spontanés de la victime. « Cette partie doit être écrite entre guillemets, prévient Florence Jakovenko. Il s’agit du contexte raconté par la victime. Il faut y préciser le lien de parenté entre l’auteur des violences et la victime, tel que déclaré par la victime. » Seules les informations recueillies lors de l’entretien doivent être écrites. Cette déclaration pourra servir dans le cadre d’un jugement. L’Idel ne doit en aucun cas interpréter des faits ;
- une partie « doléances exprimées par la personne », également retranscrites entre guillemets, avec les symptômes exprimés par la personne victime ;
- une partie « examen clinique infirmier ». L’Idel doit être dans l’observation et identifier le comportement de la victime, ses émotions, écrire si elle la trouve détachée ou non, si elle exprime des idées suicidaires, si elle manifeste des signes d’hypervigilance, si elle est irritable, si elle a des troubles de la concentration, si elle est confuse, amnésique ou encore si elle a des reviviscences. L’Idel peut aussi écrire ce qu’elle observe sur le plan physique : des hématomes, des plaies, des morsures, leur taille, leur localisation, des gênes fonctionnelles. « Nous pouvons ajouter des photos datées, signées et tamponnées, et prises avec un centimètre pour évaluer la grosseur de la blessure », précise Florence Jakovenko.
Un exemplaire de l’attestation doit être remis à la personne victime ou conservé à sa demande par l’Idel. Un double est placé dans le dossier de soins. « Normalement, cette attestation doit être remplie à la demande de la personne victime, souligne Florence Jakovenko. Cependant, comme nombre d’entre elles ne savent pas que ce document existe, l’Idel doit les en informer. » Lorsqu’une personne victime demande une attestation, l’Idel ne peut pas s’y soustraire, tel que le prévoit le Code de déontologie des infirmiers (article R. 4312-23). De même que si une infirmière identifie une personne victime de sévices, elle se doit de tout mettre en œuvre pour la protéger (article R. 4312-18). S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie ou de son état physique ou psychique, l’Idel doit, sauf circonstances particulières qu’elle apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. Pour les personnes majeures non vulnérables, l’infirmière ne peut rompre le secret professionnel qu’avec l’accord de la victime. « Le mieux est de laisser la personne aller à son rythme et faire ses choix car forcer les choses peut être contreproductif, prévient Florence Jakovenko. Lui laisser le choix, c’est la considérer en tant que personne et non comme un objet, comme le fait l’agresseur. Il faut lui redonner de l’autonomie, la liberté de choisir pour elle-même et maintenir le lien de confiance ; c’est ce qui va l’aider à effectuer les démarches. »
1. Anfiide : Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants.
2. Miprof : Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Pour télécharger l’attestation clinique : https://vu.fr/vVEfO
Les Idel souhaitant acquérir une expertise dans le domaine de la prise en charge des violences conjugales peuvent suivre des formations consacrées au repérage des violences et à l’accompagnement des victimes.
Plusieurs diplômes universitaires (DU) ou interuniversitaires (DIU) sont accessibles, notamment :
- le DIU Prise en charge des violences faites aux femmes vers la bientraitance à l’université Grenoble Alpes ;
- le DU Violences faites aux femmes à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis ;
- le DU Violences faites aux femmes à l’université Côte d’Azur ;
- le DU Prise en charge des victimes de violences au Centre européen de recherches en droit des familles, des assurances, des personnes et de la santé (CERFAPS) de l’université de Bordeaux.