Fondatrice et présidente de l’association Vivre sans thyroïde, Beate Bartès a développé une véritable expertise de la maladie et ses traitements. Grâce à l’association qu’elle a mise en place, elle accompagne les malades et les aide à devenir acteurs de leur prise en charge.
Beate Bartès parle avec un accent du Sud - elle vit à Toulouse - qui ne trahit pas du tout ses origines allemandes. Née en 1956, elle arrive en France à 21 ans et suit des études d’interprète : « Je suis trilingue français, anglais, allemand », énonce cette maman de trois enfants et également grand-mère de trois petites-filles. Traductrice pendant 35 ans chez l’avionneur Airbus, elle est loin de se douter que ses compétences linguistiques et sa curiosité vont la mener vers un combat qu’elle a, depuis, embrassé à plein temps. Tout commence en 1999, lorsqu’on lui découvre plusieurs nodules thyroïdiens. Un peu inquiète et surtout curieuse, elle cherche à mieux comprendre ce qui lui arrive. À l’époque, le Web n’en est qu’à ses balbutiements : on ne connaît pas encore les grands sites de vulgarisation médicale, comme Doctissimo ou les groupes Facebook. Alors, elle cherche, écume les sites à la recherche de la moindre information : « Dès qu’Internet est arrivé, j’ai tout de suite été intéressée ; pour mon métier, la traduction, cela m’était d’une aide très précieuse. C’est ainsi que je me suis mise à chercher des informations sur ce qu’étaient les nodules thyroïdiens. Le peu que j’ai découvert - des pages médicales très techniques - faisait très peur. En tant que patiente, je ne trouvais aucune information qui soit accessible à mon niveau de compréhension d’alors », explique-t-elle. Forte de ses compétences linguistiques, elle étend ses recherches dans sa langue maternelle - l’allemand - et atterrit sur un forum dans lequel des patients allemands échangent sur leur maladie. « Je me suis présentée et j’ai tout de suite été rassurée par les personnes qui fréquentaient ce forum ; petit à petit, je me suis prise au jeu et me suis mise à mon tour à apporter mon aide à celles et ceux qui venaient poser des questions. J’ai même eu l’idée de créer une catégorie “foire aux questions” (FAQ) parce qu’on retrouvait souvent les mêmes questionnements, ce qui permettait d’y répondre une fois pour toutes. »
Quelques mois passent. Beate continue d’en apprendre plus sur la maladie pendant que les médecins essayent de réduire ses nodules par voie médicamenteuse. En vain : on lui propose finalement l’opération. Rassurée par les témoignages des patients allemands, elle part confiante : « L’opération se passe plutôt bien, ce n’est pas douloureux et on se rétablit plutôt vite. Mais une semaine après, lorsque j’ai reçu un coup de fil du chirurgien qui m’avait opérée, j’ai immédiatement su que ce n’était pas bon signe. J’avais un cancer. » Deux carcinomes papillaires et un vésiculaire. Là encore, le forum de patients allemands l’aide à traverser l’épreuve et à envisager les choses positivement.
« Lorsque j’ai dû passer par la cure d’iode radioactive, je savais déjà ce qu’il fallait savoir. J’ai dû rester six semaines sans traitement après l’opération et je suis passée en forte hypothyroïdie. C’était très pénible, parfois un peu cocasse : l’hypothyroïdie provoque notamment de la fatigue et une grande frilosité. Nous étions en pleine canicule, à Toulouse, et j’étais la seule à porter un pull et des chaussettes », se souvient-elle. Mais le dysfonctionnement de la thyroïde, c’est aussi un brouillard cérébral permanent : « Un jour, je devais aller en voiture à l’aéroport et je me suis retrouvée à la gare, sans vraiment comprendre pourquoi. En fait, il ne faut pas conduire, les problèmes de concentration sont vraiment très perturbants. » Ces problèmes de mémoire s’accompagnent aussi, pour Beate, d’un véritable changement de personnalité : « Moi qui suis d’un naturel plutôt positif et optimiste, j’étais totalement déprimée, je pleurais pour tout et rien, je voulais même divorcer tellement je ne me sentais plus à ma place. Cela montre à quel point un dysfonctionnement thyroïdien peut vraiment bouleverser le quotidien, c’est important d’en avoir conscience. » À ce moment-là, elle entre en hospitalisation pour y suivre le traitement à l’iode radioactif qui va détruire les dernières cellules thyroïdiennes et vérifier qu’il ne reste plus rien de son cancer : « À l’époque, cela se déroulait sur une semaine, avec cinq jours en chambre plombée. J’étais confinée dans cette chambre sans contact avec l’extérieur. C’est pendant cette hospitalisation que j’ai pu, lors d’une scintigraphie, échanger avec le médecin nucléaire du service. Il était étonné de tout ce que je connaissais sur la maladie. Je lui ai alors expliqué comment je m’étais informée, via le forum allemand, et il a trouvé regrettable que ça n’existe pas en France. Ça a été le déclic. Une fois remise de la fatigue de cette hypothyroïdie imposée, en octobre 2000, j’ai lancé une version française de ce forum, en créant “Vivre sans thyroïde”, grâce à mon ami allemand, Harald, qui m’a aidée à le mettre en place. Actuellement, on totalise 4 000 à 5 000 visites par jour, et il y a presque 24 000 utilisateurs enregistrés. Nous avons également un groupe Facebook très actif où de très nombreuses informations circulent. »
Depuis, Beate a structuré cette communauté en une association loi 1901 et a commencé à assister à des congrès, ce qui lui a aussi permis de se faire connaître des médecins. Elle a d’ailleurs validé une formation de patient expert qui lui donne un peu plus d’autorité dans le domaine où elle est devenue une véritable spécialiste : l’association s’est par ailleurs dotée d’un conseil scientifique, ce qui lui confère une caution scientifique intéressante pour les patients qui recherchent la bonne information : « Le but de l’association est que le malade soit un patient éclairé sur sa pathologie afin de devenir un véritable acteur de son traitement », résume-t-elle. Un pari réussi lorsque l’on sait que, lors de la crise du Levothyrox, l’association a été d’un puissant soutien auprès des patients qui ont souffert d’un grand manque d’informations : « C’était épuisant, les malades appelaient toute la journée, il fallait se rendre aux réunions du ministère de la Santé à Paris, rédiger des communiqués de presse, répondre à toutes sortes de sollicitations, participer à des actions en justice… » Une tâche à laquelle Beate s’est attelée avec conviction, sérieux et implication. Aujourd’hui, elle continue de tenir les rênes de l’association, qui attend le procès pour tromperie de l’Agence nationale du médicament et du laboratoire Merck, tout en prenant soin de sa santé : « Côté thyroïde, tout va bien, je prends mon comprimé tous les matins, je fais un contrôle une fois par an. J’ai d’autres soucis de santé à gérer… », confie-t-elle.
À la retraite, elle continue de faire vivre l’association et son site : « Nous sommes en pourparlers avec différentes start-up pour enrichir et améliorer le site, avec entre autres, l’idée de créer un compagnon numérique pour mieux seconder les patients », conclut-elle.
Association Vivre sans Thyroïde www.forum-thyroide.net
L’un des domaines d’intervention des infirmières en pratique avancée (IPA) est la prise en charge des pathologies chroniques stabilisées (PCS), dont la liste est établie par le ministère de la Santé. Y figurent certaines pathologies relevant de l’endocrinologie (diabète) mais pas les pathologies thyroïdiennes. Une exclusion que Julie Devictor, IPA et présidente du Conseil national professionnel des IPA (CNP-IPA), regrette : « Différentes pathologies relevant de la cardiologie, de l’endocrinologie, de la pneumologie ou de la neurologie sont répertoriées, excluant le vaste champ des maladies chroniques inflammatoires et auto-immunes qui concernent d’autres spécialités médicales, comme la dermatologie, la rhumatologie, l’hépato-gastro-entérologie, la pédiatrie et la médecine interne. Pour accompagner l’évolution de notre système de santé, il nous paraît désormais indispensable d’envisager l’extension du périmètre d’intervention des IPA PCS », écrivait-elle dans une tribune en mars 2022. Contactée à ce sujet, elle nous confirme que le souhait du CNP-IPA est de pouvoir élargir le rôle des IPA dans certaines prises en charge, dont celles des maladies auto-immunes, Hashimoto et Basedow pouvant en faire partie : « Nous ne souhaitons pas la création de nouvelles mentions, mais l’élargissement de celles déjà existantes », espère-t-elle. Pour le moment, le cadre des mentions n’a pas évolué. En attendant, les infirmières, en pratique avancée ou non, peuvent toujours jouer un rôle de vigie auprès de leurs patients atteints de pathologie de la thyroïde : « Outre le suivi des plaies chirurgicales des patients, nous pouvons aussi veiller au suivi des traitements, notamment avec la lévothyroxine. Une de mes patientes utilisait ce traitement pour perdre du poids, il était important pour moi de lui en expliquer le danger », explique Marie-Claude Daydé, infirmière libérale qui assure un rôle d’éducation thérapeutique auprès de sa patientèle. « Face aux pathologies de la thyroïde, les infirmières peuvent tout à fait délivrer des conseils aux malades pour éviter certaines complications, estime en effet la Pre Françoise Borson-Chazot, par exemple dans le cas des orbitopathies de la maladie de Basedow. » L’infirmière qui voit le patient probablement plus souvent que l’endocrinologue peut alerter, le cas échéant, le patient sur une éventuelle aggravation de ses symptômes et l’orienter vers le spécialiste. Elle peut aussi lui rappeler les facteurs de risque - tabac notamment - et lui indiquer comment prendre soin de ses yeux, avec un rappel des soins locaux (utilisation de larmes artificielles) ou des moyens de protection, lunettes de soleil en tête.