L'infirmière n° 048 du 01/09/2024

 

DOSSIER

TROUBLES DE LA THYROÏDE

Anne-Lise Favier  

Si les perturbations de la thyroïde dues à un trouble de la TSH et donc venant de l’hypophyse sont très rares, elles sont plus nombreuses lorsqu’elles concernent un dysfonctionnement direct de la thyroïde.

L’hypothyroïdie se caractérise par une production insuffisante d’hormones thyroïdiennes. C’est la plus fréquente des anomalies de la thyroïde puisqu’on estime qu’elle touche jusqu’à 5 % de la population, avec une prévalence plus élevée chez les femmes après 50 ans. Comme l’explique la Dre Clara Bouché, « les signes cliniques de l’hypothyroïdie sont non spécifiques : fatigue, prise de poids, chute de cheveux, constipation, un ralentissement général ». Des symptômes qui attestent néanmoins que la thyroïde est devenue, en quelque sorte, paresseuse et que l’organisme fonctionne au ralenti. Le diagnostic repose sur le dosage biologique des hormones thyroïdiennes (voir encadré « Nouveau référentiel pour le diagnostic »). L’hypothyroïdie se caractérise par une TSH trop élevée par rapport aux normes et une tétraiodothyronine ou thyroxine (appelée T4) basse : selon les définitions de la Haute Autorité de santé (HAS), on parle d’hypothyroïdie avérée avec une TSH supérieure à 10 mUI/L et une T4 inférieure à l’intervalle de référence du laboratoire (variable selon les kits de dosage utilisés par les laboratoires) ; si la TSH est supérieure à l’intervalle de référence sur au moins deux prélèvements à six semaines d’intervalle et une T4 dans l’intervalle de référence du laboratoire, alors on parle d’hypothyroïdie fruste, le plus souvent asymptomatique. « Une fois le diagnostic posé par l’analyse biologique, aucun examen d’imagerie de type scintigraphique ou échographique n’est nécessaire », insiste la Dre Bouché, qui rappelle les recommandations de la HAS.

Il existe différents types d’hypothyroïdies dont la maladie d’Hashimoto est la plus fréquente : c’est une maladie auto-immune dans laquelle le système immunitaire s’attaque aux cellules thyroïdiennes. Lorsqu’on la suspecte, un bilan sanguin fait apparaître des anticorps anti-thyroperoxydase (anti-TPO) et anti-thyroglobuline (anti-TG). Les autres causes sont essentiellement iatrogènes, soit dues à la prise d’un médicament (voir focus « L’incidence de certains médicaments »), soit à une chirurgie (ablation partielle ou complète) ou à une irradiation par de l’iode radioactif (voir section « Cancer »).

Côté traitement, « on ne le propose que dans les cas d’hypothyroïdies avérées ; avec des résultats infracliniques, en situation d’hypothyroïdie fruste, on ne traite pas forcément », complète l’endocrinologue. Dans le cas d’une hypothyroïdie avérée, le traitement de référence est la lévothyroxine, une hormone thyroïdienne de synthèse aujourd’hui prescrite à environ trois millions de personnes en France selon la HAS. C’est un médicament à marge thérapeutique étroite : l’équilibre attendu avec ce médicament est donc sensible aux variations de dose, même faibles. Il fait partie des médicaments pouvant bénéficier de la mention « non substituable ». Une fois le traitement institué, il nécessite un dosage de la TSH six à huit semaines après le début du traitement, puis une surveillance annuelle. Jusqu’en 2017, en France, le Levothyrox, une lévothyroxine de synthèse, était en situation de quasi-monopole. À la suite de la polémique qui l’a touché (voir « Levothyrox, chronique d’une crise »), d’autres lévothyroxines sont arrivées sur le marché (voir p. 27), sous différentes formes, permettant un choix plus large face à d’éventuels effets secondaires gênants.

Le vieillissement peut aussi entraîner des modifications anatomiques et fonctionnelles de la thyroïde qui ne sont pas forcément pathologiques : ainsi, la limite supérieure des valeurs de référence de la TSH est plus élevée chez une personne âgée. Dans ce cas, il convient, pour la prise en charge, de distinguer ce qui relève d’un processus physiologique ou d’une pathologie thyroïdienne. Une attention particulière doit être portée à la femme enceinte en situation d’hypothyroïdie car cela risque de nuire au fœtus. Une hypothyroïdie congénitale (qui ne vient pas de la mère mais d’une anomalie chez le fœtus) peut aussi survenir, mais celle-ci peut être suppléée pendant la grossesse. Grâce au dépistage néonatal (test de Guthrie), l’enfant peut être traité précocement.

L’hyperthyroïdie

Elle se définit par une production trop élevée d’hormones thyroïdiennes. Moins fréquente que l’hypothyroïdie, elle peut provoquer des problèmes cardiaques, du fait des symptômes associés. Comme la thyroïde fonctionne trop, le métabolisme s’emballe : « C’est une maladie le plus souvent bruyante, qui se traduit par de l’agitation et de la nervosité, des tremblements, un amaigrissement, des diarrhées, des palpitations, une thermophobie, c’est-à-dire une intolérance à la chaleur », décrit la Dre Clara Bouché.

Le diagnostic repose également sur le dosage en cascade : une TSH basse, voire indétectable, conduit au dosage de la T4, voire de la triiodothyronine (appelée T3). Selon les recommandations de la HAS, lorsque le tableau clinique est sévère, il est possible de doser TSH et T4 d’emblée. On parle d’hyperthyroïdie avérée lorsque la TSH est quasi indétectable et la T4 élevée. Une hyperthyroïdie fruste se définit, quant à elle, par une TSH abaissée et les hormones T4 et T3 dans l’intervalle de référence. Un troisième cas peut également se présenter : celui d’une hyperthyroïdie à T3, la TSH est basse, la T4 dans l’intervalle de référence, mais pas la T3 qui demeure élevée. Selon les standards de bonnes pratiques de la HAS, l’imagerie n’est utile que dans certains cas : la scintigraphie et l’échographie peuvent alors aider le praticien à rechercher un adénome toxique ou un goitre. L’hyperthyroïdie est souvent due à la maladie de Basedow (70 % des cas), une maladie auto-immune dans laquelle les anticorps antirécepteurs de la TSH sont présents dans le sang et stimulent continuellement la thyroïde, qui surproduit des hormones. Cette pathologie est donc aisément détectable avec une simple prise de sang qui retrouve ces anticorps. Cette maladie touche principalement les femmes et est la première cause d’hyperthyroïdie chez la femme jeune (20-40 ans). D’autres cas peuvent expliquer l’hyperthyroïdie, comme les nodules thyroïdiens, les inflammations de la thyroïde, comme la thyroïdite de De Quévrain, maladie virale ou certains médicaments (voir focus « L’incidence de certains médicaments »).

Côté traitements, « on traite la maladie avec des antithyroïdiens de synthèse et en seconde intention, on peut être amené à opter pour de l’iode radioactif ou la chirurgie », précise la Dre Clara Bouché. Ces antithyroïdiens (carbimazole, thiouraciles, etc.) vont inhiber l’incorporation d’iode dans les molécules précurseurs des hormones et donc bloquer leur production.

Dans le cas de la maladie de Basedow, la prise en charge va plus loin car cette pathologie « peut s’accompagner d’atteintes d’autres organes, avec une orbitopathie, qui peut parfois être grave, menaçant le pronostic visuel », poursuit-elle. « C’est d’ailleurs un signe révélateur dans 15 % des cas, les yeux peuvent être exorbités, plus ou moins rouges et œdématiés. D’autres signes ophtalmiques accompagnent la maladie, comme la diplopie (vision double), une rétractation des paupières, des conjonctivites à répétition et une hypersensibilité à la lumière. C’est un facteur de vigilance pour tout professionnel de santé, qui peut alors orienter le patient vers un centre de référence ophtalmologique, spécialisé en orbitopathie », ajoute de son côté la Pre Françoise Borson-Chazot. Certaines biothérapies à base d’anticorps monoclonaux se développent pour combattre les formes agressives d’orbitopathies pour lesquelles les moyens thérapeutiques étaient jusqu’à présent limités.

Le traitement par antithyroïdien de synthèse est recommandé pour une durée de 12 à 18 mois : « En cas de récidive, on peut alors choisir un traitement par iode radioactif - l’irathérapie - ou la chirurgie. Cela peut faire passer en hypothyroïdie totale et définitive, que l’on supplémente alors en lévothyroxine », ajoute l’endocrinologue.

Des anomalies anatomiques

Parfois, la thyroïde ne montre pas forcément de signes de dysfonctionnement, mais présente des anomalies morphologiques : « C’est le cas des nodules ou des goitres, qui ne nécessitent pas forcément de traitement. Dans ce cas, la question est plutôt de savoir quelle approche adopter », décrit le Dre Bouché.

LES NODULES THYROÏDIENS

Les nodules thyroïdiens apparaissent au cœur de la glande. On les découvre parfois de manière fortuite, lors de la palpation ou d’explorations indiquées pour un autre organe du cou (échographie). S’ils sont très fréquents - « on estime qu’ils sont présents chez une femme sur deux après 50 ans, 60 % chez les femmes de 60 ans, etc. » -, ils ne sont pas tous forcément menaçants : « Seuls certains d’entre eux sont cancéreux, environ 5 %, et pendant longtemps, comme on ne savait pas vraiment faire la distinction, on procédait au retrait chirurgical. Aujourd’hui, les méthodes exploratoires se sont améliorées, ce qui a conduit à une désescalade dans les traitements », ajoute la Pre Borson-Chazot.

Pour mieux les identifier, les endocrinologues peuvent demander un dosage de la TSH pour voir si ces nodules ont une incidence sur le fonctionnement de la thyroïde et un examen d’imagerie (échographie) pour les classer selon leur risque de malignité - c’est la classification EU-TIRADS. La taille du nodule n’est pas un critère déterminant, mais il est tout de même mesuré pour guider le praticien dans la réalisation ou non d’une ponction thyroïdienne.

Parfois, il n’y a pas de doute et le nodule est classé parmi ceux à forte malignité : il est retiré (voir section « Cancer »), « mais lorsqu’il s’agit de petits nodules cancéreux de moins d’un centimètre, il arrive qu’on ne les retire plus et qu’on passe à une surveillance rapprochée », remarque la Pre Françoise Borson-Chazot. La raison en est simple : la chirurgie n’est pas un acte anodin, qui peut conduire à des risques secondaires (anesthésie, cicatrice, modification de la voix dans certains cas) et obliger à la prise d’un traitement substitutif par lévothyroxine à vie. Or, ces petits nodules cancéreux n’évoluent que peu.

Un changement de paradigme qui s’explique aussi par l’affaire du Levothyrox, qui a amené les endocrinologues à reconsidérer la prise en charge des pathologies de la thyroïde, trop souvent retirée chez les patients et les condamnant à une prise de lévothyroxine à vie. « Il y avait trop d’examens et de chirurgies inutiles », résument les deux endocrinologues. La HAS a donc publié un ensemble de bonnes pratiques pour la prise en charge des dysthyroïdies en recentrant le bilan biologique sur le dosage en première intention de la TSH seule et en réduisant les indications des échographies et scintigraphies à des cas spécifiques. Côté chirurgie, l’acte n’est plus forcément automatique, mais basé sur une analyse de risque, en quelque sorte, qui va conduire à une surveillance accrue des nodules plutôt qu’à une ablation pure et simple. Lorsque les nodules sont bénins mais inesthétiques ou gênants pour la patiente, avec par exemple, des troubles de la déglutition, une nouvelle technique, la thermoablation, a fait son apparition, et permet leur destruction sans opération : elle consiste à introduire une aiguille sous anesthésie locale dans le nodule et à le détruire par la chaleur. Cette technique présente l’avantage de préserver entièrement la thyroïde mais n’est, pour le moment, pas prise en charge en France (elle l’est en Italie).

Le goitre correspond à une anomalie morphologique de la thyroïde, qui devient volumineuse : cette anomalie n’est pas forcément un signe de dysfonctionnement de la thyroïde. Fréquent à une époque où l’iode était manquant, il l’est beaucoup moins aujourd’hui. Il peut toutefois évoluer vers une hyperthyroïdie.

Du fait de son volume parfois imposant, il peut entraîner des troubles de la déglutition en appuyant sur l’œsophage, voire de la respiration en faisant pression sur la trachée. Il peut alors faire l’objet d’une chirurgie, mais dans une majorité des cas, un apport iodé et une surveillance peuvent suffire.

Le cas du cancer de la thyroïde

S’il reste relativement rare (1 % des cancers), il représente tout de même le 4e cancer le plus fréquent chez la femme. C’est un cancer de bon pronostic avec une survie à dix ans supérieure à 90 %, mais dans 5 à 10 % des cas, l’évolution est défavorable, selon la Société française d’endocrinologie qui rappelle qu’il est responsable de 0,3 % de la mortalité globale par cancer.

Le diagnostic le plus fréquent est celui d’un nodule thyroïdien présentant des caractéristiques échographiques typiques (lire plus haut). On le rencontre parfois de manière fortuite au détour d’un examen d’imagerie. Dans 95 % des cas, il s’agit d’un cancer d’origine vésiculaire, qui touche les cellules synthétisant les hormones thyroïdiennes. Dans le reste des cas, il concerne les cellules C qui produisent la calcitonine et s’intègre dans ce cas dans des prédispositions familiales.

Le traitement de première intention est la chirurgie : « Dans 80 à 90 % des cas, la chirurgie est suffisante et l’on obtient la guérison complète ; mais dans certains cas, l’analyse anatomo-pathologique montre qu’il est nécessaire d’aller plus loin. Aussi, une réunion de concertation pluridisciplinaire détermine-t-elle la prise en charge avec un traitement à l’iode radioactif », précise la Dre Bouché. Ce traitement vise à détruire totalement toute cellule thyroïdienne résiduelle. Comme ce sont les seules cellules du corps humain à pouvoir capter l’iode, le traitement par l’iode radioactif les détruit. Ce traitement radical nécessite une prise en charge très particulière dans des conditions d’isolement strict à l’hôpital (voir encadré p. 25).

Le patient doit ensuite suivre à vie un traitement substitutif pour apprendre à vivre sans thyroïde si l’ablation a été complète (voir à ce sujet le portrait « Beate Bartès, de malade à experte »).

FOCUS

L’incidence de certains médicaments

Certains traitements médicamenteux peuvent provoquer des troubles de la thyroïde. C’est le cas de l’interféron, indiqué dans la prise en charge des hépatites, qui donne des thyroïdites avec une possible hyperthyroïdie transitoire puis la survenue d’une hypothyroïdie. De son côté, le lithium, un traitement utilisé dans les troubles bipolaires, peut, quant à lui, provoquer une hypothyroïdie. L’amiodarone, un antiarythmique prescrit pour réguler les troubles cardiaques et riche en iode, peut être à l’origine d’une hypo ou d’une hyperthyroïdie. Il est donc nécessaire de toujours préciser tous les traitements suivis lors de bilans biologiques.

L’irathérapie ou thérapie par iode radioactif

C’est un traitement à l’iode radioactif qui suit l’ablation de la thyroïde : « Il consiste à détruire ce que l’on appelle les reliquats thyroïdiens, c’est-à-dire les restes de cellules thyroïdiennes qui pourraient persister après thyroïdectomie, à éliminer les éventuelles cellules cancéreuses présentes dans le corps (et métastases) et à compléter le bilan d’extension du cancer, grâce à l’examen réalisé après le traitement », résume l’Institut national du cancer. Il est surtout indiqué dans les cancers à risque élevé de récidive.

- Avant le traitement : le patient doit éviter tout produit contenant de l’iode (pour éviter la compétition avec l’iode radioactif), notamment les produits de la mer. Une femme en âge de procréer doit utiliser une méthode de contraception efficace dès la prise en charge et ce, pendant six mois.

- Le traitement : le patient est hospitalisé en médecine nucléaire dans une chambre isolée par des murs de plomb. On lui apporte l’iode radioactif soit par une injection, soit par une gélule à avaler : cet iode va se diffuser dans le sang et atteindre les cellules thyroïdiennes. Pendant quelques jours, le patient est en isolement strict (pas de visites de l’extérieur, personnels de santé présents pour le strict minimum) et doit utiliser des sanitaires spéciaux pour éviter la diffusion de la radioactivité. 90 % de l’iode radioactif est éliminé les deux premiers jours (le patient est invité à boire régulièrement pour faciliter l’élimination).

- Au bout de quelques jours (variable selon les protocoles, de deux à cinq jours), une scintigraphie est programmée : cet examen va permettre de voir où l’iode radioactif s’est fixé. Il permet de constater une éventuelle diffusion de la maladie.

- Après l’irathérapie : au retour à domicile, il est conseillé d’éviter tout contact rapproché avec un enfant ou une femme enceinte pendant quelques jours ; des mesures supplémentaires peuvent être conseillées selon les protocoles de l’établissement qui a procédé au traitement.

FOCUS

Le crétin des Alpes

Devenue une insulte populaire, le crétin des Alpes était une réalité médicale jusqu’au XIXe siècle. En cause, un manque absolu d’iode chez la femme enceinte. Vivant en montagne, elle en était naturellement privée, ce qui provoquait une hypothyroïdie congénitale chez l’enfant, maladie que l’on qualifiait de crétinisme. L’enfant était atteint d’un retard mental grave et de malformations physiques. Ce n’est qu’il y a un siècle, en 1922, que l’on a découvert que ce trouble était dû à un manque d’iode. Depuis, on supplémente le sel de cuisine en iode. Et le crétin des Alpes n’est plus qu’une insulte que l’on trouve dans la bouche du capitaine Haddock, sous la plume d’Hergé.