Doyenne de la faculté des sciences infirmières et techniques de santé de l’université Euromed de Fès (Maroc), Wafaâ Al Hassani a gravi les échelons du système de santé marocain. D’infirmière polyvalente à formatrice, en passant par le poste de cheffe de division au ministère de la Santé, elle a à cœur, dans chacune de ses fonctions, de défendre le leadership infirmier.
Wafaâ Al Hassani : Pas nécessairement ! Mais j’ai toujours souhaité exercer dans le domaine de la santé pour prendre soin des autres, être à leur écoute. Les circonstances de la vie m’ont conduite à intégrer, il y a 30 ans, l’école des infirmiers d’État à Casablanca, afin de devenir infirmière polyvalente. Mon amour pour la profession, je l’ai ressenti dès le premier jour de ma formation. S’occuper de l’autre, l’engagement et l’altruisme font l’empreinte de ce métier. Après mes études, j’ai exercé dans un réseau de soins de santé où j’ai rapidement supervisé les programmes d’activités sanitaires. J’ai aussi travaillé sur le post-partum et la planification familiale au sein d’une maternité hospitalière.
W. A H : J’ai eu un premier aperçu de l’enseignement lorsque j’ai suivi, en 1995, un certificat dispensé via le ministère de la Santé sur la communication intrapersonnelle et les techniques d’animation de groupe. Ce cours m’a permis de découvrir une autre facette de la profession, en lien avec l’éducation thérapeutique, la formation à l’andragogie, la promotion de la santé. J’ai alors décelé ma fibre pour l’enseignement.
J’ai ensuite passé le concours pour accéder au deuxième cycle des études paramédicales, à l’Institut de formation aux carrières de santé (IFCS) de Rabat. J’ai opté non pas pour le module « surveillant des services de soins » [l’équivalent des cadres de santé en France, NDLR], mais pour l’enseignement paramédical. Après l’obtention de mon diplôme en 2004, je me suis sentie plus armée en matière de pédagogie. Je suis alors retournée à Casablanca, au sein de l’école où j’ai été formée, pour dispenser à mon tour des cours théoriques et pratiques aux futures infirmières, et les encadrer sur les terrains de stage. En parallèle, j’intervenais à la direction régionale de la santé du Grand Casablanca [l’équivalent des agences régionales de santé, NDLR], dans la gestion de la formation continue et des dossiers concernant l’ingénierie de formation.
W. A H : J’ai souhaité poursuivre ma montée en compétences en entamant, en 2012, une formation au sein de l’École nationale de santé publique (ENSP) à Rabat afin d’obtenir un master en Santé publique et administration sanitaire, filière management des organisations de santé. La majorité des étudiants de cette formation sont généralement des médecins. J’ai voulu passer le concours pour montrer la place de la profession infirmière. Nous étions d’ailleurs trois sur un groupe de 40. C’est à la suite de cette formation que j’ai pu rejoindre le niveau central du ministère de la Santé. Un poste était à pourvoir.
À cette étape de ma carrière, j’avais déjà eu l’opportunité d’être infirmière de terrain, de travailler dans la formation au sein de la direction régionale de la santé. Il me manquait l’échelon central du ministère. Selon moi, il était également valorisant pour la profession qu’une infirmière soit à la tête d’une instance ministérielle. À chaque marche gravie, ce n’était pas uniquement le signe de ma réussite, mais de celle des infirmiers du Maroc. C’est ce qui m’a toujours poussée à aller de l’avant.
J’ai intégré le ministère en tant que cheffe de service de la formation de base, qui gère la formation initiale des infirmiers et des techniciens de santé. J’ai ainsi pu participer à la mise en place de la réforme licence-master-doctorat (LMD) pour les études infirmières. En 2015, j’ai candidaté au poste de cheffe de la division de la formation ; instance qui regroupe le service que je gérais jusqu’à présent et celui de la formation continue de l’ensemble des professionnels de santé. À ce poste, j’ai eu pour mission la mise en place des orientations stratégiques du gouvernement dans le domaine de la formation. J’ai quitté le ministère en 2018 pour rejoindre l’université Mohammed VI des sciences de la santé de Casablanca en tant que doyenne de la faculté des sciences et techniques de santé. J’ai également participé à l’ouverture de nouvelles spécialités au cycle de licence et à l’implantation de cycle de master. J’y suis restée jusqu’en décembre 2022, date à laquelle l’université Euromed de Fès m’a sollicitée, en tant que doyenne, pour la création du pôle santé.
W. A H : Entre 2013 et 2019, le secteur de la santé a lancé un chantier prometteur avec de nombreuses réalisations pour la profession. À cette période, le statut des infirmiers les conduisait à stagner d’un point de vue financier, dès lors qu’ils avaient atteint un certain stade de leur carrière. Nous avons débloqué ces freins pour permettre des avancées salariales jusqu’à la fin de la carrière.
Nous avons également mis en place, en 2016, une licence pour les infirmiers en néonatalogie-pédiatrie, et, en 2017, pour les infirmiers en santé communautaire. À la suite de la réforme LMD, j’ai également travaillé à l’implantation des dix sièges et 13 annexes des Instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé (ISPITS), au recrutement d’enseignants-chercheurs, à la création, en 2017, d’un master en pédagogie en sciences infirmières et techniques de santé et, en 2019, d’un doctorat en sciences infirmières. Ces différentes évolutions participent au leadership infirmier.
Cependant, le positionnement de la profession est tributaire du renforcement de la formation car pour parler de leadership infirmier, il faut pouvoir l’incarner avec des outils, du savoir, du savoir-faire et surtout un savoir-agir.
W. A H : Les différentes évolutions vécues par la profession démontrent l’importance accordée aux infirmiers dans le système de santé marocain. Pour autant, il reste encore beaucoup à faire, avec notamment trois points importants selon moi.
Tout d’abord, la revalorisation de la prime de risque des infirmiers, dont le montant est aujourd’hui quatre fois inférieur à celui des autres professions, alors même que les infirmiers sont au lit du patient et dispensent 80 % des soins.
Nous voudrions également la mise en place d’un Ordre des infirmiers, car sans Ordre, il n’y a pas d’ordre. Le ministère a lancé un travail à cette échelle, dans le cadre du dialogue social. Pour autant, l’initiative doit venir des professionnels.
Enfin, je suis convaincue qu’il faudrait créer un statut d’enseignant-chercheur propre aux sciences infirmières. Actuellement, le Maroc vit une refonte de sa gouvernance en santé avec la mise en place des Groupements sanitaires territoriaux (GST) et la création d’une Haute Autorité de santé (HAS). Elle accompagne le chantier portant sur la généralisation de la couverture sanitaire. Pour que cette généralisation soit effective sur le terrain, il nous faut des ressources humaines compétentes et en nombre suffisant. Or, nous traversons, nous aussi, une pénurie d’infirmiers. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il faut 60 infirmiers pour 10 000 habitants. Nous en avons neuf. Notre besoin est énorme, ce qui explique l’ensemble des mesures prises pour l’attractivité de la profession, en sachant qu’une concrétisation cohérente et adéquate aux objectifs de la profession requiert un certain temps.
1993 diplômée de l’école d’État des infirmiers de Casablanca
1996 certificat sur la communication interpersonnelle
2004 diplômée en enseignement paramédical à l’IFCS de Rabat
2013 master en santé publique et administration à l’ENSP de Rabat
2015 cheffe de la division de la formation au ministère de la Santé
2023 doyenne de la faculté des sciences infirmières et techniques de santé de l’université Euromed de Fès