Les troubles musculosquelettiques (TMS) constituent la première maladie professionnelle en France et sans surprise, les infirmières libérales sont concernées. Comment agir en prévention pour les éviter ?
D’après les données de l’Assurance maladie, en 2021, les douleurs au dos et aux articulations représentaient 97 % des maladies professionnelles chez les infirmières et les sages-femmes, rappelle Corentin Guilloteau, kinésithérapeute, chargé du programme Santé au travail chez Kiné Ouest Prévention. Les manutentions manuelles sont, à elles seules, à l’origine de 63 % des accidents du travail. » Les troubles musculosquelettiques (TMS) touchent les articulations, les muscles et les tendons. Survenant le plus souvent au niveau du dos ou des membres supérieurs, ils résultent d’un déséquilibre entre les capacités physiques du corps et les sollicitations et contraintes auxquelles il est exposé. Les TMS peuvent apparaître rapidement, cependant, ils s’installent généralement de manière progressive après une période de sollicitations intensives des différentes parties du corps atteintes.
Certains loisirs, tels que le jardinage, le bricolage ou encore des pratiques sportives, peuvent provoquer des TMS. Mais à présent, c’est principalement le lien entre les activités professionnelles et la survenue ou l’aggravation des TMS qui est pointé du doigt. D’ailleurs, nombre d’entre eux sont inscrits aux tableaux des maladies professionnelles. Les facteurs favorisant la survenue des TMS sont variés.
Les facteurs biomécaniques sont les mouvements de force ou des postures extrêmes, tels que les torsions du poignet, la flexion et l’extension du coude, la répétition fréquente d’un même geste et le port de lourdes charges, effectués à plusieurs reprises. Le froid, le bruit ou encore le travail réalisé avec un mauvais éclairage représentent aussi des facteurs aggravants. « Pour les infirmières libérales, il peut s’agir du transfert des patients du lit au fauteuil ou inversement », donne en exemple Corentin Guilloteau. Le fait de monter et descendre de la voiture peut favoriser les TMS, « car le mouvement répétitif représente un risque, mais tout comme peut l’être l’absence de mouvement », indique-t-il. La déshydratation constitue également un risque majeur de cause des TMS, « notamment parce que les disques intervertébraux sont comme des éponges, ils ont besoin d’être hydratés, ajoute-t-il. Il est important de le rappeler aux Idel car parfois, pendant une tournée, en raison des nombreux actes qu’elles ont à effectuer, elles peuvent oublier de boire ou tout simplement se contraindre à ne pas s’hydrater pour éviter d’avoir à se rendre aux toilettes, ce qui n’est, bien entendu, pas la bonne solution », prévient le kinésithérapeute.
Les facteurs psychosociaux Également en cause dans les TMS, les facteurs psychosociaux reposent sur la façon dont le travail est perçu par le travailleur. Parmi ces contraintes : l’insatisfaction face à un travail monotone, le manque d’autonomie, la tension engendrée par les délais à respecter (pression temporelle), le manque de reconnaissance professionnelle, des relations sociales dégradées, l’absence de soutien des collègues ou des tutelles pour les Idel. « Cette absence de soutien entre collègues est un facteur aggravant, tout comme la concurrence, la culture du chacun pour soi, le fait de ne pas évoluer professionnellement, l’autocontrôle sur son travail ou encore l’exigence intentionnelle de la tâche », énumère Corentin Guilloteau.
Ils sont liés à l’organisation du travail, notamment le rythme, les horaires, les tâches à accomplir. Il s’agit également des conditions d’exercice du geste professionnel (délai de réalisation trop court, temps de récupération insuffisant). « Les Idel étant payées à l’acte, cela peut influencer la manière de travailler de certaines d’entre elles, qui peuvent alors se trouver contraintes à augmenter leur charge de travail pour mieux gagner leur vie », pointe le kinésithérapeute.
Ces facteurs dépendent des caractéristiques propres à chacun. Par exemple, l’âge est responsable du vieillissement des structures périarticulaires. De même, la fragilité physique (diabète, hypothyroïdie, rhumatisme inflammatoire, fatigue, surpoids, baisse de l’immunité) ou la fragilité psychologique sont à prendre en compte.
Il existe plusieurs stades dans les troubles musculosquelettiques, qui sont généralement, dans un premier temps, faiblement ressentis.
Il se caractérise par des douleurs et une gêne fonctionnelle avec perte de mobilité ou de force, apparaissant pendant l’activité exercée. Ces douleurs vont disparaître le soir ou au repos, et ne réduisent pas la capacité de travail.
Les douleurs et la gêne fonctionnelle débutent de plus en plus tôt dans la journée, et persistent le soir ou au repos. Elles réduisent alors la capacité de travail.
Des symptômes plus spécifiques, selon la nature de l’affection, vont faire leur apparition : des signes d’inflammation, une perte de mobilité articulaire ou de force et une fonte musculaire s’installent. À ce stade, ces symptômes s’accompagnent d’une incapacité à accomplir son travail.
Pour éviter l’apparition des TMS, il faut jouer sur la dynamique de leur apparition. « Il est important de constater que les arrêts de travail, chez les infirmières, sont plus nombreux entre 20 et 30 ans, qu’entre 30 et 40 ans, observe Corentin Guilloteau. Ces données sont révélatrices de l’importance de l’expérience acquise dans l’organisation de son travail, afin de moins travailler en force sur son corps. »
À titre d’exemple, concernant les facteurs biomécaniques, en cas de transfert d’un patient, l’Idel doit gainer son corps au maximum, d’autant plus qu’à domicile, elle n’a pas toujours accès au matériel adapté (disques de transfert, guidons, etc.). Mais dans sa pratique, « il n’est pas opportun de miser sur des stratégies en force car physiquement, son corps ne va pas le supporter longtemps », insiste Corentin Guilloteau.
Lorsque l’Idel a conscience d’avoir travaillé un certain temps dans une certaine position ou d’avoir effectué des gestes répétitifs, il est nécessaire, pour éviter l’apparition de tensions, de réaliser des mouvements compensateurs, c’est-à-dire inverses. Si, par exemple, elle a beaucoup travaillé le dos enroulé, elle va devoir l’étirer dans le sens opposé. « Il faut effectuer, en routine, ces mouvements compensateurs à ceux effectués à répétition », prévient Corentin Guilloteau. Pour acquérir ces « trucs et astuces » afin d’optimiser la pratique, il encourage les temps d’échanges et de partage des savoir-faire entre les professionnels libéraux. « Le métier d’infirmière libérale, notamment, requiert la mise en place de savoir-faire de prudence, insiste-t-il. Il est important d’agir sur l’organisation du travail. » Ces temps d’échanges sont aussi des moyens d’agir sur les facteurs psychosociaux des TMS en créant un collectif de travail « ressource », « une solidarité qui protège, utile dans le cadre d’un exercice souvent solitaire », pointe-t-il. Avoir des collègues en soutien, avec lesquels partager des moments permet aussi d’offrir un meilleur rapport au travail. « Il faut toujours s’interroger sur le lien entre son activité et ce qu’on peut ressentir dans son corps, conseille le kinésithérapeute. Une tension n’est pas une douleur, et même si elle n’est pas grave, elle n’est pas à ignorer pour autant. » Et d’ajouter : « Surtout, il faut prendre soin de soi pour prendre soin des autres, donc prendre du temps pour soi, se ménager des moments d’activités sanctuaires pour décompresser. » Dans tous les cas, le diagnostic de TMS doit être posé par un médecin, car ils peuvent conduire à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.
Source complémentaire : ameli.fr
Parmi les TMS les plus fréquents
- Le syndrome du canal carpien au poignet (38 %) ;
- Le syndrome de la coiffe des rotateurs à l’épaule (30 %) ;
- L’épicondylite latérale au coude (22 %) ;
- Les lombalgies (douleurs au niveau du bas du dos, 7 %) ;
- Moins fréquents, les TMS des membres inférieurs, le plus connu étant l’hygroma du genou (2 %).
Source : ameli.fr
par Marie-Claude Daydé, infirmière libérale
L’incertitude, une étonnante alliée
Le projet de loi sur « l’aide à mourir » a fait l’objet de nombreuses discussions par nos représentants politiques, notamment concernant la notion d’évaluation de la durée du pronostic vital d’une personne souffrant d’une maladie grave et incurable.
Mais la singularité d’une vie et de sa durée probable ne peut être enfermée dans une loi ou un pronostic, ni même dans des statistiques, fussent-elles scientifiquement validées. Les soignants savent bien qu’il convient de composer à la fois avec ce que vit la personne dans son environnement et qui la « porte », mais également avec l’incertitude de ce qu’il adviendra.
Cette incertitude peut être appréhendée de différentes façons, que ce soit pour la personne soignée, ses proches, ou par l’infirmière. Elle peut être considérée par exemple comme une condition de l’existence humaine où chaque jour est un jour de gagné sur la maladie ou au contraire, comme un échec de la médecine. En fonction de sa propre vision, le soignant va se positionner différemment vis-à-vis du patient et osciller entre accueil de la plainte dans toutes ses dimensions et maîtrise du savoir scientifique. L’adaptation que va mettre en place la personne face au stress généré par cette incertitude va engendrer espoir ou désespoir, danger ou opportunité.
En soins palliatifs par exemple, lorsqu’on annonce le diagnostic aux malades, ces derniers cherchent des certitudes sur lesquelles s’appuyer, l’incertitude étant, à l’inverse, perçue comme un danger. Puis, au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, ils mettent en place des stratégies d’adaptation et c’est cette même incertitude qui devient parfois une opportunité, une source d’espoir. Cette espérance est nécessaire à la personne malade qui peut trouver un sens à ce qu’elle vit. Ce comportement est parfois mal interprété par les proches qui y voient un déni de la maladie. Au contraire, l’espoir joue le rôle de lien, de connexion aux autres, en société, et permet au malade de maintenir une certaine estime de soi. En somme, l’incertitude générée par la maladie invite chacun de nous à revisiter ses propres valeurs et ses priorités de vie.