L'infirmière n° 048 du 01/09/2024

 

DOSSIER

SCANDALE SANITAIRE

Anne-Lise Favier  

Le Levothyrox, lévothyroxine de synthèse produite par le laboratoire Merck, agit comme traitement en cas d’hypothyroïdie. Médicament utilisé chaque jour par trois millions de patients, il fait l’objet, en 2017, d’une reformulation provoquant de nombreux effets secondaires et un véritable scandale sanitaire. Retour sur une affaire au long cours.

Au début des années 2000, diverses autorités sanitaires dans le monde demandent aux fabricants de médicaments de resserrer les spécifications de teneur en lévothyroxine de leur spécialité. C’est en 2012, en France, que l’Agence de sécurité des médicaments (ANSM) enjoint Merck d’en faire de même avec son Levothyrox pour plus de stabilité entre le début et la fin de vie du médicament. Le laboratoire obtempère - sans cela, son autorisation de mise sur le marché pour la lévothyroxine aurait été suspendue - et remplace le lactose, un excipient de la formule (pas le principe actif) par du mannitol et ajoute de l’acide citrique pour stabiliser la formule. Le laboratoire assure alors que cette nouvelle formulation n’a pas d’incidence pour le patient. Sur la base de ces affirmations, l’ANSM valide cette nouvelle formulation. Pour notifier ce changement, le laboratoire Merck change le design de ses boîtes et informe les professionnels de santé - médecins - du lancement de sa nouvelle formule en coordination avec l’ANSM, mais pas les patients, car c’est un médicament soumis à prescription médicale obligatoire.

La commercialisation de ce Levothyrox revisité démarre en mars 2017 : de nombreux patients commencent alors à se plaindre de l’apparition d’effets secondaires (fatigue, crampes, vertiges, maux de tête ou perte de cheveux). Après enquête, l’ANSM recense près de 30 000 déclarations d’effets indésirables ; les patients se rassemblent pour une action collective contre le laboratoire Merck qui est alors contraint de remettre en circulation l’ancienne formule, sous le nom d’Euthyrox, mais avec un nombre de boîtes limité. Certains patients se fournissent à l’étranger.

Des études mettent les effets indésirables sur le compte du changement de traitement mais pas directement sur le changement de formule, certains spécialistes arguant qu’il s’agit plus d’un effet nocebo* qu’un réel effet indésirable : la médiatisation des premiers cas aurait eu un effet boule de neige sur un échantillon plus large de patients. Au final, le laboratoire Merck est mis en examen pour tromperie aggravée, l’ANSM pour tromperie.

Aujourd’hui, le Levothyrox n’est plus le seul médicament disponible sur le marché pour les patients français et les mises en examen pour tromperie sont en attente d’une date de procès.

Les leçons de la crise

Comme toute crise, celle-ci, qui a pris une grande ampleur, a permis de tirer quelques enseignements : l’information et la communication des laboratoires sont essentielles, « non seulement auprès des médecins, mais aussi des autres professionnels de santé - pharmaciens, infirmières - et des patients », estime la Pre Françoise Borson-Chazot. Un point sur lequel Beate Bartès, patiente utilisatrice du Levothyrox et présidente de l’association Vivre sans thyroïde (voir pages suivantes), insiste : « Je pense que le laboratoire n’a pas pris la mesure de l’impact que pouvaient avoir les réseaux sociaux, les groupes Facebook ou la communication entre les patients sur le sujet », pour expliquer l’ampleur de la crise. « Cela invite à réfléchir sur un état de fait lorsqu’un médicament est en situation de monopole », ajoute la Pre Borson-Chazot, qui rappelle qu’une crise similaire avait par exemple déjà eu lieu en Nouvelle-Zélande, quelques années auparavant. Enfin, plus largement, cette crise a sans doute permis de prendre conscience de la fréquence de traitements inutiles : « Beaucoup de patients prenaient un traitement sans réelle utilité. À présent, nous sommes plus dans le sens d’une désescalade tant côté traitements qu’examens », conclut l’endocrinologue.

* L’effet nocébo est, en quelque sorte, la version inverse de l’effet placebo. Il décrit le phénomène d’apparitions d’effets indésirables avec un traitement inactif ou inoffensif en raison d’un a priori négatif sur la substance.