La thyroïde est un organe dont on parle peu quand elle fonctionne bien, mais qui peut perturber tout l’équilibre de l’organisme lorsqu’elle devient défaillante. Différentes pathologies peuvent l’impacter, fort heureusement, des traitements sont disponibles avec une désescalade thérapeutique de plus en plus d’actualité.
La thyroïde est un petit organe en forme de papillon situé à la base du cou, juste devant la trachée. Glande endocrine formée de deux lobes, elle ne pèse guère plus d’une vingtaine de grammes pour quelques centimètres de long chez un adulte en bonne santé. Elle régit de nombreux processus physiologiques en produisant principalement deux hormones à partir de l’iode alimentaire : la tétraiodothyronine ou thyroxine, également appelée T4 (elle contient quatre atomes d’iode) et la triiodothyronine ou T3 (trois atomes d’iode). Lorsqu’elle fonctionne bien, son rôle passe inaperçu et elle intervient dans la régulation du métabolisme, la croissance et le développement, le fonctionnement cardiovasculaire ou encore les systèmes nerveux ou digestif. C’est lorsqu’elle déraille que l’on se rend compte de l’importance de cette petite glande pas du tout accessoire.
En France, on estime jusqu’à 10 % la part de la population affectée par une pathologie thyroïdienne, selon les données épidémiologiques de l’étude Suvimax1. Parmi elles, on compte des anomalies de fonctionnement, essentiellement des hypothyroïdies, les plus fréquentes des pathologies pour cet organe, qui touchent environ 5 % de la population et les hyperthyroïdies, rencontrées dans 2 % des cas. Il existe également des anomalies morphologiques au rang desquelles on compte les nodules, qui concernent environ 20 % de la population et les goitres, relativement fréquents, puisqu’on les observe dans 10 % des cas. Dans chacune de ces pathologies, le sex-ratio est déséquilibré car on retrouve un plus grand nombre de cas dans la population féminine. Les cancers de la thyroïde sont plutôt rares ; ils ne représentent que 1 à 2 % des cancers recensés en France (en comparaison, le cancer du sein représente 33 % des cas de cancers chez la femme, celui de la prostate 24 % chez l’homme, données Panorama des cancers en France, édition 2023). Même s’ils sont en augmentation depuis les années 1970, ces cas seraient davantage liés à de meilleures pratiques diagnostiques qu’à l’incident de Tchernobyl (avril 1986) qu’on a longtemps soupçonné, selon Santé publique France2.
Certains facteurs environnementaux sont associés au risque de maladies thyroïdiennes, au premier rang desquels le déficit en iode. Pour pallier ce manque, les apports nutritionnels conseillés en iode et publiés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sont de 150 µg par jour pour un adulte, 400 µg chez la femme enceinte ; on le trouve dans les algues, le sel iodé, les poissons marins, les fruits de mer, le lait mais aussi les œufs. La population française bénéficie globalement d’un bon apport grâce à la diversification alimentaire, mais les femmes enceintes restent déficitaires. Le tabac et l’alcool ont également une incidence sur les maladies de la thyroïde : le premier en stimulant la thyroïde, le second en ayant plutôt l’effet inverse, selon différentes études citées dans la cohorte Suvimax. Autre menace récemment découverte, les per- et polyfluoroalkylés, que l’on désigne plus généralement sous le nom de PFAS, et qui jouent un rôle dans le développement des pathologies thyroïdiennes, notamment le cancer. Ces composés, souvent qualifiés de polluants éternels, sont présents dans de nombreux produits de la vie quotidienne pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et résistantes aux fortes chaleurs : on les trouve notamment dans les emballages alimentaires, les revêtements antiadhésifs des poêles ou certains vêtements techniques. Enfin, les différences hormonales homme/femme semblent avoir un lien avec les dysfonctionnements thyroïdiens : non seulement les femmes sont globalement plus nombreuses que les hommes à souffrir de problèmes thyroïdiens, mais un suivi échographique de la thyroïde des femmes enceintes a mis en évidence une augmentation de la taille des nodules thyroïdiens préexistants ainsi que l’apparition de nouveaux nodules. « Ces modifications ont été mises en relation avec l’augmentation des œstrogènes durant la grossesse qui affecterait la thyroïde et le métabolisme des hormones thyroïdiennes : ceci expliquerait en partie l’augmentation du risque de pathologie thyroïdienne liée au sexe féminin », expliquent les experts de la cohorte Suvimax. La modification de certains de ces facteurs de risque, accessibles à la prévention, pourrait contribuer à réduire de façon significative l’incidence de la morbidité thyroïdienne dans la population générale, comme le suggère l’étude Suvimax. La prise en compte des données de santé environnementale est également à considérer.
La thyroïde est une glande formée de vésicules thyroïdiennes capables de piéger l’iode conduit par les vaisseaux sanguins qui l’irriguent. Une fois cet iode capté, elle synthétise la thyroglobuline, protéine précurseur des hormones thyroïdiennes T3 et T4. Ces dernières sont libérées sous l’influence de l’hypophyse qui sécrète notamment une hormone, la thyréotrophine ou thyréostimuline (siglée TSH pour thyroid-stimulating hormon). « Ce fonctionnement a pour but de réguler la production des hormones thyroïdiennes sous la forme d’une boucle de rétrocontrôle », explique la Dre Clara Bouché, endocrinologue et cheffe du service de médecine hospitalière à l’hôpital fondation Rothschild, spécialisé dans les pathologies de la tête et du cou (75). Ainsi, lorsque la quantité d’hormones thyroïdiennes n’est pas suffisante, l’hypophyse délivre de la TSH pour stimuler la thyroïde qui se met alors à produire des hormones. Une fois en quantité suffisante, ces hormones vont venir en quelque sorte ralentir la production de TSH, ce qui va calmer la production des hormones par la thyroïde. C’est pour cette raison que lorsque l’on veut mesurer l’activité biologique de la thyroïde, on ne mesure pas uniquement les hormones thyroïdiennes mais on s’intéresse aussi à la quantité de TSH dans le sang. Jusqu’à l’année dernière, l’exploration biologique des pathologies thyroïdiennes reposait sur le dosage sanguin de la TSH et des hormones thyroïdiennes T3 et T4. Mais de nouvelles recommandations, basées sur un dosage en cascade, ont vu le jour (voir encadré ci-dessous).
À noter que la thyroïde sécrète aussi une autre hormone, la calcitonine, intervenant dans le métabolisme du calcium : cette hormone est secrétée par les cellules C différentes de celles qui sécrètent la T4 et la T3. « Le rôle de la calcitonine sur le métabolisme phosphocalcique n’est pas très important et lorsqu’on enlève la thyroïde, on ne remplace pas cette sécrétion. La calcitonine est le marqueur d’une forme particulière de cancers de la thyroïde, très rares, les cancers médullaires. On dose systématiquement la calcitonine lorsqu’une opération est planifiée pour un nodule pour dépister un éventuel cancer médullaire », précise la Pre Françoise Borson-Chazot, endocrinologue aux Hospices civils de Lyon (69) et membre de la Société française d’endocrinologie.
Pour le diagnostic des anomalies de fonctionnement de la thyroïde, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié, en mars 2023, de nouvelles recommandations de bonnes pratiques de prise en charge des dysthyroïdies chez l’adulte3. « Désormais, la norme est le dosage en cascade, explique la Pre Françoise Borson-Chazot, endocrinologue aux Hospices civils de Lyon (69) et membre de la Société française d’endocrinologie. Concrètement, on ne dose plus que la TSH en première intention. C’est ce dosage qui fait référence. Si le dosage de la TSH est anormal, alors, on procède à un dosage de la T4 pour poser le diagnostic d’hypo ou hyperthyroïdie. Dans certains cas, on peut aussi doser la T3 après le dosage de la T4 si le bilan est discordant. » Côté pratique, cela ne change rien pour l’infirmière puisqu’il s’agit toujours d’un seul prélèvement sanguin sur la base d’une seule ordonnance. C’est au laboratoire, lors de la phase analytique, que le changement s’opère : là où, avant, on dosait dès le départ la TSH, la T4 et la T3, on ne s’intéresse plus qu’à la TSH en première intention. Si et seulement si cette première analyse révèle une anomalie, on pousse plus loin l’investigation : d’où la notion de dosage en cascade. À la clé, plus de pertinence et un gain économique substantiel quand on sait que les dosages des hormones thyroïdiennes figurent parmi les analyses biomédicales les plus prescrites, avec près de 2,5 millions d’actes mensuels selon les derniers chiffres de l’Assurance maladie et les plus coûteuses (actes de biologie médicale par type de prescripteur - Biol’AM 2024).