L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

Aude Barrey

PORTRAIT DU MOIS

Laure Martin  

Ancienne championne de France de natation, Aude Barrey n’officie plus dans les bassins depuis 20 ans, mais dans les services hospitaliers et les salles de cours de l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du Havre, en qualité de cadre de santé. Pour autant, les valeurs sportives acquises par sa pratique à haut niveau ne l’ont jamais quittée. Rencontre.

Comment avez-vous commencé la natation ?

Aude Barrey : Avec mon grand frère [Hugues Duboscq, quadruple médaillé olympique, NDLR], dès notre plus jeune âge, nous avons été mis dans l’eau car notre papa était aquaphobe et notre maman ne voulait pas que nous le devenions à notre tour. Très vite, mon frère a débuté des entraînements et je l’ai suivi. Mes capacités se sont révélées assez vite. J’ai commencé la compétition à l’âge de 7 ans et m’y suis consacrée jusqu’à mes 20 ans. J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à m’entraîner. En classe de première, j’ai souhaité me fixer des objectifs plus ambitieux en termes de qualification. J’ai concouru en championnats régionaux jusqu’à l’âge de 15/16 ans. Je souhaitais alors me qualifier pour les championnats de France et intégrer l’équipe de la région ouest pour participer aux championnats d’équipe junior. J’ai été sélectionnée au championnat de France en 2000, 2003 et 2004. Pendant toute cette période de sport à haut niveau, je n’étais jamais seule. Certes, je me fixais des objectifs personnels, mais je faisais partie d’un club, d’une équipe. Et mon grand frère m’a toujours soutenue, il était très à l’écoute, tout comme ma famille.

En 2004, vous avez arrêté la natation progressivement pour vous consacrer à vos études. Pourquoi ce choix ?

A. B. : Effectivement, lorsque j’ai été admise à l’Ifsi de Rouen, j’ai levé le pied en natation car ma priorité était d’avoir un métier. La formation en Ifsi demande beaucoup d’investissement, de temps de travail personnel, et je ne pouvais plus concilier études et compétition. De plus, à Rouen, je ne suis pas parvenue à trouver un club acceptant de m’entraîner, tout en me permettant de rester licenciée au sein de mon club au Havre. La démarche a été difficile, j’ai donc réduit progressivement mes entraînements en passant à deux-trois fois par semaine le premier semestre, puis deux, jusqu’à tout arrêter. Pratiquer seule, sans équipe, uniquement avec un coach à distance, ce n’était pas évident, d’autant que j’ai toujours eu besoin d’être entourée. Mon coach s’en doutait, il savait que je devais être suivie, et que j’allais arrêter. Il a été déçu car, sans me l’avoir dit, il avait fondé des espoirs en moi. Ma famille n’a pas non plus été surprise : elle savait que mon avenir professionnel était ma priorité.

Avez-vous toujours souhaité devenir infirmière ?

A. B. : Dès l’âge de quatre ans, j’ai dit à mes parents que je voulais être infirmière. J’ai eu un changement de cap vers 12/13 ans avec l’envie de devenir hôtesse de l’air. Mon oncle m’a alors parlé du métier de convoyeuse de l’air, qui me permettrait de conjuguer mon envie de voler et le métier d’infirmière. J’ai donc passé les concours d’Ifsi dans l’armée, ainsi que ceux de moniteur de sport et d’aiguilleur du ciel, car l’armée exigeait d’en passer plusieurs. Comme j’ai obtenu de meilleurs résultats au concours de moniteur de sport, l’armée m’a refusé l’entrée en Ifsi. J’ai décliné la formation de moniteur de sport en raison de l’absence d’équivalence de ce diplôme dans le civil. Je ne voulais pas me trouver dans la situation de quitter un jour l’armée sans diplôme. C’est ainsi que j’ai rejoint l’Ifsi de Rouen. À l’issue de ma formation, je suis retournée au Havre, en clinique privée, afin d’exercer au sein d’un pool de remplacement. Je travaillais en 12 heures, sur des jours fixes, en fonction des absences des infirmières. Ce défiquotidien, les changements d’équipe permanents et la polyvalence m’ont vraiment attirée.

En parallèle, dans les services, j’avais à cœur d’encadrer les étudiants en stage. Cette expérience m’a donné l’envie de devenir cadre de santé et d’exercer en tant que formatrice en Ifsi. La clinique ne pouvant pas financer ma formation, j’ai rejoint le groupe hospitalier (GH) du Havre en 2014, pour exercer à l’Ifsi.

En 2021, j’ai estimé que j’avais été trop longtemps éloignée des services pour continuer à partager mon expérience. Du fait de mes appétences, j’ai pris un poste de responsable informatique pour accompagner les étudiants et les équipes dans la ludification pédagogique. Nous avons mis en place des nouveaux logiciels, modernisé l’équipement et travaillé sur un projet de simulation pour l’apprentissage des étudiants. Depuis le 1er août, je suis de nouveau à l’hôpital ; j’ai rejoint le service de néonatalogie du GH du Havre, en tant que cadre de santé.

Est-il naturel pour vous de partager vos valeurs sportives avec vos pairs et les étudiants ?

A. B. : J’ai toujours souhaité partager mes « trucs et astuces » du quotidien, mes connaissances organisationnelles et techniques, pour permettre aux étudiants en soins infirmiers d’exercer au mieux leur métier et les accompagner dans leur construction identitaire professionnelle. Mon approche et mes conseils viennent principalement de ceux que j’ai reçus pendant ma pratique sportive. Pour autant, j’ai découvert à l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) que j’étais dyslexique, ce qui ne m’avait jamais handicapée dans mes études ou au quotidien. Inconsciemment, j’avais trouvé des moyens pour pallier mes difficultés. C’est aussi très certainement de là que me vient mon envie de partager notamment ce que j’ai appris en compétition. À titre d’exemple, face à la fatigue intense des équipes avec lesquelles j’ai travaillé en orthopédie, j’ai réussi à instaurer les microsiestes, pratique très répandue dans le sport. Je suis aussi parvenue à mettre en place des mesures pour la gestion du stress. Au sein de ce service, nous ne sommes pas censés être confrontés à des situations de réanimation. Lorsque cela se produit, les équipes peuvent être stressées. Pendant ces phases de tensions, je n’hésitais pas à partager les enseignements acquis pendant ma pratique sportive, en rappelant aux soignantes qu’elles détiennent toutes les compétences et connaissances pour faire face à l’urgence. En leur injectant de la confiance, je parvenais à les apaiser. Mon coach avait la même démarche avec moi les veilles ou les matins de compétitions.

Autre exemple : en arrivant dans un service d’urologiegynécologie, j’ai constaté que les aides-soignants et les agents des services hospitaliers (ASH) travaillaient de manière isolée, ce qui allait à l’encontre de la bonne prise en charge des patients. J’ai donc demandé à ma cadre l’autorisation de travailler à la mise en place de binômes aides-soignants/infirmiers en impliquant les ASH. Lorsque je leur ai parlé de mon idée, tous l’ont acceptée, et nous avons commencé à exercer au sein du service en privilégiant la communication. L’ambiance et la pratique sont devenues plus sereines, et nous avons reçu moins de plaintes de patients. Je suis parvenue à leur montrer que, certes, nous travaillons de manière individuelle au lit du patient, mais que sans les autres, nous ne pouvons pas y arriver. Nous devons faire équipe. C’est identique dans le sport : je me suis toujours fixé des objectifs individuels en tant que nageuse, mais sans l’entraîneur, le préparateur physique et mental, ainsi que ma famille, je n’y serai pas parvenue. Je pense enfin que j’ai gagné la confiance des équipes soignantes parce que je faisais preuve d’une grande conscience professionnelle.

Une conscience née également de vos entraînements ?

A. B. : Quand on est sportif de haut niveau, on a cette envie d’y arriver. Le fait de partir aux entraînements très tôt le matin, avant d’aller à l’école, nous place certes en décalage avec les autres jeunes mais cela nous apprend la rigueur. Je ne suis pas sortie à l’âge où tous mes amis le faisaient et je n’ai pas le souvenir d’avoir fait des bêtises ! J’avais l’envie de réussir, d’atteindre des objectifs. Le sport de haut niveau nous apprend aussi la résilience par rapport à la fatigue que l’on peut accumuler, mais sans pour autant vouloir lâcher. Tout le monde ne partage pas cette envie et ce goût de l’effort, il faut l’accepter. C’est indispensable lorsqu’on travaille en équipe.

BIO EXPRESS

2000 première qualification et participation au championnat de France de natation

2004 Ifsi de Rouen

2007 clinique privée du Havre

2014 GH du Havre

2019 IFCS de Rouen

2020 cadre de santé formatrice à l’Ifsi du Havre

2024 cadre de santé, service de néonatalogie du GH du Havre