L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

EXERCICE LIBÉRAL

ORGANISATION

Laure Martin  

Démarchages, requêtes insistantes, parfois même arnaques : les infirmières libérales en sont régulièrement la cible et se doivent d’être vigilantes car, face à des sollicitations peu scrupuleuses, les procédures pour obtenir gain de cause sont souvent longues.

L’exercice libéral a pour corollaire un accès facilité de tout un chacun au numéro de téléphone des professionnels de santé. Conséquence : les infirmières libérales (Idel) sont fréquemment les victimes d’entreprises ou de personnes mal intentionnées. Le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) met en garde, par exemple, contre des escrocs se faisant passer pour des agents des Caisses primaires de l’Assurance maladie (CPAM), de la Carpimko, de l’Urssaf ou encore des centres des impôts, pour récupérer des données personnelles sous prétexte d’un contrôle d’activité. Sans surprise, il est impératif de ne jamais les transmettre et, au moindre doute, de se rapprocher de l’organisme en question ou de son expert-comptable afin de vérifier la véracité de la demande.

LES « FAUX » CHANGEMENTS DE LÉGISLATION

Autre arnaque que les Idel subissent de plein fouet : des appels de sociétés leur faisant croire qu’en raison de l’évolution de la réglementation, elles doivent répondre à de nouvelles obligations au risque d’un potentiel déconventionnement avec l’Assurance maladie si elles ne les respectent pas. « Entre la contrainte des contrôles de l’Assurance maladie, les réelles obligations auxquelles elles sont soumises et le manque d’informations, dès lors qu’elles sont mises sous pression, les Idel ne prennent pas le temps de se renseigner et signent », regrette John Pinte, président du Sniil. Parmi les thématiques les plus régulièrement évoquées : le référencement sur Internet alors que ce dernier est interdit pour les Idel dès lors qu’il est payant, ou encore l’obligation d’acheter un défibrillateur. D’ailleurs, dans le droit de la consommation, le signataire doit toujours s’assurer d’avoir bien reçu le formulaire ouvrant droit à un délai de rétractation de 14 jours. Si ce n’est pas le cas, le délai continue de courir, un net avantage pour le consommateur.

Dans le même esprit, de nombreuses Idel ont été démarchées, lors de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD), par des entreprises leur proposant les services d’un délégué à la protection des données (DPO) ou pour les déclarations à effectuer concernant les normes d’accessibilité des établissements recevant du public (ERP).

ATTENTION À CERTAINS ORGANISMES DE FORMATION !

Comme l’ensemble de la population, les Idel sont en permanence démarchées par les organismes de formation. « Certains se font passer pour un organisme gestionnaire du compte professionnel de formation (CPF), et cherchent à convaincre les infirmières de la nécessité d’utiliser leur fonds de formation au risque de le perdre », prévient John Pinte. « J’ai contacté un organisme, car j’étais intéressée par l’une de leurs formations, raconte Véronique Desportes, Idel à Bordeaux. Après m’être renseignée, j’ai constitué mon dossier sur leur site Internet. » L’organisme lui demande alors d’envoyer un chèque. « Je pensais qu’il s’agissait d’une caution, pour réserver ma place à la formation, mais ils l’ont encaissé », ajoute-t-elle. Or, dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), les Idel n’ont pas à avancer les frais de formation, comme le précise l’Agence nationale du DPC (ANDPC). « Je leur ai demandé un remboursement, ce qu’ils n’ont jamais accepté, poursuit-elle. Il est vrai que la procédure était détaillée sur leur site et j’aurais dû lire ces informations plus consciencieusement, même si je trouve que leur explication manque de lisibilité. »

Catherine Brunelière, Idel à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), a, de son côté, vu son compte DPC bloqué par l’Agence nationale du DPC (ANDPC), car certains organismes de formation se sont servis de son adresse électronique et de son numéro de téléphone pour se rendre sur son compte et essayer d’ajouter leurs formations dans son espace alors même qu’elle les avait refusées. « L’ANDPC m’a informée que je risquais d’être accusée de complicité si j’acceptais l’intervention d’un organisme sur mon compte, souligne-t-elle. J’ai bien entendu répondu que je n’avais jamais donné mon accord ! »

LE DÉFAUT DE CONSEIL EN ASSURANCE

Dans le domaine assurantiel, Convergence Infirmière a fait connaître, au printemps 2024, une arnaque au contrat d’assurance de la part de courtiers situés en région parisienne. « Ils contactent des Idel en les informant qu’elles ont souscrit un contrat auprès d’un cabinet, dont la liquidation judiciaire a été prononcée en 2023 et sur lequel se trouveraient des fonds leur appartenant », raconte Jean-François Deloustale, directeur du syndicat. Sous prétexte de recevoir le solde du contrat, leurs données personnelles sont sollicitées ainsi que leur mail. Un lien de validation est envoyé, « mais il s’agit en réalité de l’adhésion à un nouveau contrat », prévient-il. Dans le domaine assurantiel, « les abus existent également sur les frais demandés sur le versement, qui peuvent être très élevés, par exemple à 5 % au lieu de 1 à 1,5 % généralement », indique Thibault Guérizec, courtier en assurance et solutions d’épargne auprès des Idel. Il invite aussi à se méfier des courtiers qui ajoutent de nombreuses options à un contrat, alors même que l’Idel n’en a pas nécessairement besoin. « Ce n’est pas une arnaque mais un défaut de conseil », prévient-il. Même constat lorsque le courtier conseille d’assurer le chiffre d’affaires du cabinet - plus élevé -, et non le bénéfice. Pour éviter de subir toute pratique commerciale trompeuse, il conseille de ne jamais répondre au démarchage, souvent effectué par des courtiers débutants ou par ceux ne parvenant pas à se faire recommander. Il est préférable de demander conseil à la communauté infirmière. Si malgré tout, le commercial est parvenu à obtenir un rendez-vous avec l’Idel, il ne faut en aucun cas signer de contrat au premier rendez-vous, encore moins sur une tablette. Il faut prendre le temps de vérifier les termes de ce contrat et le comparer à une deuxième offre. Les Idel peuvent aussi le faire valider par leur expert-comptable.

LES RECOURS POSSIBLES

Dans le domaine de la consommation, Maître Thony Thibaut, avocat au barreau d’Avignon, conseille de faire particulièrement attention aux contrats tripartites, conclus entre l’infirmier, un prestataire de services et une société de financement, comme pour les défibrillateurs. Dans ces cas-là, l’Idel doit signer deux contrats : l’un avec le prestataire qui met le défibrillateur à disposition et assure son entretien, et l’autre avec l’organisme financeur. Cependant, si le prestataire fait faillite, l’Idel reste engagée vis-à-vis de la société de financement et doit continuer de payer. « Il est difficile de dénoncer une arnaque car dans bien des cas, le défibrillateur a effectivement été livré, fait savoir Maître Thibault. En revanche, nous pouvons souligner le déséquilibre entre la somme demandée et la valeur réelle de l’appareil. »

Dans le cadre d’une procédure civile, seule une indemnisation peut être demandée, pour la réparation du préjudice subi en cas de dol, de manœuvres en vue de tromper ou encore de vice de consentement libre et éclairé. En cas d’escroquerie, définie comme le fait pour une personne d’agir en employant des manœuvres en vue de tromper une autre dans le but d’obtenir un gain financier, il est possible d’agir sur le plan pénal. « Lors d’un dépôt de plainte, si les faits sont avérés, la personne peut être condamnée à une peine pénale ainsi qu’au paiement d’une amende pour la réparation du préjudice subi par les victimes », indique Maître Thibault.

Les Idel doivent toujours se méfier en l’absence d’éléments écrits. Les démarcheurs usent beaucoup de l’oral pour convaincre. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à se renseigner auprès de son réseau : expert-comptable, avocat, courtier, Ordre infirmier ou encore collègues.

TÉMOIGNAGE

‘Il faut toujours être méfiant’

Catherine Brunelière, Idel à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône)

« En 2020, j’ai été contactée par téléphone par une entreprise qui m’a proposé un défibrillateur semi-automatique.

J’ai immédiatement été intéressée, consciente de pouvoir sauver des vies grâce à cet équipement. J’ai accepté la visite à domicile d’une représentante, qui m’a expliqué que le contrat prévoyait un entretien régulier de l’appareil et une mise en relation avec le Samu. J’ai rapidement accepté le contrat, mais aussi vite déchanté, car depuis la signature, l’entretien prévu n’a jamais été effectué. Je ne sais même pas s’il fonctionne encore, et je n’ai jamais été mise en relation avec le Samu. De plus, l’organisme prélevant mes mensualités a changé, sans qu’on me demande mon accord pour le prélèvement automatique, et le montant a augmenté. Dans un premier temps, j’ai fait opposition et je les ai informés que je ne voulais plus le défibrillateur. Mais ils ont commencé à me harceler. J’ai finalement accepté le prélèvement mensuel. Lorsque je vois le prix que cela va me coûter sur cinq ans (entre 6 000 et 7 000 euros), j’aurais mieux fait d’en acheter un par moi-même à 3 000/4 000 euros. Mais à l’époque, je ne pouvais pas sortir cette somme en une seule fois. Il faut toujours être méfiant. »

TÉMOIGNAGE

‘Prendre conseil auprès de professionnels recommandés est impératif’

Sandra Bouzidi, Idel à Arcueil (Val-de-Marne)

« J’ai débuté l’exercice libéral en 2019. J’ai suivi une journée de formation sur l’installation, mais le sujet des courtiers en assurance n’a pas été abordé. En commençant comme remplaçante, j’ai d’abord souscrit à un contrat pour une prévoyance, avant de m’intéresser à la retraite. Lorsque je suis devenue titulaire, j’ai contacté mon courtier pour lui demander de changer les garanties de mon contrat de prévoyance. Il y a quelques mois, en me connectant à la plateforme de mon assurance, je me suis rendu compte qu’au lieu de demander un avenant à mon contrat, le courtier l’avait résilié et n’en avait pas souscrit de nouveau. Je n’étais donc plus couverte depuis huit mois. Le démarchage téléphonique m’a porté préjudice. Comme je n’avais aucune notion dans ce domaine, je me suis laissé embobiner par le discours du courtier. Il m’a aussi fait perdre beaucoup d’argent avec mon Plan épargne retraite (PER). J’ai trouvé un nouveau courtier par le bouche-à-oreille et j’en suis très satisfaite. Il est indispensable de prendre conseil auprès de professionnels qui nous sont recommandés. »