LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL DES SOIGNANTS, PILIER DU SYSTÈME DE SOINS
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COLLOQUE NATIONAL
Le 10e colloque national(1) de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS), qui s’est tenu le 29 août à Reims, avait pour thème « Une seule santé pour tous ». Il a permis de rappeler la nécessité de prendre en compte la qualité de vie au travail (QVCT) et la santé des soignants.
Un soignant qui va bien c’est un patient qui va mieux », rappelle Catherine Cornibert, directrice générale de l’association Soins aux professionnels de santé (SPS) et docteure en pharmacie. Si protéger la santé des soignants s’apparente à une mission de service public, l’état des lieux est sombre. Les résultats de la consultation nationale(2) menée du 31 mars au 25 avril 2023 ont montré que 64 % des professionnels de santé se sentent fatigués et 77 % estiment qu’ils ne dorment pas suffisamment. Lorsqu’on leur propose d’attribuer une note à leur niveau de stress, 55 % des soignants déclarent avoir connu un ou plusieurs épisodes d’épuisement professionnel, une proportion qui atteint 61 % chez les infirmiers et aides-soignants. Par ailleurs, 60 % affirment souffrir de douleurs chroniques, un chiffre qui monte à 62 % chez les femmes alors qu’il est de 30 % dans la population générale. Les trois éléments majeurs mis en cause sont l’organisation du travail, le temps personnel et la revalorisation de la profession. « Une bonne qualité de vie au travail, c’est une bonne santé physique et psychique des personnes soignantes, souligne Alice Alvarez, présidente de l’association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel hospitalier (ANMTEPH) et médecin du travail au centre hospitalier de Montauban. Or, dans mon activité, je constate de nombreux confl its dans les équipes, une dégradation de la qualité de vie au travail, des troubles de la santé physique et psychique des agents, et une hausse des arrêts maladie et des demandes de disponibilité. Il est nécessaire de mettre en place des démarches participatives sur la QVCT avec les médicaux et les paramédicaux, et d’embarquer toutes les équipes. Tout cela doit être porté par une volonté institutionnelle. » Une équation complexe à réaliser mais qui reste possible. En 2020, l’AP-HP a mis en place un projet d’espace de dialogue sur le travail (EDT). « Ces EDT sont des temps d’échanges sur le travail, la vie d’équipe et la coordination, ils permettent de trouver des solutions pour la qualité des soins, explique Pierrelle Boursaly, adjointe de la directrice santé qualité de vie et des conditions de travail à l’AP-HP. Il ne s’agit pas de réunions de service ; il n’y a pas d’ordre du jour, ni de groupes de parole car ce sont les équipes pluriprofessionnelles qui prennent des décisions. Elles sont là pour trouver ensemble des solutions et traiter des sujets collectifs. » Réguliers et participatifs, ces EDT peuvent se dérouler à chaud pour les petits sujets du quotidien (une fois par semaine pour une durée de 15 à 30 minutes) ou à froid pour les sujets plus structurants (une fois par mois pour une durée d’une heure). L’animation se fait en binôme avec les différents métiers présents, médicaux et paramédicaux, sans organisation descendante. « La démarche est portée par la direction et le service communication de l’AP-HP, précise Marie Audubert Queneau, directrice d’hôpital et directrice du département santé, qualité de vie et conditions de travail de l’AP-HP. À ce jour, nous avons formé 70 services avec un objectif de 100 d’ici fin 2024. À terme, nous souhaitons pérenniser cela au sein des 800 services. C’est un travail de longue haleine. » En ville, ces questions de QVCT se posent également. « À ce jour, le sujet qui revient le plus souvent concerne les conditions dans lesquelles pouvoir travailler, et nous devons absolument développer la prévention des soignants libéraux », estime David Guillet, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (FNCPTS) et infirmier libéral depuis dix-huit ans. Lui qui confie par ailleurs n’avoir vu qu’une seule fois un médecin du travail durant son parcours professionnel !
« Quand on parle de bien-être mental et de bien-être physique, les choses sont assez explicites, alors que la notion de bien-être social, de santé sociale est quelque chose de plus complexe, souligne Christine Chalut-Natal Morin, secrétaire générale adjointe de SPS. Cela fait référence à l’état des relations avec ses collègues et ses managers, à la relation aux autres et aux patients, et au sentiment d’appartenance à une entreprise. » Et dans le secteur de la santé, si ce bien-être social est malmené, il a un impact sur le soignant ou le « soignant en devenir », et donc sur le soin qui sera dispensé. Comme le mentionne Blandine Humbert, directrice de l’école de santé de l’Institut catholique de Paris et docteure en philosophie : « On ne peut pas soigner si on n’a pas la juste proximité avec le patient et non la juste distance, car c’est parce que l’on est proche de soi-même, que l’on se sait vulnérable, que l’on peut partir à la rencontre de l’autre qui est fragile. » Mieux connaître tous ces mécanismes et les Humanités au sens large permet de mieux soigner. C’est l’objectif du diplôme universitaire (DU) « Résilience et situation de soin complexe » mis en place depuis septembre par l’ICP pour les professionnels de santé hospitaliers et libéraux. Son objectif : interroger le sens d’un geste de soin, connaître la responsabilité soignante engagée, apprendre les différents mécanismes psychologiques, reconnaître la souffrance au travail et savoir s’en prémunir.
« L’accueil en stage est primordial, le premier stage est déterminant voire vital, ainsi que la relation avec les pairs », estime Jean-Michel Baillard, responsable de la direction de l’offre sanitaire, département des politiques de ressources humaines en santé à l’Agence régionale de santé (ARS) Grand Est. Travailler dans un environnement sain, serein et bienveillant nécessite des espaces de dialogue. Sylvaine Mazière-Tauran, infirmière et ex-directrice des soins, désormais présidente du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI) estime que « le travail infirmier à l’hôpital avec les roulements, le travail de jour, de nuit, les jours fériés et les week-ends, a des conséquences quasi automatiques sur l’intégration des infirmiers et des infirmières dans leur vie sociale de quartier. Ils peuvent se projeter au maximum à 15 jours, et d’un autre côté, avec le travail en 12 heures, il est difficile de créer un lien d’équipe à l’hôpital. Quant aux étudiants, ils peuvent parfois arriver à 20 au même moment dans un service, ce qui nécessiterait une personne à temps plein pour assurer leur bonne intégration, or l’hôpital n’a plus assez de ressources pour le faire. Encadrer nécessite des compétences, et pour cela il faut se former. » Au cours du mois de septembre, le CNOI va lancer une enquête auprès des IDE afin de mieux connaître leur ressenti dans leur travail ainsi que durant leur formation dans le but de proposer la mise en place d’actions concrètes.
1. Les replays du colloque SPS du 29 août sont disponibles sur : https://tinyurl.com/7u8hfhrj.