L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

DOSSIER

MSA : RÔLE DES IDEST

215 infirmières de santé au travail (IDEST) exercent au sein des 35 caisses locales de la MSA, au côté de 224 médecins du travail. Leur mission : assurer la santé et la sécurité au travail des salariés du secteur agricole. Un travail varié, diversifié, au plus près du terrain.

Tiphaine Mennier, IDEST à la MSA Côtes Normandes, Pauline Portal, IDEST à la MSA des Charentes, Véronique Maillard, IDEST à la MSA Provence-Azur et Cécile Russeil, IDEST à la MSA Berry-Touraine, ont débuté leur activité professionnelle dans le secteur hospitalier, et effectué, pour certaines, un détour par le monde libéral, avant d’intégrer la MSA, attirées par l’envie de concentrer leur pratique sur la prévention au sein d’une structure détenant des filières d’exercice diversifiées.

La priorisation de l’organisation

Au sein de la MSA, les IDEST ont trois missions : l’organisation des visites d’information et de prévention (VIP), à savoir des visites institutionnelles dont doivent bénéficier les travailleurs selon un cycle périodique défini, des actions en milieu du travail (AMT) et des activités de gestion administrative. La priorisation des missions, qui varient d’une caisse à l’autre, repose, dans leurs grandes orientations, sur le plan santé-sécurité au travail 2021-2025 et, à l’échelon local, sur le plan d’activité élaboré par le médecin chef. Si chaque caisse locale est indépendante, avec sa propre organisation, les pratiques sont harmonisées à l’échelle nationale. « Nous avons la même ligne de conduite que les services de santé-sécurité au travail “généralistes”, à savoir évaluer, entre autres, si la santé du salarié est compatible avec son activité professionnelle », résume Véronique Maillard. Les infirmières interviennent sur délégation, tel que prévu dans le Code rural et de la pêche maritime car toutes leurs actions relèvent de la responsabilité médicale. Elles signent un protocole avec leur médecin, qui détermine leur champ d’intervention au regard des compétences acquises ou en cours d’acquisition. « Il peut par exemple poser des limites lorsqu’une IDEST n’a pas encore suivi certaines formations », précise Princesse Granvorka Puisard, infirmière conseillère technique nationale (ICTN) à la CCMSA. Pour autant, dans l’exercice de l’ensemble de leurs actions, elles mettent en œuvre leurs compétences propres. Sur la semaine, elles consacrent généralement une journée à la gestion administrative, trois autres aux VIP et une dernière aux AMT. « Nous avons besoin de détenir une visibilité à deux mois, notamment pour les convocations aux visites médicales car d’autres personnes sont impliquées, tels les exploitants, précise Véronique Maillard. Ils doivent pouvoir s’organiser tout comme nos assistantes administratives, qui convoquent les salariés. » Pour mettre en œuvre leurs différentes interventions, les IDEST décident de leur propre organisation. « Nous agissons en fonction de l’urgence de la demande, souligne Tiphaine Mennier. Nous avons des temps de préparation qui nous sont propres, puis d’autres qui dépendent des employeurs. » « J’apprécie l’autonomie dont nous disposons sur le terrain, ajoute Pauline Portal. Même si nous sommes sous délégation, nous travaillons en toute confiance avec le médecin. »

Missions VIP

Les VIP consistent, comme dans le régime général, à recevoir les salariés des entreprises du secteur agricole afin d’effectuer le point sur le déroulement de leur travail. Le rendez-vous a prioritairement lieu dans les locaux de la caisse locale de la MSA. Mais « les infirmières peuvent se déplacer au sein des entreprises, indique Princesse Granvorka Puisard. Elles doivent s’organiser afin d’y être attendues et s’y rendre avec du matériel portatif. » Ce fonctionnement est privilégié pour les entreprises isolées ou les saisonniers qui, après 45 jours de travail sur un même site, bénéficient d’une visite de santé. Il peut arriver que les IDEST aient recours à la télésanté. « Après avoir suivi le salarié en présentiel, l’IDEST peut fixer un rendez-vous de plus en télésanté, rapporte Princesse Granvorka Puisard. Nous réfléchissons d’ailleurs au choix d’un logiciel commun à proposer aux caisses locales. »

La VIP est l’occasion d’interroger le salarié sur son état de santé, l’informer sur les risques éventuels liés à son poste, le sensibiliser sur les moyens de prévention, identifier si son état général ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail, de l’informer sur les modalités selon lesquelles sera assuré son suivi et sur la possibilité de bénéficier d’une visite, à sa demande, avec le médecin du travail. « Je réalise une douzaine de VIP par jour, confie Pauline Portal. Notre rôle est de nous assurer que le salarié ait la capacité de travailler sur son poste. Nous effectuons des focus sur les TMS, sur des thématiques propres à nos filières, comme le risque solaire ou chimique pour les cultures et les vignes. » Les spécificités de chaque filière « s’acquièrent facilement car nous voyons régulièrement des salariés exerçant sur les mêmes postes », précise-t-elle. Les IDEST ont accès à un grand nombre de documentations fournies par la CCMSA et travaillent en équipe, avec les conseillers en prévention notamment. Si certains salariés n’adhèrent pas aux VIP et viennent à leur rendez-vous uniquement parce qu’il s’agit d’une obligation légale pour leur employeur, d’autres en revanche montrent une réelle satisfaction de disposer d’un temps avec les IDEST. D’ailleurs, certains de ceux qui ne sont pas suivis par un médecin traitant en profitent pour faire un point sur une problématique de santé. « J’ai déjà reçu un salarié qui faisait de l’hypertension, témoigne Pauline Portal. J’ai dû appeler le Samu pour une intervention sur site. Parfois, nous pallions la désertification médicale même si ce n’est pas notre rôle. » Si les IDEST constatent d’autres soucis de santé sans lien direct avec le travail du salarié, elles se doivent de l’orienter vers son médecin traitant.

Les actions en milieu du travail

Parallèlement aux VIP, les IDEST consacrent certaines de leur journée aux AMT. « Il y a dix ans, j’en faisais un peu moins, se souvient Tiphaine Mennier. Désormais, elles sont davantage déléguées aux infirmières en raison de notre montée en compétences. » Les principales actions reposent sur les études de poste. « Nous les organisons lorsque nous observons des problématiques de santé chez un salarié », souligne Pauline Portal. « Si, lors d’une VIP, je constate une mauvaise posture, je peux signifier au médecin mon souhait de me rendre sur site, complète Véronique Maillard. J’organise mon intervention avec l’employeur, ce qui participe au maintien de la confiance. » Cette AMT est également mise en place lorsqu’un aménagement de poste, un reclassement ou une déclaration d’inaptitude sont envisagés. Dans tous les cas, la décision relève du médecin du travail, les IDEST étant uniquement chargées d’effectuer un état des lieux de la situation sur site.

L’IDEST peut collaborer avec le conseiller en prévention, qui lui apporte des informations sur le découpage des tâches du salarié par exemple, afin qu’elle puisse suggérer les changements dans l’organisation du poste. Pour ce type d’AMT, l’entreprise doit mettre à disposition du binôme médecin/infirmier, et du conseiller en prévention, le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), qui permet d’identifier les risques associés aux activités et les moyens de prévention mis en place ou envisagés. Sur la base de ce DUERP, les IDEST peuvent contribuer à la rédaction de la fiche entreprise, un document obligatoire dans le secteur agricole pour les entreprises de plus de dix salariés. « Nous devons les produire pour toutes les entreprises adhérentes », fait savoir Pauline Portal. Cette fiche, renouvelée tous les quatre ans, est une photo de l’entreprise à l’instant T concernant les sujets de santé et sécurité au travail : présence d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), équipements de protection individuelle, document unique, risques professionnels. Pour la rédiger, les IDEST rencontrent les employeurs et visitent l’entreprise. De manière générale, « nous rendre sur le terrain donne aussi du sens à notre travail, une crédibilité à nos conseils et à notre rôle, notamment parce que nous pouvons acquérir le vocabulaire technique montrant que nous maîtrisons le secteur dans lequel nous travaillons », souligne Cécile Russeil.

Prévention et sensibilisation

Les AMT incluent également des actions de prévention et de sensibilisation dans les entreprises, organisées à l’initiative de la caisse locale ou sur demande de l’entreprise. Elles portent sur des thématiques variées, comme la nutrition, les addictions, le sommeil, l’activité physique, le travail sur écran. « J’ai ainsi répondu, avec une collègue conseillère en prévention, à une demande d’aménagement d’un four en boulangerie », indique Tiphaine Mennier. Lors de cette intervention, l’IDEST a partagé des informations sur les gestes et postures, afin de nourrir la montée en compétences des salariés sur les TMS et l’hygiène de vie. Elle a par ailleurs été sollicitée, à la demande d’une entreprise, pour une action sur la nutrition et l’alimentation, pour l’ensemble des salariés. « Puis ils nous ont demandé de leur apprendre à cuisiner », témoigne-t-elle. Elle a alors monté un projet, en lien avec la conseillère en prévention et une diététicienne, dont la finalité était aussi d’agir sur la réduction des accidents du travail, « car si les salariés adaptent leur alimentation à leur activité, ils seront plus opérationnels », selon Tiphaine Mennier. Cet atelier a été financé par le contrat prévention, via lequel l’entreprise s’engage à investir pour réduire les risques d’accidents du travail.

De son côté, Pauline Portal, qui est toujours intervenue en binôme avec le conseiller en prévention, a mené une action au sein d’une entreprise de maraîchage, « qui nous a demandé d’intervenir sur la question des TMS auprès d’un public issu de l’insertion. Nous avons travaillé sur cette thématique pour une bonne compréhension et une accessibilité des informations ». Lors d’une prochaine journée organisée par les conseillers en prévention sur les moissons (risques incendies, routiers), elle tiendra un stand afin d’échanger sur le risque solaire, la fatigue, l’hygiène de vie. « Nous abordons également des thématiques de santé publique, même si ce n’est pas notre cœur de métier », ajoute-t-elle.

Cécile Russeil a, quant à elle, mené sa première action de sensibilisation avec un conseiller en prévention dans une entreprise de maraîchage sur le risque chimique et plus particulièrement sur les effets des produits phytosanitaires sur la santé des travailleurs. « Nous avons réuni tous les utilisateurs au sein de l’entreprise afin d’aborder avec eux les modes de contamination (respiratoire, cutanée), ainsi que les effets immédiats et à long terme, explique-t-elle. Nous en avons profité pour leur présenter "Phyt’attitud", notre réseau de toxicovigilance. » Et de poursuivre : « Grâce à cette intervention, j’ai pu explorer une facette du métier qui consiste à s’exprimer devant un public et apporter des connaissances sur la santé. »

L’extension des compétences

Les IDEST réalisent l’ensemble de leurs interventions en toute autonomie mais sous l’autorité fonctionnelle du médecin, avec qui elles collaborent sous délégation. « Lors de la prise du poste, nous rencontrons le médecin et décidons ensemble lequel de nous va accomplir quelles actions et dans quel périmètre, détaille Pauline Portal. La répartition est écrite sur le protocole mais rien ne nous est imposé : tout est discuté. » Des temps de débriefing, dont la régularité est fixée par le binôme, permettent de faire le point « sur les dossiers qui nous ont interpellés ou sur les projets d’actions en entreprise », indique-t-elle. Si l’IDEST constate qu’un salarié rencontre un problème de santé ou d’incompatibilité, elle en informe le médecin. Pauline Portal a par exemple reçu, en VIP, un cariste qui souffrait d’un problème d’alcool, qui dormait dans sa voiture et se nourrissait peu. « Au-delà du risque encouru pour lui-même, il avait besoin d’aide, se souvient-elle. J’ai donc sollicité le médecin du travail et déclenché le service social. C’est l’avantage de notre guichet unique. »

Depuis la loi du 2 août 2021 qui vise à renforcer la prévention en santé au travail, les compétences des IDEST ont évolué, avec la mise en place de cinq délégations de missions pour les visites de préreprises, les visites de reprise (notamment à la suite d’un congé maternité), les visites à la demande (décidées avec le médecin du travail en fonction de la demande), les bilans d’exposition professionnelle à partir de 50 ans, et enfin, les visites de mi-carrière en lien avec le maintien dans l’emploi et la prévention de la désinsertion professionnelle. « Nous rencontrons des difficultés en raison de la raréfaction des médecins, alors que nous avons un service à rendre aux adhérents, rappelle Princesse Granvorka Puisard. Certaines caisses locales restent bien dotées en praticiens et n’accusent donc pas nécessairement de retard dans les visites obligatoires des salariés, qui restent la priorité. Mais ce n’est pas le cas de toutes. » La possibilité, pour les IDEST, de se saisir de ces nouvelles compétences dépend à la fois de leur formation et de la volonté du médecin de santé au travail de les déléguer. La délégation de mission pourrait également concerner le suivi individuel renforcé (SIR) avec certains actes de l’examen médical d’aptitude périodique (EMA) délégués à l’IDEST, préalablement à la délivrance de l’avis d’aptitude par le praticien. « Cette évolution des compétences est très intéressante et permet d’éviter la routine, soutient Pauline Portal. Notre exercice est vraiment riche. » « Actuellement, je dispose d’une délégation de compétences pour les visites à la demande, les visites de reprise à la suite d’un congé maternité ou d’un arrêt maladie, et les visites de préreprise, rapporte Véronique Maillard. Mais si des aménagements de poste sont nécessaires, il appartient au médecin de les prescrire. »

Afin de favoriser cette évolution des compétences, la CCMSA a proposé trois jours de formation aux IDEST déjà en poste. Pour les futures infirmières de la MSA, ces compétences sont à présent intégrées au diplôme universitaire de santé au travail (DUST) proposé par l’Institut national de médecine agricole (INMA).