L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

ACTUALITÉS

CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE INFIRMIER

Pauline Machard  

La Chambre disciplinaire nationale a rejeté la demande d’un praticien qui souhaitait que la décision de sa radiation pour manquements déontologiques soit annulée. Elle a opté pour une réformation partielle.

Rappel des faits

Le 19 juillet 2024(1), la Chambre disciplinaire nationale (CDPN) s’est prononcée sur un cas de relation extraprofessionnelle entre Mme K, patiente majeure sous tutelle, invalide, souffrant d’une addiction à l’alcool, nécessitant un traitement lourd, et M. M, infirmier libéral, parfois collaborateur au cabinet de sa femme. C’est dans ce cadre qu’à partir de juin 2018, il l’a régulièrement prise en charge pour surveiller, trois fois par jour, sa prise de médicaments. Jusqu’à ce que, le 19 mai 2019, la famille fasse cesser ses interventions, après la découverte d’échanges de sms - dont certains à connotation sexualisée - sur le téléphone de Mme K.

Le 7 juin 2019, celle-ci dépose plainte contre M. M. au commissariat pour agressions sexuelles (baisers, attouchements), viol (pénétration digitale) entre mars et mai 2019 ; puis le 25 mars 2020, au conseil interdépartemental de l’Ordre des infirmiers de Loire-Atlantique et Vendée, pour manquements déontologiques. Le 4 avril 2022, la Chambre disciplinaire de première instance (CDPI) de l’Ordre des infirmiers des Pays de la Loire prononce la radiation de M. M. Le 11 mai 2022, l’infirmier demande l’annulation de cette décision.

De l’indépendance du disciplinaire

Point par point, la CDPN a répondu à la requête d’appel, s’appuyant sur les pièces du dossier, l’instruction. À l’audience publique du 8 juillet dernier, présidée par le conseiller d’État Christophe Eoche-Duval, étaient présents : M. M et un de ses conseils, Me D’Huart ; Mme V, pour le CIDOI 44-85, associé à la plainte. Mme X, qui avait repris l’instance après le décès de sa sœur des suites d’une cirrhose le 14 mai 2023, était absente et non représentée.

Les conseils de M. M. critiquaient « l’insuffisance de la motivation » de la décision des premiers juges, concernant la violation des principes déontologiques (art. R. 4312-3 et suivants du code de la santé publique-CSP). Or, selon la Chambre nationale, « un tel moyen, qui manque en fait, ne saurait prospérer », ce qui signifie que, du point de vue de la CDPI, la défense manque d’arguments pour obtenir la levée de la sanction. Ces mêmes conseils pointaient également le fait que la CDPI n’ait pas attendu que le juge pénal se prononce pour statuer. Mais pour la Chambre nationale encore, celle-ci n’est pas tenue de faire droit aux conclusions du juge pénal. Il a été rappelé que l’appréciation des juges disciplinaires est indépendante de celle des juridictions judiciaires. La CDPI peut en effet rendre des décisions contraires à celles du Parquet.

Des manquements examinés

La défense de M. M. reprochait à la CDPI d’avoir retenu comme « établis et fondés » les griefs qui lui sont reprochés. Des faits « innommables », a qualifié Me D’Huart, qui ne représentent « nullement la réalité ». Le viol, d’abord, qui aurait eu lieu le 19 mai 2019. Non seulement M. M. a toujours contesté une telle agression, mais ses conseils estiment de surcroît que Mme K. a menti. Pour preuve, une capture d’écran de sms prouvant qu’elle n’était pas à son domicile ce jour-là, mais chez son compagnon. Par ailleurs, les conseils de M. M mettent en avant la versatilité de Mme K, elle qui, peu après avoir porté plainte à la gendarmerie, a voulu retirer sa plainte avant de reprendre attache avec M. M. Autre élément probant selon eux : le Parquet n’a pas poursuivi M. M. pour ce fait. Une absence de poursuite qui n’impressionne pas la Chambre disciplinaire nationale. Néanmoins, cette dernière écarte l’accusation de « viol » car, Mme K étant décédée, son témoignage est « rendu à jamais impossible », et cela fragilise, « au bénéfice du doute », les faits graves imputés à M.

Les attouchements ensuite, avec ce que cela entraîne comme conséquences d’atteinte à la dignité, de déconsidération de la profession (art 4312-3 et suivants du CSP). M. M, lui, parle « d’échanges intellectuels », d’un lien platonique. Il conteste les caresses… mais reconnaît des baisers, qui se sont inscrits dans le cadre d’une « relation amoureuse ». Un fait qu’il sait répréhensible, car comme le rappelle la Chambre disciplinaire nationale, « aucune relation amoureuse, a fortiori à connotation sexuelle, ne peut être entretenue pendant l’accomplissement du contrat de soins infirmiers ». D’autant qu’il n’y a pas mis fin au plus vite, alors qu’il pouvait demander à un confrère de le relever. Le praticien insiste toutefois sur le caractère selon lui réciproque et consenti de la relation, critères dont l’absence est aggravante. Le consentement est attesté, pour lui, par des échanges de sms montrant que Mme K ne repousse pas ses « avances amoureuses ». Une thèse balayée par la partie adverse, Mme V jugeant que « l’état de santé particulièrement vulnérable de M me K par rapport aux traitements substitutifs que lui a apportés M. M. rend impossible un consentement réel ». Même quand elle est sobre.

Alors que la Chambre disciplinaire nationale souligne que, pour elle, les mises en cause sont sérieusement étayées, la défense de M. M. s’appuie sur la relaxe des faits d’agressions sexuelles par décision du juge pénal du 7 février 2023. Elle a allégué, à ce titre, que ces constatations du juge pénal sont « revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée » - le Parquet n’ayant pas fait appel - et qu’elles « conduiraient, nécessairement, à réformer l’appréciation des premiers juges ». Une thèse contredite par la Chambre disciplinaire nationale, qui explique que cela « ne s’impose au juge déontologique qu’au regard des constatations opérées par lui quant à la matérialité des faits imputés ou la culpabilité d’un prévenu ». Or, ce n’est pas le cas ici, car la relaxe a été prononcée « du fait que les éléments de l’infraction sexuelle [ne sont] pas caractérisés », le tribunal n’ayant pu exclure « une adhérence » de Mme K « aux avances de l’infirmier. Ce qui a conduit à écarter l’agression commise “avec violence, menace ou surprise” ». Il revient donc au juge disciplinaire « d’apprécier souverainement […] si les faits reprochés sont crédibles, établis et caractérisent un comportement conforme ou non conforme aux devoirs déontologiques ».

Une sanction minorée

La Chambre disciplinaire nationale a également examiné la sanction de la radiation prononcée par la CDPI - la plus grave prévue à l’art. 4124-6 du CSP(2). Une sanction à la sévérité « justifiée » pour la défense de Mme K. Mais « disproportionnée », « violente » pour celle de M. M. - qui dit vivre depuis cinq ans avec cette « épée de Damoclès ». Son conseil fait état, à l’audience, de jurisprudences plus clémentes pour des « situations bien plus graves qu’une relation amoureuse infirmier/patiente ». Pour l’instance, si M. M. a fait valoir notamment « la sincérité de sa relation à l’époque, son caractère isolé, les conséquences psychologiques d’une radiation », s’il a exprimé des « regrets », les faits restent « sérieux et graves ». Toutefois, le viol ayant été écarté, elle ramène la sanction à une « interdiction d’exercer pendant une durée de trois ans ferme », du 1er janvier 2025 au 31 décembre 2027 donc.

Elle enjoint par ailleurs M. M, en s’appuyant sur les articles L. 4124-6-1(3) et R. 4126-30 du CSP(4), à suivre deux formations - « Éthique et décisions dans les soins » et « Rôle infirmier auprès de patients présentant des pratiques addictives » -, car, au regard des faits qui lui sont reprochés, ses explications « indiquent qu’il ne possède pas toutes les connaissances du comportement éthique approprié » à adopter avec des patients « souffrant de troubles addictifs ou psychiatriques ». Elle décide enfin qu’il « n’y a pas lieu » […] de faire droit aux prétentions de M. M, au titre « de l’article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991(5) », loi relative à l’aide juridique mais condamne M. M. à « payer, au titre de l’appel, à Mme X, au nom de Mme K, la somme de 2 500 euros ».

Sources 1.

2.

3.

4. https://tinyurl.com/mvr27efe

5. https://tinyurl.com/54jbt5td