L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

EXERCICE LIBÉRAL

CE QUE DIT LA LOI

Laure Martin  

L’activité des infirmières libérales se déroule nécessairement dans le cadre d’un remplacement, d’une collaboration ou d’une association. Dans ces trois cas, la signature d’un contrat est indispensable.

Dès lors qu’elles sont amenées à travailler ensemble, « il est impératif que les infirmières libérales (Idel) rédigent des contrats afin de protéger les intérêts légitimes des deux parties », conseille Agathe Blondeaux, juriste spécialisée en professions libérales de santé chez Fiducial.

Les contrats sont composés de clauses d’ordre public, imposées par la loi, qui ne peuvent pas être modifiées ou exclues par les parties. « Elles sont essentielles pour assurer des standards minimaux de justice et de protection », explique-t-elle. Si ces clauses sont manquantes, le contrat est considéré comme nul. Les clauses contractuelles - ou clauses de droit privé - sont quant à elles négociables et définies par les parties au contrat. « Elles régissent les aspects spécifiques de la relation contractuelle selon les besoins et les préférences des parties impliquées », fait savoir Agathe Blondeaux. Ces clauses doivent toutefois respecter les dispositions d’ordre public et ne pas les contredire.

LE CONTRAT DE REMPLACEMENT

Faire l’expérience du remplacement est préconisé avant une installation, l’infirmière pouvant ainsi tester le mode d’exercice, découvrir le relationnel avec les patients à domicile et les différentes options d’installation. Dans ce cas de figure, la remplaçante, qui perçoit une rétrocession, n’a pas le droit de développer sa propre patientèle, ni d’assurer le remplacement de deux tournées en même temps.

Dans le cadre de cet exercice, le contrat de remplacement, obligatoire, est composé de plusieurs clauses, notamment celles d’ordre public : le nom, la rémunération, la durée du contrat et le motif du remplacement.

DURÉE ET MOTIF DU CONTRAT

« Les clauses du contrat de remplacement sont nécessairement liées à son objet, indique Agathe Blondeaux. Son but est de permettre au cabinet d’assurer la continuité des soins auprès de la patientèle pendant l’absence de la titulaire. » Nécessairement, le motif et la durée du contrat y sont rattachés, sinon « le contrat, sans objet, est donc nul », précise-t-elle. Pour rappel, il existe trois motifs exclusifs de recours au remplacement : le congé maternité et maladie, la formation et les congés.

LA CESSATION DU CONTRAT

Le contrat de remplacement doit préciser les conditions liées à la cessation du contrat : le délai de prévenance, le préavis, les motifs de rupture, etc. « Certains motifs peuvent concerner le non-respect de mesures de santé publique ou d’obligations prévues par le code de déontologie des infirmiers, rapporte Agathe Blondeaux. Peuvent s’ajouter d’autres motifs, relevant de la loi des parties, par exemple une difficulté dans la prise en charge des patients. »

LES CLAUSES ABUSIVES

Le contrat de remplacement peut inclure des clauses liées à la non-concurrence, auxquelles il faut prêter une attention particulière. Le code de déontologie des infirmiers prévoit notamment que lorsqu’elle a terminé sa mission et assuré la continuité des soins, l’infirmière remplaçante abandonne l’ensemble de ses activités de remplacement effectuées auprès de la clientèle de l’infirmière remplacée. En cas de remplacement pour une durée supérieure à trois mois, consécutifs ou non, elle ne doit pas, pendant une période de deux ans, s’installer dans un cabinet où elle peut entrer en concurrence directe avec la consœur remplacée et, éventuellement, les associées, sauf accord préalable, lequel devant être notifié au Conseil départemental de l’Ordre. De fait, tout contrat prévoyant des clauses de non-installation supérieures à deux ans peut être considéré comme abusif.

EN CABINET DE GROUPE

En cas de remplacement au sein d’un cabinet de groupe, le contrat ne peut prévoir des clauses allant à l’encontre du règlement intérieur. À titre d’exemple, il peut être convenu qu’en cas d’absence de moins d’un mois de l’une des titulaires, les autres assurent le remplacement. Aucun contrat de remplacement ne pourra donc être souscrit. Il peut également être prévu une clause d’agrément, c’est-à-dire la possibilité, pour les deux autres infirmières, d’approuver le choix du remplaçant.

LE CONTRAT DE COLLABORATION

Avant d’être associée, il est possible, pour l’Idel, de passer par un statut intermédiaire, à savoir la collaboration. Comme l’explique l’Ordre des infirmiers, ce contrat permet aux infirmières d’accéder progressivement à l’exercice libéral, tout en bénéficiant de l’expérience de celle déjà installée et des moyens mis à sa disposition par cette dernière, les deux Idel pouvant exercer en même temps.

LES ÉLÉMENTS CLÉS DE LA COLLABORATION

La loi définit trois éléments clés de la collaboration :

- l’existence d’un contrat écrit ;

- la possibilité, pour la collaboratrice, de se constituer une patientèle personnelle aidée par la titulaire ;

- la préservation des intérêts de chacune, la titulaire ayant l’avantage de bénéficier du soutien de la collaboratrice pour assurer la continuité des soins auprès de sa patientèle, de partager la charge de travail ainsi que les frais de gestion du cabinet.

Quant à la collaboratrice, son intérêt consiste principalement en la possibilité d’exercer en libéral avec une mise à disposition, par la titulaire, de sa patientèle, de son local et de son matériel - en échange du versement d’une redevance -, de bénéficier d’un revenu sur la base des honoraires encaissés, et de travailler en toute indépendance sans lien de subordination. En revanche, elle ne pourra pas cumuler les collaborations.

LES CLAUSES

Au sein du contrat de collaboration, en CDD ou CDI, les clauses d’ordre public reposent, là aussi, sur l’identité, la rémunération mais pas nécessairement le motif car ce contrat reste libre.

La collaboratrice est généralement sollicitée par une titulaire en cas de surcroît d’activité ; lorsqu’elle souhaite accroître sa patientèle, sans pour autant vouloir s’associer dans l’immédiat ; ou lorsqu’elle veut ralentir son activité sans pour autant vouloir partir ou à l’inverse, pour, à terme, quitter le cabinet.

La collaboration va donc pouvoir - ou non - évoluer vers l’association ou le rachat de patientèle en fonction des opportunités. « Il est judicieux de préciser cette possibilité d’évolution au sein du contrat, pour qu’en cas d’association ou de succession dans le cabinet, le prix puisse être préalablement convenu », prévient Agathe Blondeaux.

Les parties peuvent également inclure des clauses concernant la gestion des patients ou encore la répartition des frais.

ATTENTION AUX POINTS ABUSIFS

Comme pour le contrat de remplacement, parmi les clauses abusives fréquemment présentes dans ce type de contrat, les clauses de non-concurrence. « Cette clause ne se présume pas, indique Agathe Blondeaux. Si elle n’est pas rédigée, il n’est pas possible de la faire valoir. » Pour autant, le code de déontologie précise que « le détournement et la tentative de détournement de clientèle sont interdits ». « Le but est de protéger les intérêts légitimes de chacun, rappelle Agathe Blondeaux. Pour la titulaire, il s’agit de protéger son outil de travail, à savoir sa structure professionnelle. Et pour la collaboratrice, l’objectif est de ne pas être empêchée dans la construction de son exercice futur. » Face au principe de liberté d’installation, la clause doit donc protéger les intérêts du cabinet et de la collaboratrice. Pour développer sa patientèle, la collaboratrice ne peut pas faire preuve de concurrence déloyale.

L’ASSOCIATION

Pour une implication à parts égales dans le cabinet, les infirmières libérales peuvent faire le choix de l’association. Difficile, en revanche, d’identifier des points clés pour le contrat car tout va dépendre du type d’association choisi. Celle-ci peut conduire à la signature d’un contrat d’exercice professionnel à frais commun ou à la création d’une société (SCM, SCP, SEL, SCI). « Il existe autant de contrats que de situations d’association et de façons de travailler, explique Agathe Blondeaux. Parfois, seul un règlement intérieur lie les associés. » Elle conseille toutefois de rédiger, a minima, un contrat qui les unit autour de dispositions communes, souvent financières, sur la gestion du cabinet. Les règles du travail en commun peuvent aussi y être décrites, notamment l’organisation des vacances, des remplacements ou la fin de l’association.

Que ce soit pour le contrat de remplacement, celui de collaboration ou pour l’association, il est recommandé de s’entourer d’experts (avocat, comptable, banquier) pour organiser le cadre dans lequel exercer et sécuriser au mieux son engagement.