L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

REPORTAGE

Laure Martin  

Avec 33 millions de voyageurs annuels, sans surprise, l’aéroport de Paris-Orly connaît quotidiennement son lot de problèmes de santé. D’autant que s’ajoutent aux touristes les milliers de personnes travaillant dans la zone aéroportuaire. Pour les prendre en charge, le Service médical d’urgence - composé de médecins, infirmiers et ambulanciers -, présent sur site depuis plus de 50 ans.

La sonnerie retentit à l’entrée du Service médical d’urgences (SMU) de l’aéroport. Séverine, l’infirmière de coordination, ouvre la porte à distance. « J’ai mal », lance la patiente en arrivant au niveau de l’accueil, en se tenant la main. Sabrina, l’infirmière de soins, va immédiatement à sa rencontre et l’amène en salle de consultation. « Que vous est-il arrivé ? », lui demande-t-elle. « Je me suis coupé le doigt avec un coupe-tomates », rapporte la patiente, précisant travailler pour une entreprise située dans la zone aéroportuaire. Arrive Jonathan, également infirmier de soins, qui vient seconder sa collègue pendant qu’elle remplit le dossier patient informatisé. Il nettoie la plaie, prend les constantes, en attendant le Dr Chadi Jbeili, médecin de garde et chef de service. À son arrivée, il observe la plaie, la décrit à l’infirmière afin qu’elle intègre les informations dans le dossier. Face au doute, il décide d’explorer davantage la coupure. « Madame, nous allons endormir votre doigt pour que je puisse examiner la plaie plus précisément, explique-t-il. Si la blessure est peu profonde, nous pourrons vous recoudre, sinon, nous vous orienterons vers les urgences mains de l’hôpital de Thiais. » C’est cette seconde option qui sera choisie par le praticien.

Le protocole d’accueil

Le SMU prend en charge environ 18 000 personnes annuellement. Chutes dans l’aéroport, malaises, plaies, coupures, arrêts cardiaques, embolies pulmonaires, vaccinations, éruptions cutanées, etc. : les problématiques sont finalement identiques à celles rencontrées en ville. Pour s’occuper de toutes les demandes en soins et les interventions sur la zone aéroportuaire, les médecins, infirmiers coordonnateurs, infirmiers de soins et ambulanciers assurent des gardes. À l’accueil du SMU, l’infirmière de coordination reçoit les appels des pompiers, du Centre 15, des patients appelant pour des rendezvous de vaccinations du voyage, et assure l’accueil des personnes venant directement sur place. Pour ces derniers, elle réalise une première analyse de la demande, assure l’inscription en remplissant le dossier informatisé et « décide si le patient va se rendre en salle d’attente, en salle de soins ou en salle d’urgence », rapporte Pauline, infirmière coordinatrice. Les locaux sont organisés autour de quatre salles de soins, dont trois sont armées pour les urgences vitales.

Des soins standards

Hors situation d’urgence vitale, le médecin et les infirmiers prennent en charge les patients en fonction de leurs motifs de consultation, par ordre de priorité, sauf en cas de contraintes. « Nous sommes aussi un centre de vaccinations internationales, indique le Dr Jbeili. Certains patients viennent au SMU à l’improviste, quelques heures avant leur vol, pour se faire vacciner avant de partir ou pour obtenir un certificat officiel attestant de leur vaccination. » C’est d’ailleurs le cas ce matin. Un jeune homme arrive avec son père. Il a un vol en début d’après-midi pour la Guyane, région où le vaccin contre la fièvre jaune est obligatoire depuis 1967. Des contrôles sanitaires aux frontières sont organisés pour veiller à ce respect réglementaire. Ce patient va donc être vacciné par Sabrina, qui effectue le contrôle d’identitovigilance avant de lui administrer la dose. Elle prend à cette occasion le temps de lui rappeler les effets secondaires possibles, ainsi que la conduite à adopter si besoin.

Pour exercer au sein du SMU, les infirmiers ont nécessairement un profil d’urgentiste. Ils doivent savoir faire face aux urgences et maîtriser les réfl exes essentiels à la bonne prise en charge des patients. En arrivant dans le service, ils travaillent pendant un mois en compagnonnage, afin d’appréhender l’activité particulière de ce site, avant d’être autonomes. « Nous ne fonctionnons pas sur protocoles infirmiers car ces derniers sont opposables et leur existence implique une mise à jour régulière et exhaustive, fait savoir le Dr Jbeili. Nous préférons faire le pari de travailler en binôme médecin/infirmier, en raison de la proximité directe du médecin, grâce à laquelle il est possible de le solliciter en permanence. » « Notre fonctionnement est finalement assez simple, témoigne Jonathan. En tant qu’infirmiers, nous connaissons nos compétences et savons à quel moment faire appel au médecin. Même s’il est toujours informé des dossiers, nous pouvons parfois juger par nous-mêmes, à l’instar des infirmiers d’accueil et d’orientation (IAO), si un soin infirmier est suffisant pour le patient et qu’il n’a pas besoin de consultation médicale, ou s’il doit être directement réorienté afin d’éviter toute perte de temps. » C’est le cas pour un patient arrivé au SMU dans la matinée, accompagné par un collègue, la main sous un tissu taché de sang. Il s’est écrasé les doigts dans une porte magnétique. L’infirmière le conduit en salle de soins pour un premier examen. Il sera envoyé directement aux urgences mains de l’hôpital de Thiais. « Nous n’avons pas de plateau technique, ni de spécialistes, souligne Séverine. Dans une telle situation, nous pouvons uniquement agir pour calmer la douleur et contenir les saignements avant de le réorienter et ce, afin d’éviter toute perte de temps. »

Le SMU n’a pas non plus vocation à se substituer à la médecine générale sinon, « nous serions submergés de patients et nous ne pourrions plus faire face aux urgences », soutient le Dr Jbeili. D’ailleurs, un peu plus tôt dans la journée, un patient est arrivé en se plaignant d’une douleur à l’oreille, présente depuis plus de 48 heures. Son épouse, médecin généraliste, lui a prescrit des antibiotiques mais la douleur, aiguë, persiste. Travaillant sur site, il explique être venu au SMU pour trouver une solution. Il est reçu par Sabrina, qui lui pose des questions sur le contexte de survenue de la douleur. « Vous allez être vu en consultation par le médecin mais pour autant, je ne suis pas certaine qu’une prise en charge vous sera proposée puisque vous êtes déjà sous antibiotique », lui précise-t-elle.

Des interventions en urgence

Le SMU, au même titre que les pompiers, les Services mobiles d’urgences et de réanimation (SMUR) ou le Service de sécurité incendie et d’assistance aux personnes de niveau 1 (SSIAP), peut partir en intervention sur la zone aéroportuaire, sous le contrôle de la régulation Centre 15. Ce matin, les professionnels du SMU reçoivent un voyageur, amené par les pompiers, après un malaise avec perte de connaissance dans la zone des départs. Il devait partir à Ibiza avec son entreprise pour quelques jours de Team Building. Il est reçu par Jonathan, qui assure l’interrogatoire, la prise des constantes et réalise un électrocardiogramme avant d’aller voir le Dr Jbeili pour davantage de consignes. Ce dernier se rend auprès du patient. « Je me suis senti mal, j’ai eu un gros coup de chaud, raconte-t-il au médecin. Je me suis assis, puis évanoui environ 30 secondes. » Le médecin l’examine et le renverra à son domicile après 30 minutes supplémentaires de repos.

En parallèle, l’équipe du SMU (médecin, infirmier, ambulancier) est partie en zone d’embarquement prendre en charge un patient de 70 ans présentant une douleur thoracique. En partance pour Tunis, il a informé l’équipe être porteur d’un pacemaker, changé dix jours avant son voyage. Sur place, l’équipe lui a fait un ECG et expliqué la situation. Le patient souhaitait quand même prendre l’avion mais les professionnels de santé sont parvenus à le convaincre de rester en France, afin de stabiliser sa situation. Il a été redirigé vers un établissement hospitalier à proximité. « Le SMU n’est pas un lieu d’hospitalisation, rappelle le Dr Jbeili. Notre rôle n’est pas de garder les patients. Si une hospitalisation doit être envisagée, nous appelons la régulation Centre 15 pour un transfert vers un service d’urgence. Si le patient est stable, nous pouvons solliciter une ambulance simple. »

Contrôle sanitaire et plan de secours

Les professionnels de santé du SMU ont aussi pour mission d’assurer le contrôle sanitaire en cas de suspicion d’épidémie ou de maladie contagieuse, type Ebola, peste, méningite. Ils disposent d’une salle pouvant être mise à l’isolement. « Lorsque la suspicion provient d’un patient en vol, nous avons toute une procédure de traçabilité à respecter », précise le médecin. Les voyageurs assis dans les rangs situés juste à l’avant et juste à l’arrière du patient potentiellement contagieux doivent être déclarés. L’ensemble des informations les concernant sont alors transmises à l’Agence régionale de santé (ARS), qui prend le relais pour assurer leur suivi.

Côté véhicules, le service dispose d’une ambulance identique aux unités mobiles hospitalières (UMH), d’une ambulance de secours et d’appoint et d’un véhicule de soutien logistique et aéronautique (VSLA). « Ce dernier a été pensé pour que l’ambulancier, seul, puisse déployer une tente de 24 m2, les brancards et les chauffages afin de créer un poste médical avancé en 20 minutes, en cas d’urgence collective type accident d’avion », explique le médecin. L’équipe soignante peut aussi être mobilisée dans le cadre du plan de secours organisé autour de deux niveaux d’alerte. L’alerte verte est déclenchée si un avion est en potentielle difficulté. « Dans ce cas, nous sommes prêts à intervenir, mais nous restons en stand-by au sein du service », fait savoir le Dr Jbeili. L’alerte rouge est quant à elle activée en cas d’incident sur un avion (sortie de piste, impact avec un oiseau, etc.). L’équipe se rend alors sur le lieu de l’incident. Une intervention qui demeure relativement rare.

Le personnel du SMU

Le SMU est composé de :

- 7 médecins ;

- 6 infirmiers coordonnateurs ;

- 5 infirmiers de soins ;

- 6 ambulanciers ;

- 1 cadre de santé.

Le médecin, les infirmières de coordination et les ambulanciers assurent des gardes de 24 heures. Les infirmiers de soins travaillent soit de 7 heures à 15 heures, soit de 15 heures à 23 heures.

La cadre travaille de 8 heures 30 à 17 heures 30.

Le SMU, qui a le statut de centre de santé privé, applique les tarifs définis par la CPAM sans dépassement aux patients affiliés à la Sécurité sociale.

Les patients étrangers n’étant pas affiliés au régime de la Sécurité sociale, doivent quant à eux suivre une tarification spécifique. Tous les professionnels de santé du SMU sont salariés du groupe ADP.

TÉMOIGNAGE

‘L’aéronautique, un univers avec ses propres codes’

Célia Péria, cadre de santé au sein du SMU Paris-Orly

« Lorsque j’ai intégré le groupe ADP et le SMU en mars 2022, ma première mission a été d’appréhender ce milieu de travail particulier avec ses propres codes et langage. L’univers de l’aéronautique n’a rien à voir avec le secteur hospitalier. La construction du réseau peut donc prendre un peu plus de temps, d’autant que la fonction première du groupe n’est pas de faire du soin. La présence du SMU est un service en plus offert aux passagers et travailleurs sur site. L’un de mes rôles est d’être la porte-parole de l’équipe médicale pour que nos missions soient comprises par le monde aéronautique. Vis-à-vis de l’équipe soignante, mes principales missions en tant que cadre de santé sont les mêmes qu’à l’hôpital, si ce n’est que j’ai moins de gestion des ressources humaines à effectuer. Je valide les décisions RH prises par la cellule dédiée. La continuité des soins est également plus simple à appréhender car les équipes sont principalement organisées autour de gardes de 24 heures, ce qui facilite l’anticipation en cas de problème. En parallèle, j’assure le management de l’équipe paramédicale avec l’animation, l’organisation des soins, le bon fonctionnement du matériel, le maintien en l’état des locaux, l’écoute, la reconnaissance du travail, une présence en proximité. Je me place au cœur de l’activité afin de mieux comprendre les contraintes vécues et les résoudre. Nous portons aussi des projets d’entreprise. L’année dernière, par exemple, nous avons travaillé à une sensibilisation des salariés à la biodiversité. Nous pourrions éventuellement envisager la mise en place de protocoles douleur pour la gestion des accidents du travail bénins, ou encore faire en sorte que les collaborateurs du SMU participent à des échanges avec d’autres responsables du groupe ADP afin de mieux connaître les métiers des uns et des autres sur le site, et ainsi construire un réseau. Ce sont des pistes de réfl exion qui rendent ce travail particulièrement enrichissant. »