L'infirmière n° 049 du 01/10/2024

 

PHARMACOLOGIE

LES DERMOCORTICOÏDES

Maïtena Teknetzian  

docteure en pharmacieenseignante en Institut de formation de soins infirmiers (Ifsi)

Anti-inflammatoires et immunosuppresseurs, les dermocorticoïdes ont de nombreuses indications en dermatologie. Certains conseils de bon usage et le respect des règles d’application sont nécessaires pour lutter contre une corticophobie et assurer la bonne efficacité du traitement.

1. Comment agissent les dermocorticoïdes ?

Les dermocorticoïdes diffusent au travers des membranes cellulaires cutanées et se fixent sur le récepteur cytoplasmique aux glucocorticoïdes. Puis le complexe corticoïdes-récepteur migre jusqu’au noyau et interagit avec l’ADN des cellules, ce qui modifie la transcription en ARN et la traduction en certaines protéines. Il en résulte une diminution de la synthèse locale de prostaglandines (molécules impliquées dans l’inflammation et la vasodilatation) et des leucotriènes (molécules impliquées dans l’allergie et le prurit). Les dermocorticoïdes ont donc des propriétés anti-inflammatoires et vasoconstrictrices (permettant de diminuer un érythème et un œdème), ainsi qu’antiprurigineuses. Ils exercent aussi une action antiproliférative sur les kératinocytes, les fibroblastes et les mélanocytes, qui peut être mise à profit en thérapeutique (dans le traitement des cicatrices chéloïdes par exemple), mais qui explique certains de leurs effets indésirables (comme l’atrophie et la dépigmentation cutanées notamment). Ils ont des propriétés immunosuppressives locales liées à une inhibition de l’activation des leucocytes, mises à profit dans certaines pathologies dysimmunitaires, mais qui augmentent le risque de surinfection locale.

2. Quelles sont leurs indications ?

Les dermocorticoïdes sont utilisés dans les cas :

- d’eczémas (dermatite atopique, dyshidrose, eczéma de contact) et de dermite séborrhéique ;

- de certaines pathologies dysimmunitaires comme le psoriasis, le vitiligo, le lupus cutané, le lichen (éruption inflammatoire auto-immune constituée de papules violacées prurigineuses confluentes en plaques et accompagnée d’atteintes des muqueuses) et la pemphigoïde bulleuse (atteinte cutanée auto-immune, survenant le plus souvent chez des sujets âgés et se manifestant par un érythème et des bulles) ;

- de cicatrices hypertrophiques et chéloïdes ;

- de piqûres d’insecte.

3. Comment sont-ils classés ?

EN FONCTION DE LEUR PUISSANCE

Les différents dermocorticoïdes sont classés en fonction de leur puissance anti-inflammatoire. Or, l’activité anti-inflammatoire est corrélée à l’intensité de la vasoconstriction, qui peut elle-même être appréciée par le blanchiment de la peau. La puissance des dermocorticoïdes peut donc être déterminée à partir d’un test de vasoconstriction capillaire in vivo, dit test de McKenzie, qui permet de classer les dermocorticoïdes en quatre niveaux d’activité anti-inflammatoire :

- faible : tels que Corazed®, Cortisédermyl®, Dermofénac® (hydrocortisone) ou Cortapaisyl® (hydrocortisone acétate) ;

- modérée : à l’instar de Tridésonit® (désonide*) ou Locoïd® (hydrocortisone butyrate) ;

- forte : comme Diprosone (bétaméthasone dipropionate*), Bétésil®ou Betneval® (bétaméthasone valérate), Locatop® (désonide*), Nérisone® (diflucortolone acétate), Epitopic® (difluprednate), Flixovate® (fluticasone) ou encore Efficort® (hydrocortisone acéponate) ;

- très forte : à l’exemple de Diprolène® (bétaméthasone dipropionate*), Dermoval®, Clarelux®, Cabesol® ou Clobex® (clobétasol propionate).

En pratique, les dermocorticoïdes les plus utilisés sont ceux d’activité forte chez l’adulte, et d’activité modérée chez l’enfant ou sur le visage de l’adulte. Ceux d’activité très forte sont réservés aux dermatoses très sévères.

EN FONCTION DE LEUR FORME GALÉNIQUE

Il existe différentes présentations de dermocorticoïdes, dont les utilisations diffèrent. La pommade est destinée au traitement de lésions très sèches ou lichénifiées (lésions épaissies à la suite d’un grattage). La crème est particulièrement indiquée sur des lésions suintantes ou susceptibles de macérer (situées dans des plis), les gels sont également préconisés dans les plis. Les lotions, mousses et shampoings sont adaptés aux zones pileuses et au cuir chevelu. L’emplâtre est quant à lui adapté à certaines localisations comme les genoux, les coudes ou la face antérieure du tibia.

4. Quels peuvent être leurs effets indésirables ?

EFFETS LOCAUX

Les dermocorticoïdes peuvent être responsables d’atrophie et d’amincissement cutanés, de retard de cicatrisation, de télangiectasie, d’hirsutisme, d’hypopigmentation et de retards de cicatrisation. Ils peuvent induire de l’acné et aggravent les infections cutanées. Les applications périoculaires peuvent être responsables de glaucome et de cataracte. Ils peuvent paradoxalement causer de l’eczéma de contact, ce qui nécessite d’orienter le patient vers un allergologue, afin d’établir un diagnostic différentiel et de guider la conduite à tenir (voir encadré Allergie de contact liée aux dermocorticoïdes).

EFFETS SYSTÉMIQUES

Les dermocorticoïdes peuvent, beaucoup plus rarement, être responsables d’effets systémiques (syndrome de Cushing iatrogène, troubles de la croissance, ostéoporose, hypertension artérielle, troubles de la glycémie…) liés à un passage dans le sang des molécules. Ces effets généraux s’observent surtout avec les dermocorticoïdes d’activité très forte et/ou de fortes doses en usage prolongé, en particulier dans le cadre d’un détournement d’usage à visée de blanchiment de la peau, ou dans certaines situations augmentant l’absorption des dermocorticoïdes.

5. Quels sont les facteurs influençant leur absorption ?

L’absorption (c’est-à-dire le passage dans le sang des dermocorticoïdes) et le risque d’effets généraux dépendent de paramètres liés au médicament et à sa présentation galénique, mais aussi de l’état cutané et du mode d’application.

PARAMÈTRES LIÉS AU MÉDICAMENT

La diffusion transdermique dépend de la molécule et de sa liposolubilité (les molécules liposolubles diffusant mieux) mais aussi des excipients présents dans les différentes formes galéniques. Les pommades, très grasses, ont un rôle couvrant et un effet occlusif qui augmente la pénétration des principes actifs. Le risque de diffusion systémique est moins important avec les crèmes, mais surtout avec les gels et les lotions.

PARAMÈTRES LIÉS À L’ÉTAT CUTANÉ

L’absorption est plus importante lorsque la peau est fine (et donc plus facile à traverser) comme celle des nouveau-nés ou des personnes âgées. De la même façon, si la peau est lésée, le risque de diffusion systémique augmente. C’est le cas également si la température cutanée est élevée (cela entraîne une vasodilatation qui favorise l’absorption) : ainsi une application sur le visage ou sur des zones de plis expose-t-elle à une absorption supérieure qu’une application sur la plante des pieds ou la paume des mains.

PARAMÈTRES LIÉS À L’APPLICATION

L’absorption est d’autant plus importante que la surface d’application est grande et/ou la durée d’application longue. L’occlusion (par un pansement, un vêtement moulant, ou un dispositif absorbant au niveau du siège des nourrissons ou des sujets incontinents) augmente la température locale et le temps de contact multiplie l’absorption par dix et augmente le risque d’effets systémiques. C’est pourquoi l’occlusion n’est généralement pas recommandée. Toutefois, elle peut exceptionnellement s’envisager sur des lésions très épaisses et relève alors de la prescription spécialisée.

6. Quelles sont leurs contre-indications ?

Du fait de leurs propriétés immunosuppressives, les dermocorticoïdes sont contreindiqués dans les dermatoses infectieuses (herpès, varicelle, zona). Exposant à un risque de retard de cicatrisation, ils sont également contre-indiqués sur des lésions ulcérées, ainsi que sur l’acné et la rosacée (susceptibles d’être aggravées par les dermocorticoïdes) et l’érythème fessier.

7. Comment s’administrent-ils ?

À QUEL MOMENT ?

Les dermocorticoïdes s’appliquent habituellement le soir après la toilette (après application de l’émollient, le cas échéant), sur une peau encore un peu humide, de façon à permettre une meilleure pénétration du produit. Une seule application par jour est généralement suffisante en raison de « l’effet réservoir » : les dermocorticoïdes s’accumulent dans la couche cornée d’où ils sont relargués progressivement vers les couches cutanées plus profondes.

EN QUELLE QUANTITÉ ?

La quantité appliquée doit être assez importante (sinon le traitement sera inefficace) sans être excessive (pour éviter les effets indésirables). Pour les shampooings, l’équivalent d’une demi-cuillère à soupe suffit à couvrir tout le cuir chevelu d’un adulte. Pour savoir combien de quantité de crème, gel ou pommade appliquer, on utilise « l’unité phalangette » : la quantité de topique déposée d’un trait continu sur la dernière phalange de l’index d’un adulte (soit environ 0,5 g de produit) permet de traiter une zone équivalente à la surface de deux paumes de main d’un adulte. Un tube de 30 grammes contient 60 unités phalangettes. Selon l’importance de la surface à traiter (voir tableau ci-dessous), un nombre conséquent de tubes par mois peut donc être nécessaire, mais cela ne doit pas inquiéter le patient

COMMENT LES APPLIQUER ?

Étaler les dermocorticoïdes, en débordant un peu sur la peau saine et en massant légèrement jusqu’à ce qu’ils soient absorbés. En fin d’application, la peau doit être brillante mais le produit ne doit plus se voir. On laisse poser les shampoings sur le cuir chevelu plusieurs minutes, avant d’être rincés à l’eau ou de laver les cheveux. Se laver les mains après l’application.

QUELLES MODALITÉS POUR L’ARRÊT ?

Le traitement est arrêté dès la disparition des symptômes. L’utilisation des shampoings ne devrait pas dépasser quatre semaines et celle des emplâtres, 30 jours. Afin de favoriser l’adhésion au traitement, la décroissance progressive (difficile à mettre en œuvre en pratique) n’est plus recommandée pour arrêter le traitement. Pour autant, un effet rebond n’est pas à craindre car la décroissance se fait de toute façon naturellement au fur et à mesure de la réduction de la taille des lésions.

* Il est à noter que ces molécules (désonide et bétaméthasone dipropionate) se retrouvent dans deux niveaux d’activité anti-inflammatoire différents. Ceci s’explique par le fait que la classification des dermocorticoïdes est basée sur le test de vasoconstriction de McKenzie mais aussi sur les données d’efficacité issues des essais cliniques. Certaines spécialités, bien que contenant la même molécule, ont donné des résultats différents lors de leurs essais cliniques.

Allergie de contact liée aux dermocorticoïdes

La prévalence des allergies de contact liée aux dermocorticoïdes est estimée entre 0,2 et 5 % selon les publications. Il s’agit de manifestations d’hypersensibilité retardée qui peuvent être dues aux excipients, mais aussi au corticoïde lui-même ou, le plus souvent, à un de ses métabolites.

Le risque dépend donc de la structure chimique de la molécule et de son métabolisme local(par hydrolyse cutanée d’une fonction ester). Les molécules rapidement métabolisées sont souvent plus allergisantes. Il peut exister un risque d’allergie croisée entre certaines molécules (la rapidité du métabolisme dépendant de la position de la fonction ester sur le dermocorticoïde).

Le risque d’allergie dépend aussi de l’état cutané : l’altération de la barrière cutanée semble être un facteur prédisposant et de fait, la plupart des patients concernés ont une dermatose évoluant depuis plusieurs années.

Le diagnostic est difficile car le tableau clinique est peu spécifique et souvent masqué par l’effet anti-inflammatoire du dermocorticoïde. Une hypersensibilité est à suspecter devant l’absence d’amélioration ou l’aggravation d’une dermatose réputée cortico-sensible ou lorsque la zone traitée est blanchie mais la zone périphérique rouge. Il faut alors solliciter un avis médical et orienter le patient vers un allergologue en vue d’une exploration par patch tests, permettant d’établir le diagnostic.

Sources

1. C. Biver-Dalle, Hypersensibilité aux dermocorticoïdes, Annales de dermatologie et de vénérologie (2012) 139, 489 à 499. https://tinyurl.com/4bucwreh.

2. M. Baeck, Hypersensibilité allergique aux corticostéroïdes topiques et systémiques, Revue française.

3. C. Zenklusen et L. Feldmeyer, Dermocorticoïdes : incontournables et redoutés, Revue médicale suisse, 9 avril 2014, https://tinyurl.com/bd4jsmrw.

4. Emmanuel Diaz, François Chasset. Prescrire les dermocorticoïdes : les règles d’or , La Revue du Praticien, 17 mai 2023 https://tinyurl.com/2ke3sca3.

L’autrice déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.