CERTIFICATION PÉRIODIQUE OU FORMATION CONTINUE ?
FORMATION
MAINTIEN DES COMPÉTENCES
Sophie Favé* Nadège Besançon**
*PHD Santé Publique, Université Claude Bernard Lyon, EA 4129 P2S IFSI CPA Bourg-en-Bresse
**infirmière cadre de santé, IFSI CPA Bourg-en-Bresse
La certification périodique est un dispositif qui vise à réévaluer régulièrement le maintien du niveau de compétences de certaines professions de santé. Le décret relatif à cette question, entré en vigueur en 2024, en précise les modalités d’application. Tour d’horizon.
L’évolution du soin ponctuel vers le parcours de santé, la refonte et la mutualisation des établissements de santé et de l’offre de santé de proximité mobilisent des compétences professionnelles collectives et individuelles en mutation. L’ordonnance n° 2021-961 du 19 juillet 2021 a rendu obligatoire la « re-certification » pour tous les professionnels de santé relevant d’un ordre, quels que soient leur lieu et domaine d’exercice. Un dispositif qui vise à garantir le maintien des compétences et l’actualisation des connaissances. Le décret du 22 mars 2024 relatif à la certification périodique en précise les modalités d’application. Les infirmiers étant concernés par cette nouvelle démarche, ils devront par conséquent avoir réalisé, au cours d’une période de six ans, au moins deux actions prévues dans le ou les référentiels de certification.
Dans les pays anglo-saxons, l’obtention d’un diplôme de professionnel de santé n’est pas acquise « pour la vie ». Un mécanisme de « re-certification » périodique existe pour les soignants et ce, depuis près de 40 ans. En France, le diplôme d’État valide la capacité d’exercer le métier d’infirmier sous réserve de l’inscription à l’Ordre des infirmiers. Des formations continues sont possibles mais leur caractère obligatoire dépend du mode d’exercice. Entre 2004 et 2008, le ministère de la Santé a créé une commission d’évaluation des compétences des métiers de santé avec l’objectif d’explorer « les différents éléments constitutifs de la compétence des métiers de santé ». À ce titre, plusieurs dispositifs ont été mis en place :
- l’évaluation des pratiques professionnelles (non obligatoire pour les infirmiers),
- l’accréditation puis la certification des établissements (incluant la participation des infirmiers salariés),
- le développement professionnel continu (obligatoire pour les infirmiers libéraux),
- l’attestation de formation aux gestes de soins d’urgence niveau 2.
La notion de compétence est définie comme l’addition de savoirs, savoir-faire et savoir-être dans une situation définie. La nouvelle réglementation s’inscrit dans un courant de pensée où l’évolution est primordiale, conformément aux propos du professeur Peter Drucker, considéré comme l’inventeur du management moderne : « La seule compétence qui sera importante au XXIe siècle est la capacité d’acquérir de nouvelles compétences. Tout le reste deviendra obsolète avec le temps. »(1)
Le savoir correspond aux connaissances théoriques. Il permet la compréhension de contextes spécifiques grâce à des représentations de techniques, méthodes et procédures adaptées au résultat visé.
Le savoir-faire fait appel à la mise en œuvre de capacités et aptitudes pratiques permettant la mise en œuvre des gestes et actions professionnels. Il s’enrichit par la dextérité et l’expérience au cours de mises en situation variées.
Le savoir-être mobilise des attitudes et comportements personnels, en lien avec l’exercice pratique. Il implique des capacités d’adaptation et de réactivité et favorise la régulation par l’expérience et le positionnement rétroactif.
La compétence professionnelle s’observe dans la pratique de tâches spécifiques et cumulées, elle est transférable et évolue tout au long de la vie professionnelle. La qualification et l’évaluation des compétences sont un moyen opérationnel de représentation de l’exercice professionnel dans la société. L’évaluation des compétences en sciences infirmières répond au besoin de soins de qualité de la population et de reconnaissance d’une profession en profonde mutation.
Arguer d’un statut, certes défini par un diplôme d’État, ne garantit ni ne favorise le bon développement des compétences à long terme. Un effort particulier dans la formation continue, ainsi qu’une vigilance accrue dans les domaines de l’évaluation des pratiques et de la qualité du service rendu sont indispensables. La formation et la qualification initiales ne suffisent pas à l’exercice professionnel tout au long de la vie. Dès lors, l’objectivation de ce qui caractérise la formation, la qualité et les capacités professionnelles peuvent être des leviers opportuns pour participer à l’évolution de l’offre de santé. Le modèle anglo-saxon d’évaluation des compétences confère une légitimité reconnue par les soignants et l’ensemble de la population. À titre de réflexion, l’American Nurses Credentiating Center(2) défend une certification reposant sur quatre piliers :
- formation tout au long de la vie, l’activité et le comportement,
- caractère volontaire prédominant,
- pluralité des acteurs,
- formalisation de procédures simples et évolutives.
L’Ordre infirmier consiste non seulement à représenter, défendre et promouvoir la profession auprès des pouvoirs publics et des institutions mais aussi à réguler la pratique soignante. Sur ce deuxième point, l’Ordre est missionné par l’État pour s’assurer des bonnes conditions de compétence, moralité et indépendance des infirmières et infirmiers. Dans la réalité, le seul moyen dont il dispose pour s’assurer de la compétence d’un professionnel repose sur le fait d’enregistrer le diplôme, c’est-à-dire le justificatif de la qualification et non de la compétence. Depuis 2009, tout soignant a ainsi l’obligation de s’inscrire à l’Ordre pour pouvoir exercer. Aucune évaluation des critères de qualité et d’actualisation des connaissances et des pratiques ne juge du niveau de ses compétences. Cette situation renforce la confusion entre les termes de qualification et de compétences pour l’exercice professionnel français… auquel tente de répondre le projet d’évaluation des compétences.
Le décret du 22 mars 2024 portant sur la certification périodique professionnelle participe à l’évolution de l’objectivation des compétences professionnelles. S’y préparer et participer à sa co-construction avec les instances représentatives et les institutions réglementaires est indispensable. Les sept professions de santé concernées disposent d’un ordre professionnel et sont indexées au Code de la santé publique (excluant les professions non représentées par un ordre). Il s’agit des pharmaciens, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pédicures-podologues, masseurs-kinésithérapeutes et… des infirmiers.
La réalisation d’au moins deux actions inscrites au référentiel infirmier (formation ou action collective territoriale, actions transversales sur les parcours de santé et/ou actions de prévention en santé) devra être effectuée dans une période de six ans. On retrouve les orientations clés des agences régionales de santé (ARS) en lien avec le territoire et les parcours de santé, stratégie de l’offre de santé actuelle. Les modalités opérationnelles de la re-certification sont à construire avec les organismes de formation, charge aux instances représentatives d’en définir le cahier des charges et la régulation, tout en tenant compte de la pluralité des secteurs d’activité et de la mutation du métier infirmier, devenant multiple et différencié selon les spécialités.
Vingt années se sont écoulées entre la première mission « Évaluation des compétences professionnelles des métiers de la santé » et le décret d’application de la re-certification. La question qui se pose désormais est de comprendre le sens qui sera donné à cette certification périodique par les instances représentatives et les organismes de formation : un recueil contingent de normes préétablies à satisfaire ou la convergence d’expérimentation de nouvelles interactions transdisciplinaires avec les valeurs et la casuistique soignantes associées ? Il s’agit bien de co-construire un dispositif comme levier pour la profession infirmière de régulation et de clarification des pratiques qui la constituent, ceci dans un contexte soignant en profonde mutation. La plus-value de la démarche est de reconnaître les champs d’action et spécificités de l’ensemble des professionnels de santé travaillant en synergie pour un patient commun.
(1) Management Challenges for the 21st Century, Peter Drucker, Harper Business, 2001.
(2) Recertification Catalog, ANCC
https://www.nursingworld.org/our-certifications/consulté le 27/04/2024
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Jean-Pierre Desmaris, infirmier libéral à Décines-Charpieu (Auvergne-Rhône-Alpes)
« Cette obligation de certification est une bonne chose pour la profession. Il est nécessaire de se remettre en question dans nos pratiques et d’actualiser nos connaissances. Obligation de certification et formation continue vont de pair. Même si cela risque peut-être de déranger les infirmiers qui ne s’impliquent pas vraiment dans ces questions, c’est dans l’intérêt de notre profession que de s’y intéresser et d’y prendre part. Mais je pense que nous sommes déjà nombreux à remplir certaines obligations de certification sans nécessairement nous en rendre compte. Pour autant, en plus de notre activité professionnelle, nous avons déjà de nombreuses obligations à remplir et des démarches administratives lourdes à respecter. Il ne faudrait pas, dans un tel contexte, que la certification ne vienne nous surcharger davantage. De plus, en tant qu’infirmiers libéraux, nous sommes quotidiennement sollicités par des organismes, qui nous interrogent sur le respect de notre obligation. Il m’est arrivé de ne pas être satisfait par des formations dispensées par des organismes pourtant certifiés pour le développement professionnel continu (DPC). Depuis, je ne souscris plus à celles organisées en distanciel ou en e-learning mais uniquement à celles en présentiel. Les tutelles devraient nous garantir du sérieux des organismes et plus globalement, nous tenir informés de la mise en œuvre de la certification car pour le moment, nous n’avons pas vraiment d’information sur le sujet. »
Propos recueillis par Laure Martin
Élodie Penard, infirmière (Bourgogne-Franche-Comté)
« Il est nécessaire, lorsqu’on est infirmier, de se former pour évoluer dans ses pratiques. C’est en cela que la certification est importante et je ne la vis pas comme une contrainte. Diplômée d’État depuis 2000, j’ai eu l’opportunité d’exercer en tant qu’infirmière dans différents secteurs. De 2000 à 2011, j’ai travaillé en établissements hospitaliers, dans des entreprises, au sein d’un centre pour adolescents souffrant d’obésité, en sachant que les dernières années, j’étais faisant-fonction gestionnaire qualité et gestion des risques. Puis j’ai rejoint un service de santé au travail pendant 12 ans, avant de vouloir me reconvertir car j’étais confrontée à une perte de sens. Mais avec un niveau Bac + 3, les infirmières ne sont pas les cibles de la reconversion, et je n’ai pas pu bénéficier d’aides. J’ai donc fait le choix d’exercer au sein d’une structure médico-sociale, tout en effectuant de l’intérim à l’hôpital, en tant qu’aide-soignante en raison de mon manque d’expérience dans les soins techniques. Puis, en septembre 2023, j’ai décidé de me financer un diplôme universitaire (DU) de construction et coordination des parcours de santé, ce qui m’a permis de trouver un poste à l’Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) de Lons-le-Saunier. En sortant d’une formation initiale, nous sommes toutes des infirmières généralistes. Ensuite, nous nous devons de nous former en fonction de nos lieux d’exercice. Une démarche nécessaire vis-à-vis des patients, afin qu’ils se sentent en confiance et en sécurité dans le cadre de la prise en charge que nous leur offrons. Face à l’évolution de la médecine, des techniques de soins, des technologies, nous devons nous mettre à jour. Il est aussi utile de réfléchir à notre pratique en échangeant les uns avec les autres, la démarche en sera d’autant plus enrichissante. De même qu’il est essentiel de se questionner sur sa santé personnelle, car nous exerçons une profession affichant un taux de burn-out important. Recevoir des aides et des conseils pour savoir accompagner les autres tout en se préservant ne peut que nous être utile. »
Propos recueillis par Laure Martin