L'infirmière n° 050 du 01/11/2024

 

ACTUALITÉS

PRÉSERVER LE RÔLE DES IBODE

Laure Martin  

Voilà bientôt dix ans que le « dossier » des infirmières de bloc opératoire (Ibode) fait couler de l’encre. La profession dénonce à présent le projet de décret proposé par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) mettant en place de nouvelles mesures transitoires pour la réalisation des actes exclusifs par des infirmières non Ibode.

Trouver un terrain d’entente entre les représentants des Ibode et la DGOS semble compliqué. Le désaccord, qui a débuté en 2015, repose sur le nombre insuffisant d’Ibode pour faire face à l’activité des blocs opératoires. « Nous sommes environ 9 000 Ibode et pour faire face à la demande, nous devrions être 20 000 », fait savoir Olivier Wacrenier, président du Syndicat national des infirmiers de bloc opératoire.

Les étapes du désaccord

Pour répondre à cette problématique, des premières mesures transitoires ont été mises en place afin de confier à des infirmières non Ibode certaines des compétences exclusives des Ibode, c’est-à-dire celles mentionnées à l’alinéa 1b de l’article R4311-11-1 du Code de la santé publique, à savoir « apporter une aide à l’exposition, à l’hémostase et à l’aspiration » au chirurgien. Un décret du 28 juin 2019 a ainsi permis à des infirmières ayant, au 30 juin 2019, au moins un an de pratique professionnelle à temps plein dans les blocs opératoires, et pratiqué régulièrement les actes du 1b, de prétendre aux mesures transitoires à condition d’avoir suivi 21 heures de mise à niveau et validé une épreuve de vérification des connaissances devant un jury. Le dépôt des dossiers pouvait avoir lieu jusqu’au 31 décembre 2019. En janvier 2020, la DGOS a confirmé que les infirmières non Ibode n’ayant pas bénéficié des mesures transitoires ne pouvaient pas pratiquer d’actes exclusifs dans les blocs. Mais les fédérations hospitalières du privé et l’Union des chirurgiens de France (UDCF) s’y sont opposées et ont déposé un recours devant le Conseil d’État soutenant que de telles exigences empêchaient le bon fonctionnement des blocs opératoires. Fin 2021, le Conseil d’État a enjoint la DGOS à revoir son texte sous trois mois au risque de se voir appliquer des pénalités financières. Après une première mouture largement amendée par le Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) en février 2023, la DGOS a revu sa copie en juin 2024. « Nous sommes de nouveau en désaccord avec son contenu, fait savoir Magali Delhoste, présidente de l’Union nationale des associations d’infirmier(ère)s de bloc opératoire diplômé(e)s d’État (Unaibode). Le texte a d’ailleurs été de nouveau largement amendé par le HCPP, mais nous ne savons pas si la DGOS va en tenir compte, le HCPP n’ayant qu’une voix consultative. »

L’absence de contreparties

L’objectif des nouvelles mesures transitoires envisagées serait d’autoriser des infirmières ayant reçu une formation courte - dont la durée n’est pas précisée par le texte à l’étude - à réaliser l’ensemble des actes Ibode. Ces mesures devraient leur être permises pendant cinq ans. « Dans l’absolu, nous sommes contre les mesures transitoires, mais nous sommes contraints de les accepter car si nous n’avons pas un nombre suffisant d’infirmières pouvant exercer au sein des blocs opératoires, ces derniers devront fermer pour des raisons de sécurité », indique Olivier Wacrenier. Cependant, les représentants de la profession rejettent ce texte, regrettant que la DGOS résume la spécialité à dix actes exclusifs. Et ce, alors même que les Ibode ont gagné en autonomie grâce à l’évolution de leur formation au niveau master (décret du 27 avril 2022).

Ils dénoncent également l’absence de contreparties : le texte ne précise pas que les infirmières titulaires des mesures transitoires ne pourront pas exercer en autonomie. « Elles ne peuvent et ne doivent pas être autonomes, estime Olivier Wacrenier. Il relève de la responsabilité du chirurgien de décider si l’IDE détient ou non la capacité d’effectuer l’acte envisagé. » Les représentants des Ibode souhaitent, par ailleurs, que le décret intègre la notion de contrat d’engagement pour les établissements hospitaliers. « Ils seraient ainsi contraints de s’engager à envoyer chaque année des infirmières en formation Ibode afin d’éviter toute stagnation dans les mesures transitoires », rapporte Magali Delhoste. La profession souhaiterait par ailleurs que toutes les infirmières intégrant les mesures transitoires soient issues d’un établissement ayant signé un contrat d’engagement avec l’Agence régionale de santé (ARS). Si le texte ne prévoit que des mesures transitoires et non un contrat d’engagement, les représentants craignent que les établissements ne prennent pas la peine de financer une formation de deux ans et le maintien de salaire à des infirmières souhaitant devenir Ibode. Ils se « contenteront » de les inscrire à la formation courte liée aux mesures transitoires, surtout dans un contexte de tension des ressources humaines. « Les 25 écoles d’Ibode affichent déjà une baisse du nombre de candidats », fait savoir Marie-Sophie Niay, présidente de l’Association des enseignants des écoles d’infirmiers de bloc opératoire (Aeeibo). En 2020-2021, 1 350 dossiers avaient été déposés pour le concours. En 2024, ce nombre est passé à 920. D’après la profession, ce contrat d’engagement doit être associé à des revalorisations salariales. Le Snibo a comme objectif de demander aux tutelles une révision du delta entre le salaire des infirmières faisant-fonction Ibode ou infirmières « mesures transitoires », et les Ibode, car actuellement, l’écart salarial n’est pas suffisamment encourageant au regard de l’investissement qu’implique la formation de deux ans. « Notre objectif est d’acter une différence de salaire comprise entre 500 et 800 euros, ce qui encouragerait également les infirmières à vouloir devenir Ibode », soutient Olivier Wacrenier. Et d’ajouter : « L’autonomie, les connaissances et les spécificités de notre diplôme doivent être valorisées. »

Promouvoir la sécurité et la qualité des soins

Cette valorisation de la spécialité et de la présence des Ibode au sein des blocs opératoires est indispensable pour la qualité et la sécurité des soins. « Certes, le Conseil d’État demande à la DGOS de garantir la continuité des soins, mais qu’en est-il de la qualité et de la sécurité des soins des patients avec des infirmières formées uniquement pendant 21 heures ? », interroge Marie-Sophie Niay. Et ce, alors même que la formation Ibode a évolué depuis la rentrée de septembre 2022 pour atteindre le niveau master. Désormais, dans l’ensemble des écoles, la première année se concentre sur l’apport théorique et la seconde sur des stages. Parmi la nouveauté : le stage d’assistance de chirurgie, de six semaines (210 heures), au cours duquel la future Ibode apprend aux côtés d’un chirurgien, tuteur de son stage, l’ensemble des actes techniques complexes : ligatures et sutures (nœuds profonds, entre autres), résection, dissection, exérèse. « Toutes les écoles ont travaillé en lien avec les cliniques, les centres hospitaliers (CH) et les CH universitaires (CHU) pour identifier des référents chirurgicaux acceptant d’être tuteurs de futures Ibode », indique Olivier Wacrenier. Ce stage permet à l’infirmière d’apprendre à travailler en autonomie. « C’est une plus-value pour l’Ibode qui devient l’assistante chirurgicale du chirurgien », ajoute Marie-Sophie Niay.

Dans le cadre de la nouvelle formation, l’accent est également mis sur la recherche avec une nouvelle unité d’enseignement. « Les compétences acquises permettent de prendre une vraie place dans la recherche paramédicale, estime Laëtitia Clabé, cadre de santé formatrice au CHU de Montpellier. Il va toutefois falloir du temps pour que les Ibode investissent cet axe. » Pendant leur formation, elles ont accès à des cours ainsi qu’à un stage dédié à la recherche, et doivent rédiger un projet de recherche sur une thématique variée (chirurgie, sciences humaines). « L’Ibode est désormais équipée car elle acquiert une méthodologie de recherche qui, en lien avec son expertise métier, lui apporte un regard complémentaire, ajoute-t-elle. Je suis très optimiste pour les années à venir. »

Et la pratique avancée ?

Face à toutes ces avancées, les Ibode aimeraient voir leurs compétences en pratique avancée reconnues. « Nous considérons déjà effectuer de la pratique avancée car nous avons des actes que nous réalisons en autonomie », souligne Christophe Verrier, président du Conseil national professionnel (CNP) Ibode. Elles peuvent par exemple effectuer, sur protocole, la mise en posture chirurgicale du patient ou des sutures cutanées et sous-cutanées. « Mais dans les faits, nous les réalisons déjà sans les protocoles, confie-t-il. Il s’agit donc d’une forme de pratique avancée. » Pour autant, la spécialité ne veut pas basculer dans le modèle de formation IPA avec une année commune et une année de spécialité, étant donné qu’elle possède déjà deux années de spécialité. « Nous voulons rester sur notre modèle voire disposer d’une troisième année, pour développer de la pratique avancée par spécialité chirurgicale, précise-t-il. Celles qui le souhaitent pourraient ainsi avoir accès à des actes techniques et à de la prescription, notamment pour libérer du temps chirurgical. » Entre ce que la spécialité envisage pour son avenir - évolutions qui seraient uniquement accessibles aux Ibode -, et ce que les chirurgiens accepteront, tout reste à construire.

TÉMOIGNAGE

La formation Ibode m’a apporté de la rigueur

Émilie Melloni, Ibode au CH de Grasse, diplômée en juin 2024

« J’ai commencé à exercer au bloc opératoire au sein d’une clinique privée, mais la direction refusait de me former à la spécialité. J’ai donc rejoint la fonction publique dans ce but. J’ai dû attendre mon tour, pendant six ans, et je suis diplômée Ibode depuis cette année. L’évolution de la formation était selon moi nécessaire car cette mastérisation nous a ouvert des lieux de stage et montre davantage nos compétences. Nous effectuons notamment un stage de six semaines en tant qu’assistant chirurgical - qui n’existait pas auparavant -, au cours duquel le chirurgien, tuteur de notre stage, nous apprend les techniques opératoires. Cette formation démontre l’intérêt de notre présence au sein des blocs, car nous détenons des compétences et une expertise dont ne disposent pas les infirmières non Ibode. Désormais, certains chirurgiens le reconnaissent. Mais d’autres penseront toujours que la formation d’Ibode n’est pas nécessaire. Personnellement, j’ai aussi tenu ce discours car lorsque j’ai commencé en clinique, je n’avais pas d’autre choix que de me débrouiller. Mais la formation Ibode m’a apporté de la rigueur, un meilleur respect des règles d’hygiène, la connaissance sur la prise en soins du matériel, l’organisation optimale d’une table d’instrumentation, etc. Je suis désormais beaucoup plus efficace. De retour en poste, j’ai senti de la reconnaissance de la part de mes collègues et des chirurgiens. Je suis davantage légitime, j’ai pris de l’assurance et je peux mieux m’affirmer. En revanche, la revalorisation salariale n’est pas à l’ordre du jour malgré notre formation de niveau master. »