L'infirmière n° 050 du 01/11/2024

 

PHARMACOLOGIE

BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL

Isabelle Sogno-Lalloz*   Guilhem Jocteur**  


*thérapeute, formatrice en aromathérapie et directrice générale du site www.apoticarius.com
**docteur en pharmacie, formateur en aromathérapie et président du site www.apoticarius.com

Être soignant aujourd’hui, c’est faire face à une série de défis complexes qui peuvent affecter tant la santé physique que mentale. Dans ce contexte, prendre soin des soignants est devenu une nécessité. Et c’est précisément là que les huiles essentielles entrent en jeu. Explications.

Métier passionnant et enrichissant, le travail des soignants a toujours impliqué de nombreuses heures de travail, de longues périodes en station debout et une charge physique, mentale et émotionnelle importante. Depuis quelques décennies des contraintes supplémentaires sont apparues ; problématiques de sous-effectif chronique, charge administrative accrue, difficultés structurelles propres à l’organisation du système de santé français. Les crises sanitaires des dernières années ont encore aggravé la charge de travail. L’aromathérapie fait partie des ressources qui peuvent être mises à disposition des équipes pour améliorer le bien-être de tous, et des infirmières en particulier. En effet, les huiles essentielles (HE) constituent une offre intéressante pour la gestion des maux les plus courants.

- Santé mentale : utilisées par voie olfactive, combinées avec des exercices respiratoires, d’autohypnose ou de visualisation, les fragrances des HE peuvent aider les soignants à mieux appréhender leurs émotions pour ne pas rester bloqué dans un état émotionnel délétère.

- Stress et sommeil : le pouvoir calmant des huiles essentielles n’est plus à prouver. Utilisées en diffusion, elles peuvent aider à apaiser ou au contraire, à stimuler le mental pour diminuer l’anxiété et favoriser un meilleur sommeil.

- Santé physique : les huiles essentielles peuvent, une fois diluées dans une huile végétale et appliquées en friction ou massage, aider à soulager les troubles musculosquelettiques, les problèmes digestifs, ou encore aider à combattre les pathologies hivernales. Avoir une petite trousse de base peut contribuer à rester en bonne santé.

L’aromathérapie pour la gestion du stress

Les huiles essentielles exercent une influence notable sur les systèmes sympathique et parasympathique. L’huile essentielle de lavande officinale ou vraie (Lavandula angustifolia ou officinalis), par exemple, contient une forte concentration d’acétate de linalyle et de linalol, dont les effets anxiolytiques ont été prouvés cliniquement. De nos jours, cette huile est reconnue pour ses effets similaires à ceux des benzodiazépines, et est souvent citée comme « benzodiazépine-like ». Les HE riches en citral, comme celles de litsée citronnée (Litsea cubeba ou citrata) et de mélisse (Melissa officinalis), ont des propriétés sédatives et calmantes pour le système nerveux central en agissant sur les neuromédiateurs. Les coumarines, présentes dans certaines HE, sont également calmantes et sédatives, réduisant l’excitabilité réflexe au niveau central. Elles sont donc utiles pour traiter l’anxiété, le stress, la dépression, les dystonies neurovégétatives et les asthénies, comme dans le cas des essences d’agrumes (bergamote et mandarine). De nombreuses huiles essentielles possèdent des fragrances agréables et fédératrices. Leurs odeurs peuvent transmettre un message chimique au bulbe olfactif, qui active ensuite le système limbique. Ce système est le centre des émotions, de la mémoire et des comportements instinctifs, faisant de l’olfaction un outil thérapeutique puissant capable d’influencer les comportements.

Comment choisir les HE qui vous correspondent le mieux ?

- Privilégiez la voie olfactive qui est la meilleure pour agir sur votre bien-être.

- Faites confiance à votre nez et allez vers les HE apaisantes/stimulantes qui vous paraissent les plus agréables…

Plus vous apprécierez l’odeur d’un mélange aromatique, plus il sera susceptible de vous faire du bien !

Conseils pour prendre du recul grâce à une méditation olfactive

- Placez-vous dans un endroit calme où vous pourrez rester tranquillement assis(e) pendant 5 bonnes minutes.

- Installez-vous confortablement assis(e) sur une chaise les pieds au sol et le dos droit.

- Placez 1 à 2 gouttes de votre HE préférée sur un mouchoir ou un disque de coton.

- Approchez celui-ci à une distance raisonnable de votre nez, suffisamment près pour le sentir mais pas trop pour que cela ne vous incommode pas.

- Fermez doucement les yeux et respirez normalement.

- Suivez d’abord attentivement le trajet de l’odeur dans votre corps.

- Portez votre attention sur les sensations dans le nez, puis la bouche, la gorge, les poumons, le crâne.

- Que ressentez-vous ? Plutôt une sensation de chaud ou de froid ?

- L’odeur monte-t-elle ou descend-elle dans votre corps ?

- Cette odeur crée-t-elle des symptômes physiques tels qu’une meilleure respiration, de la salivation, des gargouillements ou autre ?

- Avez-vous l’impression qu’elle modifie votre manière de percevoir l’extérieur, les bruits, la luminosité que vous percevez à travers les yeux clos ou encore les sensations sur votre peau ?

- Interrogez vos émotions. Toujours en respirant normalement, laissez les réponses aux questions ci-dessous venir à vous. Si vous bloquez sur l’une d’elles, poursuivez tranquillement en vous laissant guider par l’odeur respiration après respiration.

- Est-ce que cette odeur vous rappelle quelque chose/quelqu’un ? quoi/qui ? Associez-vous cette odeur à un lieu ?

- Quelle couleur, s’il y en a une, vous vient à l’esprit ?

- Quelles émotions créent-elles ? Vous sentez-vous plus ou moins joyeux, rassuré, apaisé ?

- Sentez-vous des changements s’opérer ? Si oui, lesquels ?

- Laissez venir, observez puis laissez passer.

Au bout de 5/10 minutes, vous pourrez tranquillement remettre votre corps en mouvement, vous étirer, respirer ou bien bailler profondément, rouvrir les yeux et reprendre le cours de vos activités.

Si jamais vous ressentez une gêne physique ou émotionnelle lors de cet exercice, arrêtez la méditation, aérez la pièce, lavez-vous les mains et respirez calmement. Vous pourrez, si vous le souhaitez, retenter l’expérience à un autre moment. Peut-être en diluant l’huile essentielle (HE) au préalable dans de l’huile végétale neutre (HV) comme de l’amande douce (1 goutte d’HE dans 9 gouttes d’HV) et/ou en éloignant davantage le mouchoir de votre nez pour le rapprocher au fur et à mesure.

Les HE pour aider à mieux dormir

Un mauvais sommeil peut entraîner une dégradation de l’humeur, une majoration des douleurs et évidemment, de la fatigue morale. Difficulté à s’endormir ou à rester endormi, sommeil non réparateur sont des symptômes très fréquents. Les causes sont multiples et l’hygiène de vie joue un rôle très important dans la qualité du sommeil.

De nombreuses études prouvent l’efficacité de l’inhalation d’HE sur la qualité du sommeil. Les plus fréquemment citées étant la lavande fine (Lavandula angustifolia), la camomille romaine (Chamaemelum nobile), le petit grain bigaradier (Citrus aurantium var amara, feuilles) ou la rose (Rosa damascena).

Notre conseil est plutôt de créer un mélange adapté à vos préférences olfactives et de diffuser entre 5 et 10 gouttes du mélange environ 30 minutes avant le coucher dans un diffuseur à froid adapté.

Exemples de formules :

- Ylang-ylang (1 goutte) + orange (4 gouttes) + petit grain de bigarade (2 gouttes).

- Lavande fine (4 gouttes) + camomille romaine (2 gouttes) + litsée citronnée (1 goutte).

Pour diminuer la douleur

L’aromathérapie ne peut pas se substituer à l’exercice physique et au repos mais peut apporter une aide précieuse. Nombre d’huiles essentielles ayant des effets antalgiques, antispasmodiques ou anti-inflammatoires pourront être appliquées localement pour diminuer la douleur.

D’où vient l’effet antidouleur des HE ?

- Du plaisir olfactif qui agit sur la composante émotionnelle de la douleur.

- De l’interaction du toucher avec les fibres sensorielles de la peau qui peut altérer la transmission de la douleur irradiée.

- De leurs propriétés pharmacologiques :

• le menthol (HE de menthe poivrée) et le camphre (HE de romarin à camphre, de lavande aspic), très souvent utilisés de concert, sont des agonistes des thermorécepteurs, ce qui leur permet d’exciter puis de désensibiliser les nerfs sensoriels au niveau cutané ;

• les aldéhydes terpéniques (contenus par exemple dans l’HE d’eucalyptus citronné, de litsée, ou de lemongrass) inhibent la réponse inflammatoire localement et agissent sur les nocicepteurs, tant au niveau cutané que viscéral ;

• le salicylate de méthyle contenu en grande quantité dans l’HE de gaulthérie agit comme de l’aspirine, c’est un anti-inflammatoire, antalgique et antispasmodique ;

• le β-caryophyllène (présent en grande quantité dans le baume de copahu, l’HE de chanvre, girofle feuille, et en moindre proportion dans l’ylang-ylang) agit en se fixant sur les récepteurs des cannabinoïdes de type 2 et possède ainsi un effet anti-inflammatoire et antalgique. C’est également un super allié dans le traitement de l’anxiété et du stress grâce à ses actions anxiolytiques.

En résumé

HE anti-inflammatoire : gaulthérie, hélichryse italienne, katafray, eucalyptus citronné, litsée citronnée, lemongrass, gingembre, ylang-ylang.

HE antalgique : menthe poivrée, laurier noble, lavandin(s), lavande aspic, romarin à camphre.

HE antispasmodique : basilic exotique, lavande fine, petit grain de bigarade, lavandin(s), camomille noble, romarin à camphre.

Nous vous recommandons d’utiliser des HE préalablement diluées dans une huile végétale en toucher détente, ou en friction. La concentration des préparations utilisées par voie cutanée doit être adaptée selon l’intensité de la douleur et la surface d’application.

Exemple d’une formule dosée à 5 % pour une « douleur modérée musculosquelettique » :

Déposez dans un flacon en verre teinté de 10 ml :

- 5 gouttes d’HE de lavande aspic (Lavandula latifolia),

- 5 gouttes d’HE de menthe poivrée (Mentha piperita),

- 3 gouttes d’HE de gaulthérie (Gaultheria procumbens),

- 2 gouttes d’HE d’eucalyptus citronné (Eucalyptus citriadora),

- complétez avec de l’huile de macération d’arnica et agitez le flacon,

- appliquez une noisette sur la zone douloureuse, 2 à 3 fois par jour, pendant 7 à 10 jours.

Précautions

L’automédication est déconseillée, en particulier dans les cas suivants :

- allergies connues aux huiles essentielles,

- grossesse et allaitement,

- antécédents de convulsions,

- personnes épileptiques,

- personnes asthmatiques.

Sensibilités et allergies : toujours effectuer un test cutané avant d’utiliser une nouvelle HE pour vérifier toute réaction allergique.

Qualité : utiliser des huiles essentielles de haute qualité, pures et certifiées.

Attention également aux précautions spécifiques à chaque HE (ex : la gaulthérie couchée est contre-indiquée avec la prise concomitante d’anticoagulants).

En cas de conditions médicales préexistantes ou de prise de médicaments, consulter un professionnel de la santé avant d’utiliser des huiles essentielles.

Conclusion

Vous l’aurez compris, les huiles essentielles ont à la fois un impact pharmacologique par l’action de leurs molécules actives sur les symptômes, mais aussi une action psycho-émotionnelle, par leurs odeurs qui agissent au plus profond du cerveau au travers de l’olfaction.

Qu’elles soient utilisées par voie inhalée, ou en application cutanée, elles apportent un réel confort au quotidien pour de nombreux troubles. Leurs actifs aux faibles poids moléculaires pénètrent facilement dans notre organisme et leurs multiples mécanismes d’action permettent des effets ciblés et subtils à la fois.

Cependant, l’utilisation des HE demande un certain niveau de connaissances et de compétences. Suivez les formules élaborées par des professionnels au départ, et pour pouvoir commencer à conseiller l’aromathérapie en toute sécurité, nous vous recommandons un minimum de deux jours de formation !

Références

  • 1. Aromatherapy : The effect of lavender on anxiety and sleep quality in patients treated with chemotherapy Özkaraman, A., Dügüm, Ö., Yilmaz, H.-Ö. & Yesilbalkan, Ö-U. (2018).
  • 2. The effect of lavender on anxiety and sleep quality in patients treated with Chemotherapy. Clinical journal of oncology nursing, 22(2), 203-210.
  • 3. Efficacy of aromatherapy with Rosa damascena in the improvement of sleep quality of cancer patients : A randomized controlled clinical trial
  • 4. 2017, Turkey, Gok Metin Z., Arikan Donmez A., Izgu N., Ozdemir L., Arslan I.E. Aromatherapy Massage for Neuropathic Pain and Quality of Life in Diabetic Patients
  • 5. Saiyudthong S, Marsden CA. Acute effects of bergamot oil on anxiety-related behaviour and corticosterone level in rats. Phytother Res. 2011 Jun;25(6):858-62. doi: 10.1002/ptr.3325.
  • 6. Carvalho-Freitas MI, Costa M. Anxiolytic and sedative effects of extracts and essential oil from Citrus aurantium L. Biol Pharm Bull. 2002 Dec;25(12):1629-33.
  • 7. Hongratanaworakit T, Buchbauer G. Evaluation of the Harmonizing Effect of Ylang-Ylang Oil on Humans after Inhalation. Planta Med 2004;70(7):632-636.

9 règles d’or pour un sommeil réparateur

1 Conserver, dans la mesure du possible, des horaires de lever et de coucher réguliers

2 Dormir selon ses besoins mais pas plus

3 Attention aux siestes trop longues, favoriser les siestes de 20 minutes (voire 5 à 10)

4 Pas d’écran pour s’endormir ou juste avant de se coucher

5 Exercice physique la journée à l’extérieur pour avoir sa dose de lumière

6 Prendre les vitamines/plantes toniques le matin

7 Éviter les repas trop copieux le soir

8 Chambre à 18/20 °C, lit confortable, chambre aérée, non encombrée

9 Alcool, nicotine, café à éviter dès le milieu d’après-midi

QUESTIONS À MARINE HUSSON

“Nous avons décidé d’offrir ce service à tous les soignants de l’hôpital”

Diplômée de l’Ifsi de la Capelette à Marseille en 2016, Marine Husson, cadre de santé a intégré directement l’Hôpital européen de Marseille comme infirmière de nuit, avant de devenir coordinatrice et cadre de santé en juillet 2023. Elle est titulaire, depuis 2022, d’un diplôme « Aromathérapie scientifique à visée clinique » de l’université de Bourgogne financé grâce à la bourse de la Fondation Gattefossé.

Comment est né le projet des huiles essentielles pour les soignants dont vous êtes la référente ?

Nous avons répondu à un appel à projet intitulé « Coup de pouce 2020 » mis en place par la Fondation Gattefossé lors de la période de Covid-19. L’objectif était d’apporter, dans ce contexte de crise sanitaire particulièrement éprouvant, un soutien aux équipes soignantes en mettant en place un projet d’aromathérapie basé sur une distribution d’aromasticks à visée antistress et relaxante pour les soignants. Ce programme a permis de financer le matériel dans 20 établissements entre novembre 2020 et avril 2021 dont l’Hôpital européen à Marseille. La Fondation a fait don du matériel pour la diffusion des huiles essentielles et la distribution d’aromasticks à hauteur de 500 euros. Cette action s’est inscrite naturellement dans le projet « Mon réflexe bien-être » mené au sein de l’hôpital qui proposait déjà des activités et des outils permettant d’évacuer les tensions (yoga, stretching, hypnose, massages). Elle venait aussi s’ancrer dans l’hôpital, porteur depuis trois ans déjà d’un projet d’aromathérapie destiné, lui, aux patients.

Quelles huiles essentielles sont utilisées ?

Le choix des huiles essentielles s’est fait en partenariat avec le pharmacien formateur, Guihem Jocteur, les pharmaciennes et l’équipe des « Petits arômes » de l’Hôpital européen dont je fais partie. Nous avons opté pour des synergies de notre laboratoire partenaire et proposons quatre options aux soignants qui sont intéressés par la démarche. Il s’agit de Felix Vita pour l’harmonie et la joie de vivre (pamplemousse, bergamote et patchouli) ; Quiétudo pour l’apaisement et le recentrage (orange, encens, petit grain bigarade, ylang-ylang, cyprès toujours vert) ; Aurora pour la bonne humeur et le calme (orange, litsée citronnée, marjolaine à coquilles, ylang-ylang) ; Alma Nox pour le sommeil et le calme (mandarine, lavande vraie, orange douce, géranium rosat, camomille romaine).

Comment se déroule l’utilisation des sticks ?

Elle s’inscrit dans une démarche de bien-être au travail, nous avons donc décidé de ne pas nous focaliser sur un seul service de soins mais d’offrir cette possibilité à tous les soignants de l’hôpital (médecin, IDE, brancardier, aide-soignant…). Nous avons communiqué sur le sujet (Intranet et bulletin d’information interne) afin d’informer les soignants pour qu’ils prennent rendez-vous. Lors de cet entretien au bureau du comité social et économique (CSE), le soignant remplit un questionnaire avant utilisation pour déterminer les contre-indications éventuelles (épilepsie, asthme, allergie à l’un des constituants, BPCO, femme enceinte, métastase cérébrale). Ensuite, il peut sentir les différentes synergies proposées et choisit celle qui lui convient le mieux. L’utilisation des sticks individuels se fait en inhalant la formule deux à trois fois de suite dans chaque narine avec une pause entre chaque cycle. Et il répète l’inhalation trois à cinq fois maximum par jour en fonction de ses besoins. Il est important de respecter des précautions d’usage, à savoir éviter le contact avec les yeux, la peau et les muqueuses, ne pas avaler, ne pas exposer les sticks au soleil et ne pas les laisser à la portée des enfants, particulièrement ceux de moins de sept ans. Pour les soignants, de jour comme de nuit, il suffit de garder le stick dans la poche de sa blouse. Comme pour les patients, nous avons mis en place un questionnaire de satisfaction. Sur les 500 sticks disponibles, 400 ont été distribués à ce jour aux soignants avec un retour très positif. Nous sommes désormais dans la dernière phase de distribution, en espérant que cette action dédiée au bien-être des soignants soit reconduite.

Propos recueillis par Isabel Soubelet