L'infirmière n° 051 du 01/12/2024

 

EXERCICE LIBÉRAL

PRATIQUE

Laure Martin*   Agathe Blondeaux**  


*juriste spécialisée en professions libérales de santé chez Fiducial

La fermeture d’un cabinet libéral s’organise. Des étapes doivent être respectées, pour l’infirmière concernée, ses collègues et ses patients.

Que ce soit pour partir à la retraite ou changer d’activité, une infirmière libérale (Idel) ne peut décider de la fermeture de son cabinet du jour au lendemain. En raison des nombreuses obligations à respecter, l’anticipation est de mise.

1/ PRÉVOIR LA CONTINUITÉ DES SOINS

L’Idel doit respecter ses responsabilités vis-à-vis de ses patients, notamment assurer la continuité de leurs soins (article R. 4312-12 du Code de santé publique). Cela se traduit, dès sa prise de décision, par la nécessité de les orienter vers des confrères, d’autres cabinets, l’hospitalisation à domicile (HAD), les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), voire l’hôpital, ou le 15 si besoin. Si elle ne s’y astreint pas, une plainte peut être déposée à son encontre pour mise en danger du patient. Concernant son exercice, l’Idel a des devoirs vis-à-vis de ses collègues. Si elle exerce en groupe, elle doit vérifier et respecter les modalités de résiliation du contrat qui les lie. Même si aucun contrat n’a été conclu entre elles, il est déconseillé à l’Idel d’abandonner ses consœurs du jour au lendemain. De même que si l’ensemble des décisions liées à cet arrêt sont prises à l’amiable, il est préconisé d’envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception mentionnant un préavis raisonnable de trois à six mois. Car, en cas de conflit, sans lettre recommandée, donc sans preuve, le juge pourra acter d’une rupture abusive de l’activité. L’Idel doit aussi prévenir les professionnels avec lesquels elle a l’habitude de travailler : médecins généralistes, pharmaciens, laboratoires de biologie médicale, etc. Enfin, elle doit tenir à disposition des Idel reprenant ses patients, les dossiers médicaux de ces derniers.

2/ CÉDER SON ACTIVITÉ

L’arrêt définitif de l’activité entraîne généralement la cession des éléments incorporels qui y sont attachés, notamment la patientèle. Souvent, le contrat liant l’Idel à ses associées ou collaboratrices prévoit une présentation préférentielle ; le rachat de la patientèle est alors prioritairement proposé aux consœurs du cabinet. En l’absence de contrat, il est conseillé à l’Idel, dans son devoir de bonne confraternité et de continuité des soins, d’entreprendre la même démarche. Elle peut vendre sa patientèle à toute autre Idel intéressée. Il est alors important d’inclure les associées dans le recrutement de la future infirmière afin de s’assurer que les profils convergent, qu’elles ont la même façon d’envisager les prises en charge des patients.

La cession de patientèle implique la conclusion d’un contrat entre l’Idel cédant et l’acquéreur. Ce contrat doit être transmis au conseil départemental de l’Ordre des infirmiers (CDOI) et à l’administration fiscale puisqu’il s’agit d’une vente donnant lieu à une imposition. Le montant du prix de la patientèle relève de la liberté contractuelle, donc d’une négociation entre les parties. Si aucun texte ne régit les modalités financières d’une cession, la pratique professionnelle prévoit entre 20 à 40 % du chiffre d’affaires moyen des trois dernières années. Peuvent agir sur le prix : le zonage, la démographie du territoire, la situation géographique du cabinet, le type de patientèle, le contexte concurrentiel, ou la spécificité d’une certaine partie de la patientèle. Lorsque la succession est actée, des tournées en binôme peuvent être organisées pour effectuer les présentations aux patients. Si l’Idel est propriétaire du local, elle bénéficie d’un droit de propriété absolu. Elle peut le céder, le garder ou décider de mettre un terme à la location du cabinet. Elle doit cependant respecter les conditions inscrites au sein du bail professionnel. Enfin, elle peut envisager la vente de l’ensemble de son matériel professionnel.

3/ PRÉVENIR LES ORGANISMES ET TUTELLES

L’Idel doit accomplir plusieurs démarches administratives en amont de l’arrêt : prévenir la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurskinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) 90 jours avant la cessation d’activité afin de mettre un terme au prélèvement de ses cotisations. Idem pour l’Urssaf, l’objectif étant de concourir à un arrêt harmonieux de son activité [lire encadré] ; prévenir sa caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) afin d’être déconventionnée et permettre, en zone surdotée, à une autre infirmière de s’installer. Cependant, depuis la signature, en mars 2019, de l’avenant 6 à la Convention nationale des infirmiers libéraux, toute infirmière installée souhaitant cesser son activité doit nommer un successeur sinon, la place reste vacante. La future retraitée et sa successeure doivent toutes deux remplir un document, accompagné d’une lettre de motivation pour la future Idel. Le dossier est ensuite examiné devant la commission paritaire départementale (CPD), décisionnaire. Si l’Idel part à la retraite ou se lance dans une autre activité n’ayant aucun lien avec le métier d’infirmière, elle doit demander sa radiation à son CDOI en apportant la preuve de la fin de son activité avec les documents remis par la Carpimko, l’Urssaf ou la CPAM. La radiation prend effet à la date de cessation de l’exercice. Si elle décide de ne plus exercer en libéral mais de retourner en salariat, elle doit prévenir son CDOI en raison des modifications de ses conditions d’exercice, donc de son statut, ce qui a un impact sur le montant de sa cotisation. L’Idel doit aussi se renseigner sur l’ensemble de ses obligations contractuelles en lien avec son activité afin d’anticiper les éventuelles résiliations. C’est le cas, par exemple, pour les logiciels professionnels ou encore le leasing de sa voiture. Enfin, d’autres démarches doivent être effectuées auprès des prévoyances, des banques ou des assurances pour prévoir la sortie des différents contrats financiers conclus en prévision de la retraite.

Anticiper le rattrapage des charges

Les charges liées à l’activité d’un cabinet peuvent faire l’objet de rattrapage, qu’il est nécessaire d’anticiper afin d’éviter toute difficulté financière. La dernière liasse fiscale doit être envoyée dans les 60 jours après l’arrêt d’activité. Les régulations des cotisations sont ensuite généralement rapidement envoyées par la Carpimko, l’Urssaf et les impôts. Si l’Idel a correctement anticipé son départ et mis de côté 50 % de ses revenus tel que conseillé, la somme restante devrait lui permettre de payer les régulations de charges et les frais professionnels. Un rappel : les cotisations de la Carpimko et de l’Urssaf reposent sur un forfait trimestriel, et tout trimestre commencé est dû. Il est donc plus intéressant d’arrêter son activité un 31 mars plutôt qu’un 1er avril. Pour les impôts, il est possible de demander une modification des acomptes en cas de baisse du revenu. Il est utile de solliciter les conseils d’un expert-comptable environ un an, voire un an et demi avant la date souhaitée de l’arrêt de l’activité.