L'infirmière n° 051 du 01/12/2024

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

STOMATHÉRAPIE

Anne-Lise Favier  

Infirmière depuis 1981, Corinne Lesage est stomathérapeute à l’hôpital privé de la Louvière (Lille). Forte de son expérience, elle accompagne, dès l’annonce du diagnostic, les patients qui vont devoir subir une stomie urinaire.

Les urologues du service de chirurgie de l’hôpital privé de la Louvière sont confrontés à la prise en charge des cancers de la vessie. Face aux tumeurs, la stomie urinaire n’est malheureusement pas une option pour certains malades qui vont, dès lors, devoir effectuer un travail de deuil face à l’altération de leur santé et la perte de la fonction urinaire naturelle. Pour les accompagner, dans son bureau aux murs vert pomme, Corinne Lesage, infirmière stomathérapeute, les attend. C’est une mission qui lui plaît : au bloc, où elle a travaillé un temps, « les patients sont endormis », se justifie-t-elle. Dès l’annonce du diagnostic, elle est présente pour l’entretien préopératoire qui suit la consultation d’annonce par le chirurgien : l’occasion pour elle de reformuler ce que ce dernier a expliqué et de s’assurer que tout a bien été compris. « Je pose beaucoup de questions, ce qui peut parfois surprendre, mais j’ai vraiment besoin de saisir comment les personnes que je suis vivent au quotidien pour leur proposer des solutions qui cadrent au mieux avec leurs habitudes », déclare Corinne Lesage. À l’aide de différents supports, elle détaille, de A à Z, les conséquences de la stomie : planches anatomiques, photos, moulage de stomie, petit film explicatif, rien n’est laissé au hasard pour qu’il soit possible de se représenter au mieux de quoi l’avenir sera fait. Elle parle aussi forcément de l’aspect pratique avec le matériel qui deviendra le quotidien du patient : poche, protecteur cutané pour les poches en deux parties, réservoir pour la nuit, crèmes, poudres et autres onguents pour protéger la peau ou la préparer à la pose de la stomie, tout y est abordé : « Mes armoires sont pleines de matériel pour pouvoir proposer ce qui semble le plus adapté à chacun », révèle la stomathérapeute pour qui ces équipements n’ont plus aucun secret.

Un lien indéfectible avec les patients

La veille de l’opération, l’infirmière stomathérapeute effectue aussi le marquage préopératoire pour l’emplacement de la stomie : une étape à ne pas négliger car le patient va devoir désormais composer tous les jours avec cette nouvelle particularité. Mal placée, dans un pli, par exemple, ou mal positionnée par rapport à son accessibilité et c’est confort et quotidien qui seront impactés : « La stomie doit être positionnée à distance des plis cutanés, des cicatrices ou des reliefs osseux et être accessible au patient en respectant ses habitudes, par exemple, vestimentaires », rappelle-t-elle. Pour que chacun appréhende le mieux possible cette nouvelle vie sans vessie, mais avec une poche, l’infirmière met en relation les anciens et les nouveaux stomisés pour un partage d’expériences, « ceux qui le vivent au quotidien sont les plus qualifiés pour en parler », estime-t-elle. Et des accompagnements, on peut dire que Corinne Lesage en a effectué beaucoup au cours de sa carrière. Certaines rencontres l’ont marquée, et c’est visiblement réciproque. Alors que nous échangeons dans son petit bureau du rez-de-chaussée, l’infirmière reçoit un coup de fil : c’est la fille d’une de ses anciennes patientes, qui a été stomisée il y a 25 ans. Elle souhaite de nouveau faire appel à ses compétences. « Je me souviens très bien d’elle, elle avait un profil très atypique… Il arrive en effet que certains reviennent vers moi, alors même qu’ils sont suivis dans un autre établissement, mais ils parviennent à me retrouver », s’amuse-t-elle, après avoir réorienté la personne en question vers la stomathérapeute de l’établissement où elle est suivie. L’an prochain, Corinne Lesage partira à la retraite, un moment auquel elle a longtemps réfléchi pour s’assurer de transmettre son savoir-être et son savoir-faire en matière de stomathérapie. Heureusement, elle est en train de passer le flambeau à une infirmière de chirurgie qui avait ce projet professionnel en tête. Mais pourquoi n’a-t-elle pas directement choisi la formation, en école de stomathérapie, pour transmettre ses connaissances et former de nouvelles professionnelles à ce métier qu’elle aime tant ? « J’ai toujours aimé la formation, c’est vrai mais par-dessus tout, j’aime les patients, le contact avec eux et cela me manquera assurément. Mon credo a toujours été de “faire, faire, faire et laisser faire” », nous explique-t-elle pour résumer son travail au quotidien.

Compétences transversales et œil expert

Corinne Lesage a commencé et poursuivi une grande partie de sa carrière au CHRU de Lille, années au cours desquelles elle s’est formée, inlassablement : « J’ai été diplômée en tant que stomathérapeute en 1988, mais j’ai aussi effectué des formations sur le dispositif d’annonce en cancérologie ainsi qu’en hypnose pour la gestion de la douleur ; j’ai également acquis des compétences en plaies et cicatrisations. Ce sont toutes des formations complémentaires qui me servent au quotidien dans mon activité de stomathérapeute », poursuit-elle. Elle côtoie chaque jour des malades qui traversent l’épreuve du cancer et peut être amenée à proposer des alternatives à la prise en charge de la douleur, notamment avec l’hypnose. Mais ce n’est pas tout : son expertise en plaies et cicatrisations lui permet d’appréhender toutes les difficultés qui peuvent se mettre en travers du chemin des stomisés. C’est souvent lors de la consultation de suivi que certaines problématiques émergent: « Les patients peuvent avoir peur de sortir de chez eux, notamment à cause de fuites qui pourraient se produire au niveau de la poche, mais je suis justement là pour les aider à progresser dans leur parcours avec la stomie. On considère que ce n’est qu’au bout de deux mois que la stomie est arrivée à maturité, au début, le bourgeon peut encore évoluer, notamment en taille. » Et puis il peut y avoir quelques soucis au niveau de la stomie que cette professionnelle a appris à reconnaître : « Les complications cutanées sont fréquentes, comme les dermites qui peuvent avoir différentes causes. Ce sont justement ces dernières qu’il faut identifier pour permettre leur traitement : la peau peut avoir été fragilisée par les traitements de chimiothérapie, par un appareillage inadéquat, une mauvaise position de la stomie ou une stomie rétractée. À chaque problème sa solution. Il y a aussi les cas d’incrustations de cristaux de phosphate qu’il faut surveiller. » Mais la plus grande vigilance de la stomathérapeute s’opère sur les risques de récidive de cancer : « Il faut vraiment faire attention de ne pas confondre une irritation locale au niveau de la stomie avec des métastases et là, c’est l’expérience qui va nous aider à distinguer ce qui est pathologique de ce qui ne l’est pas », assure-t-elle. Lors des consultations de suivi, au moins une fois par an, elle veille à ce que les stomisés n’aient pas développé de complications et que la gestion de la stomie soit devenue, pour eux, routinière. Mais pas seulement : « Le seul lien qui relie les patients à l’hôpital, c’est la stomie; et une fois qu’ils sont guéris, ils ont besoin de garder ce lien, ce que la consultation annuelle leur permet », pose-t-elle, comme pour mieux exprimer l’impact psychologique que cette intervention chirurgicale peut engendrer. Car au-delà de l’acte lui-même, ce que le patient va devoir appréhender, c’est le changement de représentation qu’il porte sur son propre corps. Pour l’y aider, Corinne Lesage, coordinatrice du dispositif d’annonce, peut l’orienter vers les autres soins de support, afin que sa réadaptation soit la plus douce possible.

Une formation certifiante

Pour devenir infirmière stomathérapeute, il faut suivre l’une des formations ouvertes aux infirmières diplômées d’État (IDE) exerçant depuis au moins trois ans, après une sélection sur dossier (lettre de motivation et projet de service). En France, quatre écoles sont accréditées pour dispenser la formation : Paris, Lyon, Bordeaux et Nîmes. La formation dure 44 jours sur 6 mois (240 heures au total) et aboutit à un certificat de clinique en stomathérapie homologué par le World Council of Enterostomal Therapists. Plusieurs modules théoriques et pratiques permettent d’acquérir les connaissances nécessaires pour la prise en charge de patients stomisés. Des formations courtes (3 à 5 jours), ne dispensant pas le certificat, permettent toutefois une sensibilisation à cette spécialisation.

TÉMOIGNAGE CUONG, TATOO-CŒUR

‘Je propose aux patients de les tatouer, une façon de se réapproprier leur corps’

À la suite de la découverte de son cancer de la vessie, Cuong Vû-Sève, artiste-tatoueur à Vendargues (Hérault), subit une stomie urinaire en 2023. Il raconte son quotidien et évoque l’association qu’il a créée pour remercier les soignants.

« Tout a commencé en 2022, alors que ma femme était hospitalisée pour un cancer du poumon après avoir subi une lobectomie. J’avais du sang dans les urines et j’ai alors pensé à une infection urinaire, même si je n’en avais jamais eu auparavant. J’ai pris du paracétamol et de l’ibuprofène et je me suis dit que ça allait passer », raconte Cuong Vû-Sève, artiste-tatoueur à la retraite depuis peu. Après quelques mois d’errance diagnostique où l’urologue qui le prend en charge pense d’abord à un caillot sanguin dans la vessie, Cuong se fait finalement opérer et on lui découvre une tumeur de 6 cm sur la vessie : « La biopsie a confirmé que la tumeur était invasive, qu’il allait falloir entamer une chimiothérapie et retirer cette masse en procédant à une cystectomie ainsi qu’à une ablation de la prostate. » On lui propose alors une alternative entre une néovessie ou une stomie urinaire avec dérivation de Bricker : « Pour la néovessie, on m’a expliqué que l’adaptation pouvait durer plus d’un an avec un risque d’échec ; dans ce cas, il faudrait procéder à une stomie urinaire. J’ai donc préféré opter directement pour la stomie, en connaissance de cause. » L’opération est programmée et après une dizaine de jours d’hospitalisation, dont quelques-uns en soins intensifs, Cuong est déclaré apte à la sortie : « On vous met à la porte du jour au lendemain. » Heureusement, l’infirmière stomathérapeute, avec laquelle il est toujours en relation aujourd’hui, lui explique comment gérer la stomie et le quotidien : « Au départ, une infirmière à domicile venait changer la poche et au bout de quelques jours, j’étais capable de m’en occuper seul ; il n’y avait pas de soins particuliers pour la stomie en tant que telle car les sutures sont internes. » D’une contenance de 400 ml, la poche est à vidanger plusieurs fois dans la journée et est reliée à un réservoir pour la nuit, car elle se remplit alors en continu : « Malgré tout, il m’arrive encore, machinalement, de vouloir aller aux toilettes », ironise Cuong.

Le tatouage comme une boîte de chocolats

Si le cancer et cette stomie ont changé sa façon d’appréhender les choses - « c’était une question de vie ou de mort » -, cela n’a pas entamé son appétit de vivre : « Je continue de faire de la moto, de voyager, d’aller me baigner, cela demande juste quelques petits aménagements », comme le fait de prévoir des consommables (poches de rechange, spray asséchant pour préparer la pose de la poche, etc.) en valise cabine lors des voyages en avion ou de porter un couvre-poche à la plage car la poche de stomie est transparente. Cela dit, Cuong est très à l’aise pour témoigner : « Le regard des gens face à la stomie est très variable : certaines personnes ne m’en parlent jamais, d’autres, intriguées, demandent à voir. Je n’ai aucun tabou là-dessus : j’ai même écrit un livre pour en parler.1 » Et pour marquer cette expérience, Cuong, tatoueur de métier, a créé l’association InKrabe2 autour de sa passion du tatouage et en lien avec le cancer : « Je propose aux patients qui traversent ou ont traversé eux aussi l’épreuve du cancer de les tatouer, une façon de se réapproprier leur corps, moyennant une petite participation forfaitaire. J’offre aussi cette possibilité aux soignants, car j’en ai croisé beaucoup, lors de mon parcours de soins, et c’est une manière pour moi de leur manifester ma reconnaissance, plutôt que de leur offrir une boîte de chocolats : avec certains, on parlait de tatouages alors je leur ai dit, “venez me voir, je vous en offre un”. Qu’ils soient infirmiers, aides-soignants, brancardiers ou encore aides-soignants hospitaliers, ce sont eux qui sont en contact direct et quotidien avec les patients. Qu’ils en soient remerciés… »

Propos recueillis par Anne-Lise Favier

1. L’Encre et le cancer, chronique d’un cancer de la vessie

2. cœurdetatoueur.fr/inkrabe/