L’AYURVÉDA SUR ORDONNANCE
DOSSIER
EXPÉRIENCE EN PSYCHIATRIE
Infirmière psychiatrique au centre hospitalier d’Erstein (Bas-Rhin), Pôle du Pays d’Alsace centrale, Séverine Weiss a proposé à des patients une thérapie psychocorporelle basée sur l’ayurvéda. Cette approche, personnalisée et rigoureusement dispensée sur prescription médicale, les aide à reprendre confiance en leurs capacités et retrouver goût à la vie.
Pendant sept ans*, Séverine Weiss, infirmière en psychiatrie à l’hôpital d’Erstein (pavillon Léonard de Vinci), en Alsace, a accompagné des personnes de tous horizons, en burn-out, ou souffrant de pathologies diverses : dépression, angoisses massives, troubles anxieux, bipolarité, schizophrénie, maladies psychotiques, irritabilité, douleurs chroniques.
Son approche : une thérapie individuelle s’appuyant sur les principes de l’ayurvéda qui a donné lieu, au sein de son hôpital, à un poste dédié « Ayurvéda, yoga, cuisine thérapeutique ». L’infirmière a pu pratiquer la thérapie ayurvédique dans son service avec le soutien du praticien hospitalier de son secteur, après validation du projet par la commission médicale d’établissement. « Les items de ma formation en ayurvéda, je les ai présentés aux médecins hospitaliers en montrant comment je voulais les utiliser. » Un projet de soins en psychiatrie que l’infirmière a présenté, tout aussi officiellement, à l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale.
À l’hôpital d’Erstein, les prises en soins se sont mises en place sur prescription médicale, les médecins pouvant s’appuyer sur les fiches rédigées par la soignante, à leur intention. « C’est une chance et une reconnaissance d’avoir été entendue, encouragée, confie Séverine Weiss. L’important est que cette thérapie soit considérée comme complémentaire, adaptée aux prises en soin existantes, inscrite dans une démarche très holistique. Le cadre rigoureux des prescriptions médicales est l’assurance de prodiguer nos soins dans un travail pluridisciplinaire cohérent. » Première étape du protocole : dresser le profil et le dosha prédominant (prakriti) du patient établi à l’aide d’un questionnaire assez long, pour explorer sa psychologie, sa physiologie et sa constitution physique. « Ce profil permet de cibler les ressources et les vulnérabilités de la personne et de lister les comportements à favoriser, ceux à éviter, comment s’équilibrer », indique l’infirmière, qui en remet un exemplaire au patient comme base de travail. « La "prakriti" correspond au recueil de données et les axes de travail en collaboration avec la personne soignée rejoignent l’éducation à la santé et les trois préventions, telles que définies dans le décret de juillet 2004** relatif à l’exercice de notre profession. »
Ces prises en soins personnalisées, proposées sur trois mois, pérennisables, se sont faites au rythme d’une rencontre tous les quinze jours. Les consultations commencent souvent lors de l’hospitalisation, pour se poursuivre en ambulatoire. « En fonction des difficultés du moment, on commence par établir une routine quotidienne (“dinacharya”) avec deux ou trois objectifs simples à atteindre. » Ces objectifs liés aux habitudes de vie et à l’environnement du patient, sont évalués la fois suivante et poursuivis, voire revus pour être améliorés, ou remis en question. Avec l’intention de ramener peu à peu la personne dans son équilibre, l’aider à mettre de la conscience dans un corps généralement délaissé, et à se stabiliser. « Cela demande à la personne de s’impliquer et de prendre conscience qu’il est nécessaire pour elle, de modifier certains comportements », indique l’infirmière. En bref, le patient, responsable de sa santé, s’engage à tenir compte de sa prakriti et à adopter de nouveaux comportements. « Cet aspect du patient acteur, mis en avant devant les médecins, a été un atout », confie la praticienne en ayurvéda, également formée en soins somatiques en santé mentale (DU).
Les conseils hygiéno-diététiques font partie intégrante du travail réalisé ici, avec le patient. « On rééduque le corps, la digestion, avec cet aspect nourriture aussi, et grâce à tout un travail mené autour des saveurs, des aliments à privilégier selon sa constitution, afin de retrouver un équilibre », indique la praticienne qui proposait par ailleurs des cours de cuisine ayurvédique en fonction des saisons, par groupe de quatre, « en lien avec le jardin thérapeutique de l’hôpital », précise-telle. À cela s’ajoute une prise en soins par le massage ayurvédique, dont les bienfaits psychologiques (calme, clarté mentale, résistance au stress, réduction de la fatigue), physiologiques (meilleur fonctionnement des organes sensoriels, activation des systèmes respiratoires, circulatoires) et physiques (relâchement musculaire, tonification, soulagement des douleurs, stimulation de la circulation) sont largement connus et documentés. « Le massage "abhyanga", en particulier, aide à réinvestir des sensations corporelles, ramener une conscience dans le corps », note Séverine Weiss qui organisait également des séances de yoga en groupe à l’hôpital. La majorité des personnes suivies en séance individuelle y ont assisté. « Aux personnes sans capacité "d’insight", j’utilise le yoga massage qui conduit à un rééquilibrage énergétique assez rapidement et à une relaxation du corps. » Les pratiques de Séverine Weiss sont venues compléter un arsenal d’activités thérapeutiques, accessibles sur prescription médicale, tels que l’ergothérapie, le shiatsu ou le yoga, l’art-thérapie et le Gi gong. « De plus en plus d’usagers sont en demande de soins de ce type et certains médecins prennent conscience du bénéfice que cela procure. En psychiatrie, c’est extrêmement intéressant. »
« La médecine ayurvédique intègre la notion de joie dans la santeì », rappelle la soignante qui a, avant tout, trouvé dans les préceptes de l’ayurvéda beaucoup de bon sens. « Cette médecine met en lien toutes les dimensions de l’être, et cela a une influence nette dans la façon d’aborder les personnes en souffrance. »
* Les séances ayurvédiques restent validées, mais sont momentanément suspendues pour des questions d’organisation et de disponibilité horaire dans un hôpital en sous-effectif.
** Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 relatif aux parties IV et V du Code de la santé publique (Chapitre I : articles R. 4311-1 et R. 4311-2)
Parmi les patients de Séverine Weiss, un directeur d’entreprise quinquagénaire, adressé à l'infirmière par un médecin. Le patient, toujours par monts et par vaux ou derrière un ordinateur, se trouve en burn-out extrême, avec des difficultés à s’exprimer, une grosse perte de poids, en totale perte de sens et de substance. « Hospitalisé avec une apathie, une aboulie, une anhédonie, et en grande crise existentielle, il s’est interrogé grâce à l’ayurvéda sur son profil et ses besoins », constate la praticienne. Le cheminement a été assez long, et c’est le massage qui, dans un premier temps, l’a beaucoup aidé à réinvestir l’instant présent. « Il s’est reconnecté à ses sensations corporelles, au lieu d’être tout le temps dans le mental avec des ruminations anxieuses et une incapacité à se projeter dans l’avenir. » Le patient est parvenu à reprendre soin de lui, il a repris du poids, changé de vie et opté pour un métier manuel. Il fabrique désormais des maisons en bois.
Séverine Weiss, infirmière psychiatrique au centre hospitalier d’Erstein (Bas-Rhin).
2001 DE infirmière
2009 DU « Soins somatiques en santé mentale »
2012 certificat de formation en physiologie ayurvédique, examen de la prakriti, pratique du massage ayurvédique
2014 certificat de formation en « yoga massage »
2015 stage d’approfondissement en massage ayurvédique « dosha massage »
2018 professeure de yoga
Autre patient pris en charge par Séverine Weiss : une femme de 44 ans avec un diagnostic de bipolarité, stabilisée par un traitement thymorégulateur. Après une phase dépressive, mise sous traitement antidépresseur, elle a pris 20 kg, perdu confiance puis son emploi, à la suite d’une phase maniaque. « Cette personne m’a été adressée par son médecin, et je lui ai proposé cette prise en soins ayurvédique. » La patiente faisait déjà de la méditation pleine conscience. « Ses trois “doshas” étaient au même niveau et il était très difficile de cibler, il lui fallait une cure alimentaire, une activité physique à recommencer… » En six mois, grâce aux nouvelles routines et aux soins prodigués, elle a perdu 17 kg, réorienté sa vie professionnelle vers l’aide à la personne. « Avec les outils proposés, elle a réapprivoisé sa personnalité et stimulé sa connaissance d’elle-même. En huit mois, elle avait recouvré une autonomie. »