L'infirmière n° 051 du 01/12/2024

 

DOSSIER

RENCONTRE

Médecin généraliste, Lionel Coudron travaille depuis une trentaine d’années à faire entrer la yogathérapie dans les hôpitaux français. Des soignants ou équipes médicales se forment un peu partout en France à cette pratique plurimillénaire indissociable de la culture indienne.

Le yoga, l’allié d’une bonne santé. » C’est ce que défend, depuis une trentaine d’années, Lionel Coudron, médecin généraliste de formation. « Je suis venu à la médecine parce que je faisais du yoga. » Cette discipline ancienne de l’Inde est censée aider à la réalisation du « Soi », en régénérant le corps et en élevant le mental. Comme la médecine ayurvédique, elle tient avant tout compte de la personne, dans sa globalité. Elle est engageante et impliquante et elle « recolle les morceaux » ! « Cette pratique touche beaucoup de choses, j’avais envie de mieux comprendre et d’explorer toutes les dimensions de la santé. » Le médecin a ainsi complété sa formation par la médecine du sport, la traumatologie du sport, la biologie, la nutrition et la psychothérapie. Ses premiers cours de yoga appliqués à la santé (la yogathérapie avant l’heure), il les a donnés alors qu’il était étudiant en médecine, dans les années 1980, sollicité par des professeurs qui voulaient comprendre. La première fois dans un service de gastro-entérologie de la Pitié-Salpêtrière, pour aider des patients qui souffraient de troubles digestifs. Puis en médecine fonctionnelle, à l’hôpital Albert-Chenevier de Créteil, spécialisé dans les soins de suite et de réadaptation. « Nous réalisions un accompagnement en rééducation pour des patients en hospitalisation chronique. » En a découlé la cocréation de l’association Médecine et yoga, en 1986.

Accompagnement sur mesure

Le médecin est un pionnier de la yogathérapie qui s’est, depuis, déployée peu à peu en France. « Cette pratique vient en complément d’un diagnostic et d’un suivi médical assurés par un médecin », prévient le généraliste, précurseur en médecine intégrative. « Chaque patient étant différent, les séances se font sur mesure, en fonction de sa pathologie. » Les outils de la yogathérapie, les mêmes que pour le yoga (postures, respirations, etc.), s’en distinguent toutefois par l’objectif - aider une personne à mieux gérer un trouble de santé - et par ses outils spécifiques, tels que les bilans de ressenti à travers une écoute qui s’avère précieuse (comment le patient vit sa maladie), la gestion des émotions, les conseils en alimentation santé, l’hygiène des rythmes, l’activité physique.

En bref, les cinq piliers de la santé. Et le spectre d’action de la yogathérapie est large. Cette dernière a toutefois la particularité, comme en médecine ayurvédique, d’impliquer le patient. « Il ne doit pas se contenter de venir en consultation, il doit donner un peu de temps pour pouvoir changer certaines façons de faire », rappelle Lionel Coudron. Le patient est acteur de sa santé. « Là, c’est direct ! »

Les bienfaits de la sérénité

Certains troubles peuvent ainsi être pris en charge, soignés, voire traités complètement, et les patients repartent en se sentant bien. Il peut s’agir d’un simple mal de dos, d’anxiété ou d’un choc post-traumatique, par exemple. D’autres maux, qui ne peuvent pas être guéris, vont toutefois être accompagnés par ces différents exercices. « Ils sont indiqués en particulier aux personnes qui souffrent de troubles telles que les maladies chroniques, inflammatoires ou auto-immunes, ou de troubles neurologiques sévères, mais aussi en oncologie, où il y a de vrais chocs. » En ce qui concerne la dépression, selon le type, on peut en tirer de grands bienfaits, s’améliorer et s’apaiser. « C’est déjà énorme ! » La yogathérapie peut même parfois aider à guérir.

« Dans tous les cas, en particulier à l’hôpital, l’objectif est de permettre à la personne souffrant d’une pathologie, d’être plus sereine », affirme-t-il. Ces exercices rendent le souffle plus calme, plus profond, plus fluide, plus lent. Ils génèrent des pensées moins anxieuses, irrationnelles ou pénibles. « Le yoga, c’est la circulation d’énergies dans le corps (le “prana”), et tout cela se traduit par un ressenti », fait observer le praticien formateur. Il peut aider à mieux accepter une maladie, un traitement.

Cette approche a désormais bonne presse dans le monde médical. Elle rencontre une certaine bienveillance, à l’instar d’autres pratiques non conventionnelles entrées à l’hôpital, telle que l’hypnose. « Quand les médecins sont un peu dépassés, ils conseillent eux-mêmes de faire du yoga pour une fatigue, un mal de dos ou des problèmes de sommeil », confie Lionel Coudron. En France, déjà, beaucoup de soignants infirmiers travaillent à l’hôpital en utilisant les outils de la yogathérapie auprès de leurs patients, pour changer un pansement, ou en cas d’anxiété, d’angoisse ou de troubles respiratoires.

Des hôpitaux qui donnent du souffle

À l’hôpital d’Annecy, par exemple, un médecin accompagne des patients en yogathérapie dans un service de prise en charge de la douleur. D’autres institutions s’y sont mises. Une clinique de Nancy prescrit des séances de yogathérapie dès l’admission de patients en soins de suite.

À Paris, l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière y recourt pour soulager des douleurs chroniques, et Saint-Louis (ou à la clinique générale d’Annecy) organise des séances pour des femmes atteintes d’un cancer du sein, afin de les aider à reprendre possession de leur corps malmené par les traitements et le remettre en mouvement. L’hôpital Cochin, de son côté, aménage des séances pour détendre ses soignants. Et depuis novembre 2024, l’hôpital de Nancy met en place des formations d’initiation à la yogathérapie à leur intention. « Des yogathérapeutes travaillent aussi, en tant que tel, avec des consultations spécifiques », indique le médecin formateur. « Ils vont de lit en lit, proposer au patient un accompagnement dans des hôpitaux ou dans des cliniques et font très vite partie de l’équipe de soins et d’échanges. »

L’institut de yogathérapie créé par le médecin forme, depuis 1993, 50 % de soignants et 50 % de professionnels du yoga. Et parmi les soignants, des médecins (5 à 10 %), beaucoup d’infirmiers, de kinésithérapeutes et de psychothérapeutes.

« Le yoga classique lui-même ne consiste pas seulement à prendre des postures. Faire des "Asanas" [en sanskrit, posture ou exercice corporel, NDLR] permet réellement de masser les organes », rappelle Marie-Pierre Plaza. L’infirmière cadre de santé animait déjà officiellement, au service santé au travail du CHU de Toulouse, des séances de méditation de pleine conscience, dans des groupes de parole. « Cette pratique est déjà un moyen de prendre soin de son corps. » La soignante verrait bien une consultation yoga prise en charge par des Idel, en fonction de la typologie (dosha) des patients. « C’est un complément aux traitements qui permet de prendre soin de la globalité de l’être », appuie Séverine Weiss, infirmière en psychiatrie à Erstein.

Réhumanisant

La yogathérapie n’est toujours pas réglementée. Elle fait partie, comme l’ayurvéda, des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC), mais trouve toute sa place, à l’hôpital, dans le parcours de santé classique. « Nous essayons de faire en sorte que les choses changent en la rendant plus formelle. » Et cela passe notamment par la création d’un registre national qui accréditerait les métiers du bien-être - dont ceux du yoga - et permettrait une prise en charge, par les mutuelles, des consultations des patients. « Aujourd’hui, on ne peut pas dire que l’on manque de preuves, l’intérêt du yoga est extrêmement documenté ! Ça donne du sens à ce que font les soignants. » Une façon de réhumaniser une médecine par ailleurs découpée par spécialité ? « Oui, c’est certain, la yogathérapie se développe de plus en plus actuellement. Elle répond à un vrai besoin. »

Lionel Coudron, médecin généraliste, cofondateur de l’association Médecine et yoga. Il a créé l’institut de yogathérapie (IDYT) à Paris qu’il dirige depuis 1993.