L'infirmière n° 051 du 01/12/2024

 

PHARMACOLOGIE

CANCER

Anne-Lise Favier  

Si le cancer reste une maladie difficile à combattre, de nouvelles thérapies très prometteuses se mettent en place pour déjouer ses plans. Lever de rideau sur les traitements qui suscitent le plus d’espoir.

En 1971, le président Nixon, très optimiste, gageait qu’à échéance de vingt ans, le cancer serait une maladie du passé. Force est de constater que malheureusement, cette maladie n’a toujours pas été éradiquée et touche encore chaque année 20 millions de personnes à travers le monde. En France, 433 136 nouveaux cas sont recensés chaque année et la maladie reste la première cause de mortalité (162 400 décès par an). Pour la combattre, la médecine ne ménage pourtant pas ses efforts : aux côtés de la chirurgie, de la chimiothérapie, de l’hormonothérapie et de la radiothérapie, de nouvelles approches tentent de déjouer les pronostics.

1. L’immunothérapie : dompter le système immunitaire pour qu’il détruise les cellules cancéreuses

Les thérapies « classiques » de lutte contre le cancer telles que la chimiothérapie ou la radiothérapie s’attaquent directement aux cellules tumorales pour les détruire. L’approche de l’immunothérapie est différente car elle consiste à stimuler les cellules immunitaires pour les rendre plus efficaces contre les cellules tumorales. Il en existe de plusieurs types et c’est sans doute dans ce domaine que les progrès sont les plus prometteurs (cf. « Focus : les thérapies en chiffres »).

LES INHIBITEURS DE POINTS DE CONTRÔLE CHECKPOINT INHIBITORS

Le principe : Ces médicaments partent d’une découverte récompensée par un prix Nobel en 2018 qui identifie la raison pour laquelle le système immunitaire ne s’attaque pas toujours aux cellules cancéreuses : les lymphocytes T, habituellement chargés de détruire toute cellule anormale, sont en fait empêchés d’agir par certaines molécules, que l’on appelle points de contrôle (les plus connus sont PD1, PDL1). Pour lever cette « paralysie », la thérapie consiste à utiliser des inhibiteurs de points de contrôle : à leur tour bloqués, les points de contrôle ne peuvent plus empêcher les lymphocytes T de travailler, qui retrouvent leur capacité à supprimer les cellules cancéreuses.

Fonctionnement : Des anticorps monoclonaux (produits par biotechnologie) appelés inhibiteurs de points de contrôle sont utilisés pour se fixer spécifiquement sur les points de contrôle (on les appelle anti-PD1, anti-PDL1, anti-CTLA4, anti-LAG3…) et lever, pour ainsi dire, l’inhibition des lymphocytes. Ils sont utilisés seuls, en combinaison entre eux, avec une chimiothérapie classique ou une radiothérapie.

Cancers ciblés : l’immunothérapie utilisant des inhibiteurs de points de contrôle a montré des résultats très prometteurs dans la prise en charge du mélanome, des cancers du poumon, du rein, du sein, de l’estomac et de la vessie.

Effets indésirables : atteintes cutanées, effets digestifs, endocriniens, pulmonaires et quelques rares cas de toxicité cardiaque. L’administration de ces inhibiteurs de points de contrôle se fait sous étroite surveillance.

Taux de réponse : Globalement, en monothérapie, les taux de réponse varient de 20 à 40 % selon le type de cancer et peuvent atteindre 80 % dans les lymphomes de Hodgkin. Associés à une chimiothérapie, ils peuvent donner de meilleurs résultats (dans le cas du cancer du poumon, par exemple). Certains patients répondent mieux que d’autres à ce type de traitement et des travaux sont en cours pour aller encore plus loin et essayer, en quelque sorte, de prédire la réponse au traitement. Des études en lien avec le microbiote intestinal pourraient permettre de mieux comprendre ce mécanisme.

LES CELLULES CAR-T (CHIMERIC ANTIGEN RECEPTOR T-CELLS

Le principe : on modifie génétiquement les cellules immunitaires du patient (les lymphocytes T) en leur ajoutant un récepteur qui permet de cibler spécifiquement les cellules tumorales, pour les tuer. C’est un mélange de thérapie génique et cellulaire.

Fonctionnement : les lymphocytes T du patient sont prélevés par aphérèse et modifiés génétiquement in vitro pour exprimer à leur surface un récepteur (Chimeric Antigen Receptor - CAR) qui va reconnaître un antigène tumoral présent à la surface des cellules malades. Ces cellules CAR-T sont ensuite multipliées par culture puis réinjectées en grande quantité chez le patient afin qu’elles se fixent spécifiquement sur les cellules tumorales pour les détruire.

Cancers cibles : les cellules CAR-T ont montré de très bons résultats sur les hémopathies malignes, comme le myélome, le lymphome et la leucémie. Des travaux cherchent à élargir le domaine d’application aux tumeurs solides, mais la difficulté réside dans le fait qu’il existe peu de protéines strictement spécifiques des tissus tumoraux solides et que des barrières physiques empêchent les cellules CAR-T d’accéder directement aux cellules malades au cœur de la tumeur solide.

Effets indésirables : du fait de leur redoutable efficacité, les cellules CAR-T conduisent à la destruction en très grand nombre des cellules tumorales, ce qui libère dans le sang de grandes quantités de cytokines, pouvant provoquer un syndrome de relargage cytokinique (surveillance +++). On peut aussi observer des effets neurologiques transitoires (convulsions, tremblements, confusion mentale, troubles de l’élocution).

Taux de réponse : de 60 % dans le cas de patients en rechute de lymphome non hodgkinien à 90 % pour certaines leucémies.

LES ANTICORPS BISPÉCIFIQUES

Le principe : ce sont des anticorps qui reconnaissent deux épitopes, l’un sur la cellule tumorale, l’autre sur le lymphocyte, permettant de faciliter leur rapprochement.

Fonctionnement : ce sont des anticorps produits par biotechnologies qui présentent à leur surface deux antigènes différents : l’un peut se fixer sur les lymphocytes T, l’autre sur les cellules tumorales (chaque anticorps cible une pathologie en particulier avec un récepteur spécifique de la tumeur). Cette particularité favorise le rapprochement des cellules immunitaires et des cellules tumorales, ce qui induit entre elles une synapse qui va entraîner l’activation et la prolifération des lymphocytes T. Ces derniers vont alors libérer des cytokines et des enzymes cytotoxiques qui vont conduire à la mort de la cellule tumorale. Facilement mobilisables (contrairement aux cellules CAR-T qui sont produites à partir des cellules du patient, les anticorps bispécifiques sont immédiatement disponibles), ils sont administrés par une simple injection.

Cancers cibles : prise en charge des hémopathies (leucémie, myélome, lymphome), cancer bronchique à petites cellules. Des essais sont menés pour les tumeurs solides dans le cancer de la prostate ou de l’ovaire.

Effets indésirables : syndrome de relargage des cytokines (surveillance ++++), neurotoxicité transitoire et complications infectieuses (infections opportunistes).

Taux de réponse : utilisé chez les patients en rechute et qui ont déjà reçu plusieurs lignes de traitements, ils permettent d’obtenir un taux de réponse de 60 % dans l’exemple du myélome.

VACCINS CONTRE LE CANCER

Le principe : comment évoquer l’immunothérapie sans évoquer les vaccins ? On ne parle pas ici des vaccins préventifs, comme celui contre le papillomavirus qui permet de se prémunir du risque de cancer de l’utérus, mais de vaccins thérapeutiques ciblant spécifiquement le cancer : le rêve de tout oncologue !

Fonctionnement : suite au succès des vaccins à ARN contre le Covid-19, de plus en plus d’espoirs se portent sur les vaccins à ARN pour lutter contre certains cancers. Le principe est d’injecter des ARNm codant des antigènes tumoraux, ce qui va avoir pour effet d’activer les lymphocytes cytotoxiques qui vont alors détruire les cellules tumorales. Il existe des vaccins plus classiques qui utilisent des peptides présents sur les cellules tumorales pour aider les lymphocytes à mieux les reconnaître.

Cancers cibles : des essais sont menés contre le cancer de la prostate avec l’antigène PSA, mais aussi contre le mélanome, les cancers du pancréas, du poumon et de l’ovaire.

Freins : les vaccins à ARN contre le cancer en sont à leurs balbutiements et restent encore trop coûteux, et ne sont donc pas destinés à être produits en grande quantité.

Taux de réponse : les résultats, bien que prometteurs, ne permettent pas encore d’objectiver des résultats fermes et définitifs. Les premiers essais montrent néanmoins une absence de rechute chez les patients traités dans le cancer du pancréas, la maladie étant habituellement très agressive.

2. Les thérapies ciblées : bloquer la propagation de la tumeur

Principe : empêcher la tumeur de progresser en bloquant les voies cellulaires qui lui permettent de s’accroître, soit au sein même de la cellule, soit dans son environnement.

Remarque : l’hormonothérapie est une thérapie ciblée utilisée de longue date dans certains cancers hormonodépendants (sein, prostate).

L’immunothérapie, évoquée plus haut, en est également une. Ci-dessous, nous abordons le cas des petites molécules qui agissent au niveau intracellulaire, comme les inhibiteurs de tyrosine kinase.

Fonctionnement : on peut bloquer la prolifération de la tumeur en agissant soit sur ses facteurs de croissance, soit sur son angiogenèse, qui lui permet d’être alimentée en nutriments et oxygène. On parle de thérapie ciblée car on cible spécifiquement les cellules tumorales, ce qui limite les dommages sur les tissus sains. Pour cela, on doit « typer » la tumeur en effectuant un test moléculaire qui permet de déterminer quelle thérapie sera la plus adaptée. Il faut en effet que la tumeur présente certaines anomalies moléculaires qui seront la cible de ces thérapies ciblées. Dans le cas du cancer du sein, on parle souvent de la mutation HER2 : lorsqu’on identifie, après biopsie, la présence de ce récepteur HER2 à la surface des cellules tumorales, on peut utiliser une thérapie ciblée contre HER2.

Cancers cibles : poumon, mélanome, sein, rein, hémopathies.

Effets indésirables : même si ce sont des thérapies qui épargnent les cellules saines, les thérapies ciblées peuvent toutefois provoquer certains effets secondaires : fatigue, toxicités cutanées, cardiaques et hématologiques, troubles digestifs.

Taux de réponse : très variable, certains patients répondant bien, d’autres pas du tout mais le fait de dresser un typage de la cellule est censé maximiser les chances de réussite du traitement.

3. La radiothérapie interne vectorisée (RIV)

Principe : c’est une thérapie qui utilise la radioactivité pour détruire les cellules cancéreuses. Mais plutôt que d’irradier la tumeur par l’extérieur comme le fait la radiothérapie classique, la RIV irradie la tumeur de l’intérieur. La technique n’est pas nouvelle dans le sens où on l’utilise en routine depuis de nombreuses années pour traiter le cancer de la thyroïde avec de l’iode radioactif. La nouveauté vient ici du fait que de nouveaux isotopes radioactifs montrant un tropisme spécifique de certaines tumeurs sont utilisés.

Fonctionnement : la RIV utilise des isotopes radioactifs couplés avec des molécules capables de cibler spécifiquement un organe donné. Grâce à ce tropisme spécifique, l’élément radioactif est mis en contact avec la tumeur, qu’il détruit par irradiation. Dans le cas du cancer de la prostate, un antigène spécifique de cet organe (le PSMA) est couplé à du lutétium 177, un radionucléide qui va émettre un rayonnement radioactif sur toutes les cellules cancéreuses, y compris métastatiques, et ainsi les détruire. L’hospitalisation se fait en médecine nucléaire en secteur protégé.

Cancers ciblés : tumeurs neuroendocrines et cancer de la prostate métastatique.

Effets indésirables : au moment de l’administration du traitement, nausées et vomissements. À distance de l’injection, toxicité hématologique (diminution des globules blancs ou des plaquettes).

Taux de réponse : jusqu’à 80 % dans les tumeurs neuroendocrines.

À noter : toutes ces thérapies peuvent être combinées entre elles, selon chaque patient, son âge, son type de tumeur (importance du typage génomique), s’il s’agit ou non de récidive, etc. C’est l’avènement de la médecine personnalisée.

FOCUS

Les thérapies en chiffres

1,3 million de personnes hospitalisées

6,4 milliards d’euros de dépenses hospitalières (diagnostic, traitement, suivi)

418 342 personnes traitées par chirurgie

372 _348 personnes traitées en chimiothérapie

130 062 personnes traitées en radiothérapies

74 631 traitées par inhibiteurs de points de contrôle (+ 19 % par rapport à l’année précédente)

785 traitées par CAR-T cells (+ 55 %)

Chiffres de 2022, d’après Panorama des cancers en France, sept. 2024, Institut national du cancer

Les dernières nouveautés vues à l’ASCO et l’ESMO

Chaque année, le monde de la cancérologie se réunit d’abord à Chicago pour le congrès annuel de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), puis en Europe avec celui de l’ESMO (European Society of Medical Oncology). Le Pr Benjamin Besse, directeur de la recherche clinique à Gustave Roussy (Villejuif), nous en livre les nouveautés les plus importantes.

« Dans le domaine des thérapies ciblées, on continue de trouver de nouvelles cibles, ce qui permet d’étendre les traitements à d’autres cancers mais aussi de travailler, pour les cibles déjà connues, à de nouvelles générations d’inhibiteurs. En matière d’immunothérapie, on commence à voir apparaître des travaux intéressants sur les TILS, ces lymphocytes capables d’infiltrer des tumeurs, notamment dans le mélanome. On voit également apparaître de nouveaux inhibiteurs de points de contrôle dans le traitement du mélanome. Mais ce qui émerge réellement, c’est ce qui se passe dans le péri-opératoire : dans le cancer du sein, on a des stratégies efficaces de combinaison chimiothérapie et immunothérapie qui permettent d’améliorer le taux de contrôle de la maladie. Dans le cancer du rectum, on étudie des modèles qui permettent d’éviter la chirurgie après une immunothérapie, ce sont d’énormes progrès pour les malades. Les anticorps bispécifiques commencent à donner des résultats sur certaines tumeurs solides, comme dans le cas du cancer du poumon. »

Du progrès aussi dans la lutte contre la douleur

La prise en charge de la douleur est une problématique importante dans le cadre de la lutte contre le cancer. Si la plupart des douleurs sont soulagées par des thérapies simples à administrer, reste 10 à 15 % des douleurs qui résistent aux approches classiques, ce qui impacte l’état général du patient et sa qualité de vie. Une technique d’analgésie dite intrathécale permet de soulager ces douleurs réfractaires. Elle consiste à implanter chez le patient sous anesthésie générale une pompe qui délivre, via un cathéter placé le long de la colonne vertébrale, des antalgiques directement dans le liquide céphalorachidien, au plus près des récepteurs de la douleur. Cette technique permet d’augmenter l’efficacité du traitement avec des doses moins fortes (équivalence à 300 fois une dose orale de morphine) et donc avec moins d’effets secondaires. Malheureusement, cette technique souffre d’un manque de centres experts susceptibles de la proposer.

Dépister un cancer par une prise de sang ?

C’est un peu le rêve de tout biologiste : pouvoir détecter, à partir d’une simple prise de sang, un cancer en devenir. Mais pour le moment, cela n’existe pas. En revanche, on peut, à partir d’une prise de sang, mieux orienter la prise en charge de certains cancers. Cela repose sur l’analyse de l’ADN tumoral circulant : une fois qu’une tumeur vient se loger quelque part, elle relargue dans le sang d’infinitésimale quantité d’ADN que l’on peut retrouver dans une prise de sang. En typant cet ADN tumoral, on peut déterminer le passeport génomique de la tumeur, c’est-à-dire les mutations qu’elle porte, pour ensuite mieux adresser des traitements. Moins invasive qu’une biopsie tissulaire, plus rapide et fortement informative, cette biopsie liquide peut aussi servir à suivre les traitements et prédire les rechutes. Pour devenir le Graal et permettre de dépister un cancer par un simple prélèvement sanguin, il faut encore travailler à un profil universel des tumeurs, ce qui n’est pas une mince affaire. Dans ce domaine, l’intelligence artificielle pourrait être un atout.