L'infirmière n° 053 du 01/02/2025

 

CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE INFIRMIER

SUSPENSION

Adrien Renaud  

Dans une décision rendue à l’automne, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des infirmiers a suspendu une infirmière salariée d’un prestataire d’appareillage. Motif : elle était passée chez la concurrence, emportant dans ses bagages une partie de la patientèle.

Les problématiques de concurrence entre entreprises peuvent paraître éloignées des préoccupations infirmières. Et pourtant, pour certains professionnels, notamment quand ils sont employés par des sociétés commerciales, ce sont des questions qu’il faut savoir intégrer dans sa pratique, sous peine d’en subir les conséquences juridiques. C’est ce que Mme L. a appris à ses dépens : infirmière en Bourgogne-Franche-Comté au sein de la société X, prestataire d’appareillage médical, elle a démissionné en 2021 pour être recrutée par la société Y, sa concurrente. Problème : la société X a remarqué qu’au moment même où Mme L. démissionnait, plusieurs dizaines de ses patients ont demandé à être « désappareillés », et ont été pris en charge par la société Y. La société X a donc porté plainte auprès du conseil interdépartemental de l’Ordre des infirmiers de la Nièvre et de la Saône-et-Loire. L’affaire a été transmise à la chambre régionale de l’Ordre en Bourgogne-Franche-Comté, qui a rendu sa décision en 2022 : Mme L. est condamnée à six mois d’interdiction d’exercer, dont cinq mois et demi avec sursis.

Tourbillon judiciaire

S’estimant victime d’un conflit commercial entre deux entreprises, Mme L. a fait appel de cette décision, qui a donc été examinée par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des infirmiers en septembre dernier. « Mme L. se trouve depuis trois ans dans un véritable tourbillon judiciaire », a déploré son avocat lors de l’audience. Pour lui, l’infirmière n’avait fait que son métier, et ne pouvait pas empêcher des patients, qui ont la liberté de choisir leur praticien, de changer de prestataire quand elle a démissionné. « Quand vous suivez des patients atteints de diabète ou de la maladie de Parkinson, quand vous avez parfois créé avec eux des relations assez proches, vous ne pouvez pas partir sans rien leur dire et les laisser comme cela avec une autre personne le mois d’après », a-t-il argué.

Problème : le nombre de demandes de désappareillage est trop important pour qu’il résulte du simple exercice par les patients de leur libre choix… et les dates sont accablantes, a rétorqué, lors de l’audience, l’avocat de la société X. « La démission de Mme L. était effective le 31 août, et la société X a reçu des demandes de désappareillage, sur papier à en-tête de la société Y, dès le 1er septembre », a-t-il pointé. Une faute d’autant plus grave que Mme L. était tenue par son contrat de travail à une clause de non-concurrence. Autant d’éléments qui ont conduit la Chambre disciplinaire nationale à confirmer la décision de la chambre régionale. Non seulement, Mme L. est bien suspendue pendant six mois, dont deux semaines fermes, mais elle est, de plus, condamnée à verser 1 000 € à son ancien employeur. Il est des circonstances où l’on devrait s’abstenir de faire appel.