L'infirmière n° 053 du 01/02/2025

 

ACTIVITÉS CLINIQUES

REPORTAGE

Laure Martin  

La division santé de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) compte dans ses rangs 71 infirmiers. Parmi eux, le sergent-chef Simon, qui exerce à la caserne Masséna dans le 13e arrondissement de Paris. L’Infirmièr.e. l’a suivi en intervention.

Hall du 2e groupement d’incendie et de secours de la caserne Masséna. 7 h 45. Le sergent de jour fait l’appel des sapeurs-pompiers de l’antenne médicale, placés en rang. Objectif : s’assurer de leur présence et les affecter à leur poste pour la durée de leur garde. Parmi eux, le sergent-chef Simon, infirmier, la capitaine Pauline, médecin urgentiste, et le première classe Elvis, ambulancier. Les trois sapeurs-pompiers travaillent aujourd’hui ensemble au sein de l’ambulance de réanimation (AR). À Paris, trois sites de la BSPP (Ménilmontant, Masséna et Courbevoie) disposent d’une antenne médicale dotée de plusieurs véhicules pouvant être envoyés en mission, dans les rues de Paris et dans trois départements limitrophes : les Hauts-de-Seine (92), la Seine-Saint-Denis (93) et le Val-de-Marne (94). Les antennes médicales de Limeil-Brévannes (94) et de Champerret (17e arrondissement de Paris) sont non opérationnelles et ont respectivement pour mission le soutien des recrues et celui de l’état-major. À Masséna, ils sont 16 infirmiers : 11 sur des services de garde et cinq permanents. Ces derniers travaillent quotidiennement sur la logistique (pharmacie), à la formation, à l’encadrement et à la médecine du travail. « Lorsque les citoyens composent le 18, l’appel est réceptionné à l’état-major de la BSPP à Champerret, qui reçoit entre 5 000 et 6 000 appels par jour, explique le major Sylvain Gourden, cadre supérieur de santé à la division santé de l’état-major. L’ordre de départ est alors basculé au centre de secours le plus proche pour l’envoi des véhicules les plus adaptés. » Lors de la transmission de son bilan secouriste à la coordination médicale de la BSPP, le chef d’agrès - le responsable de l’intervention - peut demander le renfort d’un moyen médical, également mobilisé si le médecin coordinateur l’estime nécessaire. Une AR, avec à son bord, un médecin, un infirmier et un ambulancier, est alors envoyée sur place. Elle l’est également en première intention si, lors de l’appel au 18, un enjeu vital est identifié. L’ensemble des unités médicales de la BSPP assure environ 10 000 interventions par an, soit 1 500 par AR.

Départ en intervention et transmissions

Ce matin, à l’antenne Masséna, après des premiers appels vers 7 heures, il faut attendre 10 h 30 pour que le trinôme soit sollicité. En pleine discussion au troisième étage de la caserne, le sergent-chef Simon, la capitaine Pauline et le première classe Elvis ont des bipeurs qui sonnent simultanément. Le signal d’un départ en intervention. Sur leur visage, la détente laisse place à la concentration. Le première classe Elvis est déjà dans l’ambulance à repérer le trajet à suivre pour arriver à destination. Car chez les pompiers de Paris, hors de question de recourir à des applications d’aide à la conduite. L’usage de la carte papier est privilégié, aussi parce que les ambulanciers peuvent utiliser toutes les voies (bus, taxi, sens interdit) afin d’arriver le plus rapidement possible sur les lieux de l’intervention. Ce matin, l’AR de Masséna est envoyée à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Dès l’arrivée de l’équipe, le chef d’agrès du véhicule de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) vient à sa rencontre pour faire un point sur la situation. Un homme de 77 ans a brièvement perdu connaissance chez lui. Sa femme l’a accompagné dans sa chute. À l’arrivée du VSAV, il avait repris connaissance mais restait incohérent dans ses propos. Il se plaint depuis quelques jours de douleurs abdominales. Son tableau clinique est défavorable : diabétique de type 2, multistenté, BPCO. Le patient étant en légère hypothermie, l’équipe du VSAV a décidé de l’installer dans le véhicule. Mais étant également en défaillance circulatoire, le chef d’agrès a estimé qu’il n’était pas transportable en l’état et a préféré solliciter l’intervention de l’unité médicale de la BSPP. Et ce, d’autant plus qu’il suspectait une rectorragie à la découverte de traces de sang dans le pantalon du patient et redoutait une hémorragie interne.

Une prise en charge coordonnée

Une fois les transmissions effectuées, l’équipe médicale prend le relais sur la prise en charge du patient toujours installé dans le VSAV, avec l’appui de l’équipe des sapeurs-pompiers. Elle s’organise tel un ballet. Chacun sait exactement ce qu’il doit faire et à quel moment, tout en restant calme face à l’urgence. Simon commence par placer le patient en détresse circulatoire en position adaptée, à savoir les jambes surélevées pour faire remonter sa tension. Outre la surveillance des constantes, effectuée en lien avec les sapeurs-pompiers du VSAV, il pose des perfusions veineuses afin d’anticiper l’injection des médicaments, effectuer un prélèvement sanguin et assurer le remplissage vasculaire du patient avec un soluté pour compenser la perte de sang. « J’effectue également un prélèvement de sang artériel pour une gazométrie artérielle qui permet l’analyse de l’équilibre acido-basique, la mesure de la pression artérielle en oxygène et de celle du gaz carbonique », précise l’infirmier. En parallèle, il assure également la gestion de la température du patient. « Lorsqu’une personne fait une hémorragie, elle entre dans une triade létale qui se caractérise par une hypothermie, une coagulopathie et une acidose métabolique, souligne Simon. Il faut casser l’un de ces trois éléments en sachant que dans le cadre de notre intervention, nous ne pouvons agir que sur l’hypothermie. » Les deux équipes l’ont donc enveloppé d’une couverture de survie et d’une couverture chauffante. Pour épauler l’infirmier, l’ambulancier assure les allers-retours entre le VSAV et l’AR, garés à quelques mètres l’un de l’autre, afin de lui apporter le matériel nécessaire pour les soins. Pour le moment, hors de question de transférer le patient dans l’AR sans comprendre plus précisément son tableau clinique. Soudain, l’urgence. Le rythme cardiaque du patient a chuté, passant à 30 battements par minute. Tous les sapeurs-pompiers sont prêts à se relayer pour le massage cardiaque. La Dre Pauline quitte le VSAV pour l’AR afin de préparer une seringue d’adrénaline si besoin. L’injection ne sera pas nécessaire, les autres médicaments ayant permis au cœur de retrouver un rythme normal. Après un temps de stabilisation, l’équipe décide de finalement transférer le patient dans l’AR. L’ambulancier part préparer l’ensemble du matériel avant que les deux équipes s’épaulent pour assurer le transfert sous le regard des membres de la famille, attendant, inquiets, sur le trottoir.

Un deuxième avis

Pendant toute la durée de la prise en charge, les professionnels de santé expliquent au patient les décisions prises. Les examens sont nombreux mais pour autant, le médecin se trouve dans l’impasse. À plusieurs reprises, elle fait un point à voix haute, à la fois pour « raccrocher » l’équipe au suivi et « pour encourager Simon à me donner son avis s’il en a un », confiera la Dre Pauline de retour à la caserne. Et d’expliquer : « Nous avons pris en charge chaque défaillance, mais pour autant, nous avons rencontré des difficultés à établir le diagnostic. Ce type de prise en charge n’est jamais confortable. » Elle n’a d’ailleurs pas hésité à solliciter un deuxième avis auprès de son confrère de la coordination médicale à l’état-major de Champerret, et du médecin régulateur du centre 15, chargé d’orienter l’AR vers l’établissement hospitalier pouvant accueillir le patient, à savoir, dans ce cas précis, le service de réanimation du CHU Henri Mondor à Créteil (Val-de-Marne). Avant de partir pour l’hôpital, la Dre Pauline se rend auprès de la famille du patient pour l’informer de la situation. Par élimination, elle pense à un choc septique. Il appartient désormais à l’équipe hospitalière d’assurer la suite des soins. L’intervention aura duré environ trois heures. De retour à la caserne, le trinôme prend le temps de déjeuner. L’occasion de discuter. D’ailleurs, chaque matin, les équipes ascendantes et descendantes débriefent sur les prises en charge effectuées pendant la garde. Un moment de partage de pratiques afin d’analyser ensemble si d’autres décisions auraient pu être prises. « Le fait de parler avec nos collègues nous permet aussi d’évacuer le stress », reconnaît le sergent-chef Simon, en se dirigeant vers la pharmacie. Pour être prêts à repartir, l’ambulancier et l’infirmier réarment le véhicule après chaque intervention. Simon se charge de remettre le stock de médicaments et de dispositifs médicaux utilisés dans l’AR, « afin que nous soyons au maximum de nos capacités en termes de matériel », souligne-t-il. En cas d’usage de stupéfiants, il doit déposer les ampoules vides et la prescription papier dans un coffre sous code.

Les deux voies d’intégration

Les infirmiers sapeurs-pompiers de la division santé de la BSPP sont recrutés par deux voies. Le recrutement externe, en milieu civil, concerne les infirmiers déjà diplômés, qui signent un contrat d’engagement à la BSPP pour servir en antenne médicale. Ils intègrent l’école de formation à Limeil-Brévannes au grade de sapeur puis progressent rapidement pour accéder à celui de sergent en un an environ, afin de disposer d’une formation militaire initiale. Ils retournent ensuite à l’antenne médicale pour être formés à la médecine d’urgence pendant trois mois avant de valider un examen certificatif pour aller sur le terrain. En 2023, huit infirmiers ont été recrutés par cette voie, parallèlement à la filière interne à la BSPP. Car les sapeurs-pompiers de Paris - caporaux-chefs ou sous-officiers -, peuvent aussi, après sélection, passer le concours d’admission à l’École du personnel paramédical des armées (EPPA), à Lyon-Bron. En cas de réussite (environ trois à cinq postes par an), ils effectuent leur formation au sein d’un institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) civil. Après l’obtention de leur diplôme d’État, ils sont réaffectés à la BSPP pour servir dans l’une des cinq antennes médicales. C’est la voie empruntée par le sergent-chef Simon. « Je me suis engagé chez les pompiers de Paris à 20 ans, à l’issue d’une licence Staps, que j’avais suivie pour détenir un bagage universitaire suffisant si jamais mon engagement ne pouvait se faire », raconte-t-il. Car il visait uniquement les pompiers de Paris. « Je voulais me rendre utile, être au service de la population et j’avais aussi le goût de l’effort, de l’exigence, du dépassement de soi, et l’attrait pour le risque », reconnaît-il. Après avoir passé le concours, il intègre le centre de formation des pompiers. De 2008 à 2015, il passe des grades pour changer de fonction : soldat-sapeur, caporal, caporal-chef. « Très vite, j’ai ressenti une appétence pour le secours aux victimes, attiré par le contact constant avec la population et la possibilité d’avoir un retour immédiat sur nos actions de secourisme », explique-t-il. En 2012, au moment de renouveler son contrat d’engagement (tous les cinq ans), il s’interroge : doit-il quitter l’armée et réintégrer la vie civile sans disposer d’orientation précise ou doit-il poursuivre son engagement pour une potentielle carrière longue ? En rencontrant l’épouse de son « parrain » pompier, infirmière, il se questionne sérieusement sur l’opportunité de se lancer dans cette voie. « J’ai aimé l’idée de devenir infirmier pour continuer d’évoluer, acquérir des connaissances complémentaires, également valables dans le civil, et intervenir sur de l’urgence vitale uniquement », souligne-t-il. Mais pour prétendre à la formation, il doit devenir sergent. Il s’engage donc dans une formation d’un an et demi, tout en préparant le concours de l’EPPA. Infirmier diplômé en 2019, il travaille, depuis, à l’antenne Masséna. Un métier qu’il ne se verrait pas exercer ailleurs. « Cette recherche de la perfection avec nos protocoles propres à la BSPP, nous les mettons au profit du secours aux victimes, explique-t-il. Nous avons aussi accès à de nombreuses formations, à une qualité de transmission que nous ne retrouvons nulle part ailleurs. Cette densité opérationnelle, cette richesse humaine et cette recherche de l’efficience sont particulièrement galvanisantes, surtout au sein de notre communauté. »

Les cadres au sein des pompiers de Paris

Avant 2020, la formation de « cadre » n’était pas accessible aux infirmiers de la BSPP. « C’est le médecin-chef qui, en 2020, nous a donné l’opportunité d’accéder à l’école des cadres », explique le major Sylvain Gourden. À présent, la formation est indispensable pour deux postes : l’infirmier-major de la brigade, adjoint du médecin-chef de la brigade, qui s’occupe de la partie paramédicale sur tous les parcours professionnels, recrutement, mobilité interne, externe, interaction avec les hôpitaux et le Samu. Puis, le poste d’infirmier-major du bureau de la médecine d’urgence, qui pilote l’opérationnel et l’interface avec les antennes médicales.

Le parcours professionnel d’un infirmier à la BSPP

« L’infirmier de la BSPP est avant tout un militaire de l’armée de terre, souligne le major Sylvain Gourden. Tout au long de sa carrière, il reçoit une formation de soldat puis de cadre sous-officier. » Il est un soldat du feu à part entière et un professionnel de santé spécialiste de l’urgence paramédicale préhospitalière. « Il peut également exercer dans le secteur de la santé au travail, la recherche paramédicale, les études scientifiques, la formation, la démarche qualité ou le commandement », ajoute-t-il.

Au sein de la division santé, il participe à trois types de mission. Tout d’abord le soutien, le soin et la médecine de prévention pour les 8 500 pompiers

Le rôle premier de l’infirmier est donc l’aptitude et les soins, ainsi que la vaccination, dans le cadre d’une collaboration médecin-infirmier.

Deuxième mission : la médecine d’urgence, partagée avec les quatre Samu parisiens dans le cadre d’une convention avec la régulation. Cette médecine d’urgence est basée sur un triptyque : l’ambulance de réanimation (dont la première a été créée à Paris en novembre 1967), les deux véhicules légers infirmiers (VLI), qui existent depuis 2019, équipés d’un infirmier et d’un conducteur ambulancier, et la coordination médicale dont le rôle est de recevoir les bilans urgents des chefs d’agrès et de juger de la nécessité d’un renforcement de l’intervention par un moyen médical. Enfin, la troisième mission consiste à assurer le soutien sanitaire opérationnel des sapeurs-pompiers en intervention afin de garantir leur sécurité et leur prise en charge pour les interventions ou les exercices qui le requièrent.