L'infirmière n° 053 du 01/02/2025

 

EXERCICE LIBÉRAL

ORGANISATION

Laure Martin  

L’installation en libéral implique nécessairement, pour les infirmières, de créer une entreprise. Plusieurs choix s’offrent à elles en fonction de leur modalité d’exercice.

L’exercice en libéral s’oppose nécessairement au salariat et implique la création d’une entreprise car l’infirmière libérale devient cheffe d’entreprise », résume Boris Luneau, expert-comptable spécialisé dans les professions de santé.

L’ENTREPRISE INDIVIDUELLE

Généralement, lorsqu’elles s’installent, les infirmières libérales (Idel) font le choix juridique de l’entreprise individuelle, car « il s’agit de la forme la plus simple à créer et de la moins chère à faire vivre », indique-t-il. Une société implique un formalisme beaucoup plus lourd. « En ce qui concerne l’entreprise individuelle, nul besoin de statut ou de procès-verbal pour le relevé des décisions annuelles », donne en exemple l’expert-comptable.

Les statuts de l’entreprise individuelle ont été modifiés par une loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante. « Auparavant, les patrimoines individuels et professionnels étaient confondus, rapporte Boris Luneau. Ce principe juridique “d’unicité du patrimoine”, qui avait des conséquences lourdes vis-à-vis des créanciers, a été supprimé. » Désormais, cette distinction des deux patrimoines protège l’infirmière libérale. Côté fiscalité, avant 2022, l’entreprise individuelle était nécessairement associée à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). L’Idel peut désormais faire le choix de l’impôt sur les sociétés, avec d’éventuelles possibilités d’optimisation fiscale plus larges.

Concernant l’exercice professionnel, l’entreprise individuelle permet à plusieurs infirmières libérales, ayant chacune la leur, de travailler ensemble. « Dans les faits, chacune gère et dispose de sa comptabilité individuelle », explique Boris Luneau. Pour les recettes, aucune problématique particulière : chaque infirmière facture et perçoit les sommes sur son compte bancaire. Cependant, pour les dépenses, elles doivent se répartir leurs charges communes. Plusieurs modèles juridiques sont alors possibles.

LA SOCIÉTÉ DE FAIT ET CONTRAT D’EXERCICE EN COMMUN

Pour la gestion des dépenses (frais de fonctionnement du cabinet, loyer, chauffage, électricité, téléphone, secrétariat, entretien, etc.), la majorité des infirmières libérales font le choix d’une société de fait, « qui existe mais qui ne le devrait pas », lance l’expert-comptable avant d’expliquer : « Dans une société de fait, comme son nom l’indique, il n’y a pas de formalisme juridique mais plutôt une entente entre les infirmières travaillant ensemble. » L’une va payer le loyer, l’autre l’électricité et le petit matériel. « D’un point de vue comptable, ce choix, bien que majoritaire, n’est pas l’idéal, pointe Boris Luneau. Car il est alors moins aisé de justifier les virements entre les comptes bancaires de chacune. » De même que les Idel prennent le risque de se retrouver avec des dettes si celle chargée de payer le loyer ne l’a pas fait. Autre exemple : une Idel peut se retrouver exclue d’un local car son nom n’est pas inscrit sur le bail.

À ce fonctionnement informel, mieux vaut privilégier le contrat d’exercice professionnel à frais communs. Il offre une sécurisation juridique tout en étant suffisant pour organiser la gestion des dépenses mises en commun avec une ou plusieurs autres infirmières. Les dépenses communes sont alors payées par chaque membre en fonction d’une répartition définie dans le contrat, qui prévoit aussi les modalités d’exercice en commun du cabinet (heures d’ouverture et de fermeture, remplacements, etc.).

Cependant, dès lors que les Idel sont nombreuses à exercer au sein d’un même cabinet, si elles souhaitent se structurer en groupe, entre elles ou avec d’autres professionnels de santé, la création d’une société est nécessaire.

LA SOCIÉTÉ CIVILE DE MOYEN (SCM)

Avec une SCM, l’Idel crée une personne morale, à savoir une entité différente d’elle en tant que personne physique, afin de structurer la relation de groupe et de mutualiser des dépenses avec ses consœurs, mais pas les recettes. Cette société a pour objet de fournir des moyens matériels ou des prestations de services à ses membres : mutualisation du local, embauche d’une femme de ménage, etc. Comme pour toutes sociétés, les statuts doivent être élaborés pour déterminer le capital social, la dénomination, le siège social et les associés. Le règlement intérieur est par ailleurs nécessaire pour définir la répartition des dépenses et les modalités d’exercice au sein de la société.

« Devenir associé de la SCM apporte également un droit au bail indirect, signale Boris Luneau. Les infirmières ont ainsi le droit d’exercer au sein d’un collectif de professionnels et d’être présentes sur la zone géographique du local. » Des décisions sont également prises pour l’intégration de nouveaux associés. L’objectif de la SCM n’est en aucun cas de faire des bénéfices. Elle sert uniquement à payer les factures.

Le coût d’une SCM étant plus élevé (formalités juridiques de création, secrétariat juridique annuel et comptabilité annuelle), sa création est recommandée uniquement lorsque les consœurs ont recours à un salarié commun, ce qui simplifie la gestion du personnel au niveau des obligations de l’employeur et diminue le coût des obligations déclaratives. Ce choix est donc assez rarement utilisé en pratique dans la profession d’infirmier.

LA SOCIÉTÉ CIVILE PROFESSIONNELLE (SCP)

La SCP n’a pas les mêmes objectifs que la SCM. Elle est obligatoirement mono-professionnelle. Elle a pour objet de transférer, à la société, l’exercice de la profession par l’intermédiaire de ses membres. La SCP se substitue à l’activité libérale, c’est-à-dire que c’est elle qui facture les actes et reverse aux associés leur quote-part. D’un point de vue pratique, les Idel partageant une seule et même patientèle sont les mieux placées pour constituer une SCP. Néanmoins, les associées doivent nécessairement s’entendre sur la manière de travailler, de coter, le type de patientèle prise en charge, les actes effectués, les jours travaillés, car tout est partagé au regard d’une clé de répartition préalablement définie.

LA SOCIÉTÉ D’EXERCICE LIBÉRAL (SEL)

La SEL a aussi pour objet l’exercice de la profession par l’intermédiaire de ses membres. La patientèle appartient donc à la SEL. Cependant, puisqu’il s’agit d’une société commerciale, l’ensemble des obligations vont nécessairement être plus lourdes à gérer. En cas de dépenses, c’est la SEL qui facture.

Elle peut être unipersonnelle, c’est-à-dire constituée par une seule Idel. On parle alors d’une « SEL à responsabilité limitée unipersonnelle ». Généralement, un intérêt fiscal conduit les Idel à se constituer en SEL (endettement personnel). Ce choix est à mettre en corrélation avec leur fiscalité personnelle. La rémunération de l’Idel s’effectue à la fois sous forme de dividende (pour la répartition des bénéfices), mais aussi sous forme de salaire versé par la SEL. L’infirmière doit donc s’assurer de percevoir des revenus assez conséquents de son activité professionnelle pour permettre cette double répartition.

LA SOCIÉTÉ CIVILE IMMOBILIÈRE (SCI)

La SCI est utile uniquement pour la gestion du local professionnel. Elle a pour objet de détenir, par l’intermédiaire de ses membres, un bien immobilier. La SCI peut ainsi venir en complément des trois autres sociétés pour acheter un local et le mettre à disposition de ses membres ou d’une autre personne, en le louant.

DES RÈGLES À RESPECTER

Pour faire son choix entre ces différentes options, il est conseillé de se rapprocher d’un expert-comptable. Comme pour tout type de société, il est recommandé de prévoir un règlement intérieur, qui peut être élaboré avec l’aide d’un juriste ou d’un expert-comptable afin de prévoir les conditions d’intégration d’un nouvel associé, d’un collaborateur, d’un remplaçant, les modalités de sortie de la société, le droit de vote, le droit de retrait ou encore, la régulation des dépenses.

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